
Le siège patriarcal d’été à Dimane. Photo d’archives ANI
En réclamant la « neutralité » du Liban, que cherche exactement l’Église maronite ? C’est la question que se sont posée beaucoup de Libanais intrigués par la fermeté de ton du patriarche maronite depuis deux semaines. Certes, Béchara Raï a réclamé des dirigeants un rééquilibrage de la politique étrangère du pays, de sorte qu’elle s’en tienne à une « neutralité » source de stabilité interne et externe. Jusque-là, rien de plus normal. Toutefois, il ne s’est pas arrêté à cette demande, mais a adjuré les communautés arabe et internationale de « voler au secours du Liban » et l’ONU d’œuvrer « à la proclamation de sa neutralité ». Or il s’agit là de deux élans tout à fait distincts, et si le premier est du ressort du Liban, le second engage le pays dans un processus international singulier, comme le confirment un certain nombre d’évêques maronites. Tout se passe comme si, poussée dans ses derniers retranchements et constatant que le pouvoir fait la sourde oreille à ses demandes répétées, l’Église maronite a décidé de passer aux actes. C’est bien à un statut de neutralité garanti internationalement comparable à celui de l’Autriche que songe l’Église maronite, confirme le vicaire patriarcal Boulos Sayah, qui se dépêche de préciser qu’il faut « au préalable un consensus interne et régional », tout en précisant que « malgré sa complexité, le patriarche insiste pour qu’on avance dans cette voie ». Et de rappeler que cette idée habite le chef de l’Église maronite depuis longtemps et qu’il s’en était ouvert déjà à l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, lors d’un voyage pastoral aux États-Unis (2016).
Solution possible, un référendum
Selon Mgr Boulos Sayah, un « référendum national » sera nécessaire pour y parvenir, à moins que le droit de présenter une telle demande soit reconnu à l’Église maronite en tant que personnalité morale. « Une étude juridique est en cours sur toute cette question délicate », confirme Mgr Samir Mazloum, vicaire patriarcal, qui rappelle que la question se justifie du fait même qu’en tant qu’État membre de l’ONU, « le Liban passe par une phase de son histoire où sa souveraineté, son indépendance et son peuple sont menacés, en raison d’ingérences étrangères ». « Il n’y a qu’une décision internationale qui peut sauver le Liban, comme cela s’est passé après les massacres de 1860 », assure de son côté un évêque maronite qui réclame l’anonymat. Et de relever que de nombreux leaders et partis libanais, dont le chef du courant du Futur, Saad Hariri, ont adhéré à l’idée d’une proclamation de la neutralité du Liban. Il se félicite en outre de l’insistance de l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea à vouloir parachever le processus de délimitation des frontières maritimes entre le Liban et l’État hébreu. L’évêque souligne, en contraste, que la Syrie refuse la délimitation de ses frontières avec notre pays, dont elle n’a reconnu l’indépendance que de mauvaise grâce dans les années 90. Il va même jusqu’à recommander au patriarche de ne plus se rendre à Baabda. « Que Baabda vienne à toi », lui conseille-t-il.
Sans aller jusque-là, l’ancien archevêque de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, estime avec réalisme que la question est délicate, mais que « dans un premier temps (…) l’ONU pourrait reconnaître une vocation spéciale du Liban au dialogue, au pluralisme ». « Le Liban, ajoute-t-il, c’est l’avenir de la région. »
Pourtant, cette vision des choses ne semble pas avoir été affirmée assez clairement, puisque l’ancien ministre des Affaires étrangères Tarek Mitri affirme n’avoir vu dans la demande de l’Église maronite qu’une démarche de politique interne. Pour l’ancien ministre, en substance, l’Église maronite réclame qu’en politique étrangère, le Liban respecte la politique de dissociation des conflits régionaux convenue par le gouvernement, mais pas une neutralité à la Suisse. « Le Liban ne peut être neutre, assure-t-il. D’ailleurs, il est en conflit avec Israël. Tout ce qui est demandé, c’est que le Liban ne redevienne pas un nouveau champ de bataille pour les axes régionaux et évite une politique d’alignement sur une puissance régionale contre l’autre. »
Mais, estime Tarek Mitri, « il n’est pas envisageable par qui que ce soit de proclamer la neutralité du Liban. Ce qu’il faut, c’est épargner au pays encore plus de problèmes et regagner autant que possible les amitiés de ceux qui l’ont lâché à cause de son alignement ».
La voix de la prudence
Face aux demandes extrêmes des évêques maronites, une voix diplomatique, qui se veut celle de la prudence, assure : « On ne va nulle part si on va l’un contre l’autre », et de souligner, rejoignant par là l’idée d’un référendum sur la question, qu’il faut au préalable mener campagne pour convaincre tous les Libanais, ou au moins une large majorité d’entre eux, que « c’est pour le bien de tous que le statut international de neutralité est demandé ».
« On est conscient que c’est un discours qui vient de loin, assure la source citée, mais la question doit refléter le désir de tous les Libanais; ce n’est pas quelque chose qu’on peut imposer. Certes, c’est le Liban message que l’on cherche à sauvegarder, le Liban du vivre-ensemble et du dialogue, la mosaïque de communautés, mais cette demande doit émaner d’un peuple souverain. Il faut être clair. Nous voyons tous les avantages de ce projet, le Liban est un pays méditerranéen, c’est un trait d’union aussi bien entre l’Orient et l’Occident qu’entre le Sud et le Nord, toute la région arabe peut profiter de la résilience et de l’esprit de créativité des Libanais, mais nous voulons travailler avec les Libanais, pas à leur place. La communauté internationale est là pour aider, mais en définitive, chaque peuple doit choisir lui-même son avenir. » En tout cas, selon un officiel libanais reçu récemment au Vatican, « le Saint-Siège ne parle jamais de la neutralité du Liban, mais de sa stabilité ».
En réclamant la « neutralité » du Liban, que cherche exactement l’Église maronite ? C’est la question que se sont posée beaucoup de Libanais intrigués par la fermeté de ton du patriarche maronite depuis deux semaines. Certes, Béchara Raï a réclamé des dirigeants un rééquilibrage de la politique étrangère du pays, de sorte qu’elle s’en tienne à une...
commentaires (13)
Le Liban ne peut être neutre, assure-t-il. D’ailleurs, il est en conflit avec Israël. Tarek Mitri dixit. Mais je crois qu'il n'arien compris. Ca suffit de toujours mettre Israel a toutes les sauces. Nos problemes n'ont RIEN a voir avec Israel puisque, avant les fameux accord du Caire, le pays vivait son age d'or. Ce nést qu'apres avoir abdique sa souverainete que le Liban s'est retrouve en conflit.
IMB a SPO
16 h 20, le 14 juillet 2020