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Nos Lecteurs ont la Parole

Pour que la neutralité du Liban puisse durer

« Humains, réveillez-vous ! Rassemblez-vous pour combattre de toutes vos forces ceux qui détruisent la paix ! Assez de réflexions, de résolutions, de discours, de neutralité. En avant, contre l’ennemi de l’humanité. »

August Friedrich Kellner.

Les événements intérieurs et extérieurs au Liban polarisent les esprits sur la « neutralité ». Elle paraît la seule issue salutaire désespérément recherchée en ce temps de crise, mais elle risque de n’être qu’un compromis équivoque, fragile et provisoire. Toute quête d’une neutralité ayant pour fondement l’esprit du pacte national est marquée d’avance par la précarité si l’on continue de percevoir que ce pacte ne favorise que la compromission et l’équilibre délicat entre les dirigeants confessionnels, et non pas l’espérance d’un pays orienté vers l’unité nationale. L’aspiration à la neutralité dans l’esprit du pacte présuppose ainsi le choix d’un certain regard sur le pays et ses intérêts. Cette préférence ne fait hélas pas l’objet d’un consensus de tous les dirigeants majeurs des confessions sur la scène nationale. Pour certains leaders, la neutralité s’avère indispensable pour la survie du pays dans un contexte local et régional spécifique exacerbé; pour d’autres leaders, cette même neutralité porte atteinte à leurs intérêts, voire à leurs acquis. S’il en est ainsi, la recherche d’une neutralité finirait par ne devenir qu’un compromis qui sauverait le pays d’une guerre intestine ou d’un effondrement total, mais en aucun cas ne proposerait une formule jetant les bases d’une philosophie de la neutralité que l’État adopterait officiellement.

C’est l’absence d’une vision nationale et la présence de conflits d’intérêts parmi les principaux acteurs sur la scène locale qui fragilisent l’équilibre créé par le pacte national et génèrent inévitablement un système de gouvernement faible et constamment conflictuel. Le pragmatisme reste alors la seule voie menant à la neutralité salvatrice qui en fin de compte ne cesse de produire des compromis identiques et conformes au principe du pacte. Concrètement, ce pragmatisme se réalise lorsqu’un gouvernement centriste est formé avec des hommes de bonne volonté qui veillent à créer un équilibre entre les acteurs principaux et leurs intérêts conflictuels ; mais on le voit aussi se réaliser dans la nomination de représentants des forces politiques majeures qui garantiraient l’équilibre de l’exercice du pouvoir et réussiraient à suivre une politique qui réduirait les impacts nocifs des crises régionales sur la scène intérieure et assurerait ainsi le minimum requis pour le vivre en commun, la seule raison d’être de l’État du pacte national. C’est cette manière de régler les conflits qui favorise des slogans tels que « ni vainqueur ni vaincu » qui reflètent à la fois l’esprit du pacte et la persistance des motifs conduisant aux rivalités. Un aperçu de quelques événements de l’histoire moderne du pays manifeste ce dilemme.

L’indépendance fut le résultat de la conciliation de deux visions contradictoires du pays : l’une d’un Liban sous la tutelle française et l’autre d’un Liban fusionné dans l’entité syrienne. Georges Naccache commentait cette formule en disant que « deux négations ne font pas une nation ». Cette neutralité négative qui semblait être le principe de la préservation du jeune État était mise à dure épreuve après l’annonce de l’unité entre l’Égypte et la Syrie en 1958. Cet événement, où s’était manifestée la revendication musulmane de rejoindre la République arabe unie, est venu rapidement alimenter les revendications de dirigeants musulmans libanais qui exigeaient alors une réduction des pouvoirs du président de la République en faveur du Premier ministre ainsi qu’un juste partage entre chrétiens et musulmans des fonctions publiques, notamment des postes-clés. Face à cela, les dirigeants chrétiens, avec à leur tête le président Camille Chamoun, voyaient dans l’évolution de la situation une menace à l’existence même de l’entité libanaise dont le pouvoir garantissait aux chrétiens leurs privilèges. L’acceptation par le gouvernement libanais de la « doctrine Eisenhower » et la sollicitation d’une intervention militaire des États-Unis au Liban ont manifesté la fragilité de la neutralité du pacte national : pour les uns, le régime avait violé le pacte national ; pour les autres, le régime avait sauvegardé le pays d’une ingérence militaire fatale venue de la République arabe unie.

La seule issue possible à la crise fut l’élection du général Fouad Chéhab à la présidence de la République et la formation d’un nouveau gouvernement composé de représentants des « rebelles » et des « loyalistes ». La stabilité sécuritaire et politique qui a suivi ce changement sur la base de la restauration du pacte national ne devait pourtant pas durer. Le même scénario d’escalade eut lieu avec l’aggravation du conflit israélo-arabe et notamment à la suite de la guerre des Six-Jours en 1967. Les divergences de points de vue entre les dirigeants chrétiens et musulmans concernant les limites de l’engagement du Liban vis-à-vis de la cause palestinienne ont conduit à une scission politique grandissante à laquelle se sont ajoutés des problèmes intérieurs à caractère confessionnel. L’explosion du pays fut par conséquent une question de temps. Et le même dilemme continue jusqu’à aujourd’hui avec des acteurs nouveaux internes et externes. La neutralité du pacte national n’a pas du tout réussi à construire et préserver le pays de sa ruine car elle n’a été qu’une solution purement pragmatique pour sortir d’une crise sans aucune vision nationale du bien commun et de l’intérêt national.

La majorité des Libanais aspirent à ce que des hommes de bonne volonté réussissent le plus tôt possible à assurer une neutralité qui empêcherait l’effondrement total du pays. Mais, en même temps, de nombreux Libanais espèrent que de nouveaux dirigeants émergeront du soulèvement populaire et travailleront pour une neutralité permettant au Liban d’être un phare de la démocratie et de la laïcité. Ils souhaitent vivre en vrais citoyens dans un Orient respectant les droits de l’homme ; pour cela, ils attendent que des dirigeants trouvent le soutien d’hommes munis de références nationales et refusant que le confessionnalisme soit une idéologie rigide qui étouffe l’homme, la société et la patrie.

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« Humains, réveillez-vous ! Rassemblez-vous pour combattre de toutes vos forces ceux qui détruisent la paix ! Assez de réflexions, de résolutions, de discours, de neutralité. En avant, contre l’ennemi de l’humanité. » August Friedrich Kellner.Les événements intérieurs et extérieurs au Liban polarisent les esprits sur la « neutralité ». Elle paraît la seule...

commentaires (1)

le confessionnalisme? vous voulez dire la religion.

SATURNE

14 h 56, le 25 juillet 2020

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Commentaires (1)

  • le confessionnalisme? vous voulez dire la religion.

    SATURNE

    14 h 56, le 25 juillet 2020

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