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À vot’ bon cœur, Émir...

Comment survivre aux pertes d’emploi, à la folle hausse des prix, à la fonte de leurs maigres économies, à la désespérante incapacité et même la claire répugnance du pouvoir à entreprendre les réformes indispensables au salut du pays ? Acheter du bon, du solide chinois, plutôt que de la camelote yankee, comme le conseillait dernièrement Hassan Nasrallah ? Encore faudrait-il avoir seulement de quoi acheter. Ou bien alors revenir au travail de la terre, dans la tradition de nos vaillants ancêtres qui ont su exploiter à merveille la culture en terrasses ? Tout le monde ne dispose pas, hélas, d’un lopin de bonne terre libanaise ou même d’un coin de balcon pour y planter tomates et radis. Et ce n’est certes pas en balançant sur les réseaux sociaux la risible image de Monsieur Gendre maniant la pioche en polo Ralph Lauren, sous l’écrasant soleil de Laklouk, que l’on peut espérer promouvoir l’agriculture libanaise…


Il y a moins fatigant tout de même, bien que moins valorisant, et c’est de faire la manche : d’en appeler à la compassion et la générosité des pays fortunés. Telle est la corvée qu’assignait, ces derniers jours, le président de la République au chef de la Sûreté générale auprès des autorités koweïtiennes. Nul ne saurait en douter, le général Abbas Ibrahim est bien l’homme des missions délicates. En maintes occasions, il s’est avéré précieux pour résoudre des problèmes sécuritaires impliquant tantôt la Syrie et tantôt l’une ou l’autre des bandes armées sévissant sur le territoire national. Mais pourquoi donc déléguer la barbouze en chef plutôt que le ministre des Affaires étrangères qui, entre deux convocations d’ambassadeurs étrangers, donne l’impression de se morfondre d’ennui? Serait-ce, par exemple, pour donner quelque poids aux garanties de sécurité que notre pays en pleine déglingue, où la criminalité se nourrit déjà de la faim ambiante, où les ordures envahissant les trottoirs parfument l’air, se fait fort d’offrir aux foules de vacanciers koweïtiens qui se bousculent à nos portes ?


Parlant de portes, il serait illusoire de s’imaginer qu’à la faveur de cette virée koweïtienne, celles du Golfe nous sont déjà ouvertes. Les clés de cette région imbibée de pétrole, c’est l’Arabie saoudite qui les détient, seul l’émirat de Qatar ayant fait dissidence. Or les Saoudiens nous gardent rancune d’une longue ère de diplomatie libanaise jugée outrageusement complaisante envers l’Iran : dérive d’autant plus aberrante que des centaines de milliers d’expatriés libanais vivent et prospèrent dans le royaume wahhabite. C’est pour cette raison qu’en dépit de ses fiévreuses démarches, le Premier ministre Hassane Diab ne parvient toujours pas à se faire inviter à Riyad ou dans quelque capitale satellite, pas plus d’ailleurs qu’au Caire.


Les réformes d’abord, les réformes, et on verra ensuite : parti requérir à Koweït divers services d’amis, notamment du fuel pour un pays littéralement plongé dans le noir, l’émissaire libanais s’est entendu répéter la même litanie que nous servent re-servent, et depuis des années, les pays prêteurs et donateurs. Car plus que d’autres, les Koweïtiens sont parfaitement instruits des jeux de la politique et de l’argent en cours au Liban; comme les Saoudiens, ils ont bonne mémoire et ils ne risquent pas d’oublier comment a été dédaignée en 2010, par un ministre qui a laissé sa triste empreinte sur le ministère de l’Énergie, une offre inespérée du Fonds de développement koweïtien visant à la construction d’une mégacentrale électrique. Étalé sur plus de vingt ans, auxquels s’ajoutait un délai de grâce de cinq ans, le prêt était assorti d’un taux d’intérêt dérisoire ; mais il stipulait la surveillance, par le Fonds, de l’élaboration des cahiers des charges et du déroulement des adjudications, de manière à exclure toute possibilité de commissions, ristournes et autres dessous de table. Comme de règle, c’est en vain que le gouvernement de l’époque avait été interpellé sur la question au Parlement…


Mais ne paniquons pas, du moment que les pourparlers de Koweït ont été qualifiés de constructifs : à défaut de nous faire cadeau de fuel à bas prix ou de dépôts de pétrodollars, les Koweïtiens assurent en effet, la main sur le cœur, qu’ils ne permettront pas que les frères libanais souffrent de la faim. C’est au chapitre de l’assistance humanitaire que, par la grâce de dirigeants indignes, fait son entrée notre pays. Le plus pitoyable est qu’il le fait en fanfare.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Comment survivre aux pertes d’emploi, à la folle hausse des prix, à la fonte de leurs maigres économies, à la désespérante incapacité et même la claire répugnance du pouvoir à entreprendre les réformes indispensables au salut du pays ? Acheter du bon, du solide chinois, plutôt que de la camelote yankee, comme le conseillait dernièrement Hassan Nasrallah ? Encore faudrait-il avoir...