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Moyen-Orient - Éclairage

Partage des eaux du Nil : la guerre des quotas en restera-t-elle aux mots ?

Depuis 2011, la mise en chantier du barrage de la Renaissance sur le Nil bleu oppose l’Éthiopie au Soudan et à l’Égypte, sans qu’aucun accord ne soit trouvé.

Partage des eaux du Nil : la guerre des quotas en restera-t-elle aux mots ?

Une vue du Nil bleu à son point d’intersection avec le barrage de la Renaissance, en Éthiopie, le 26 décembre 2019. Eduardo Soteras/AFP

Parmi les 11 pays que traverse le Nil, trois d’entre eux se disputent le partage des eaux depuis près de 10 ans : l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan usent de rhétorique légale et rivalisent d’arguments techniques afin de récupérer leurs parts du gâteau. La guerre des mots pourrait-elle aujourd’hui escalader en conflit acté ? L’Éthiopie en prend le risque en affichant sa volonté de finaliser, malgré l’absence d’accord international, son monumental barrage de la Renaissance (Grand Ethiopian Renaissance Dam, GERD), en cours de construction depuis 2011 sur le Nil bleu, section éthiopienne du fleuve située dans l’ouest du pays, près de la frontière soudano-éthiopienne.

L’annonce récente d’une mise en eau du barrage a ravivé les tensions autour de l’exploitation du plus long fleuve d’Afrique. Dès janvier, le gouvernement éthiopien avait rendu publique son intention de procéder au remplissage du réservoir qui devrait entraîner une modification progressive du flux pour les parties égyptienne et soudanaise du fleuve, situées en aval. Le 27 juin, le Premier ministre éthiopien Abyi Ahmad confirme l’échéance, prévue pour la mi-juillet à l’occasion des pluies saisonnières, déclenchant une surenchère de réactions internationales afin d’enrayer le développement unilatéral du projet.

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Les deux principaux riverains, le Soudan et l’Égypte, contestent le droit d’exploitation unilatéral revendiqué par l’Éthiopie : la souveraineté n’est pas absolue lorsqu’elle concerne une ressource transfrontalière partagée. Pour ces deux pays, la finalisation du barrage pourrait lourdement éprouver les apports en eau en cas de sécheresse ou de remplissage trop brutal. Elle remet ainsi en question les acquis obtenus depuis les traités de 1929 et 1959, tous deux négociés sous le parrainage des anciennes puissances coloniales au profit du Soudan et, surtout, de l’Égypte qui bénéficie depuis d’un « droit historique » lui conférant le plus large volume hydrique.

Malgré une opposition commune, Khartoum cultive une position plus nuancée que son voisin du Caire, particulièrement incisif sur ce dossier classé sous le sceau de la sécurité nationale. Pour le Soudan, le GERD représente certes un danger potentiel : le barrage national de Roseires, situé sur le versant soudanais du Nil bleu, pourrait être affecté en cas de problème technique (inondation ou autre). Mais le pays pourrait également profiter du développement adjacent et de l’énergie produite. Le sujet, qui ronge les relations égypto-éthiopiennes depuis des décennies, est abordé de manière plus belliqueuse par l’Égypte qui entend faire appel à « tous les moyens disponibles » afin de protéger son approvisionnement en eau. Elle a eu recours, le 19 juin, au Conseil de sécurité de l’ONU afin d’obtenir une reprise des négociations suite à une annonce jugée « extrêmement dangereuse ».

Une question « existentielle »

L’enjeu est en effet bien plus important pour l’Égypte qui dépend à 82 % du Nil bleu pour ses besoins hydriques. Le pays, qui pourrait perdre 25 % de son volume d’eau en cas de remplissage trop rapide du barrage, « ne cédera jamais ses droits car il s’agit d’une question de vie ou de mort, une question existentielle », avait soutenu le président du Parlement Ali Abdel Aal en mars. Face à la croissance démographique – une population de 100 millions pouvant atteindre jusqu’à 170 millions d’habitants d’ici à 2050 –, le ministre de l’Eau et de l’Irrigation, Mohammad Abdel Ati, a réclamé non seulement une sauvegarde, mais également une hausse des quotas actuels. Malgré son attachement à une sortie de crise diplomatique, Le Caire dénonce l’intransigeance et la politique du fait accompli menée par Addis-Abeba, jusqu’à affirmer que l’armée se tient « prête à défendre la sécurité nationale », selon les mots du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi début juin. Avant lui, en 2013, l’ancien président déchu Mohammad Morsi avait formulé des menaces similaires.

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Pendant que l’Égypte use de sa verve et de ses ressorts diplomatiques afin d’arracher un compromis, l’Éthiopie se refuse à céder sur le contrôle de ses ressources. Face à l’Égypte, le Premier ministre éthiopien est catégorique : « Aucune force ne peut arrêter l’Éthiopie. » Elle rétorque en diffusant des images de batteries d’armes antiaériennes qui auraient été disposées à proximité du site de construction. Après des décennies de mise à l’écart et de tractations avortées, le pays – qui n’a pas bénéficié de quota dans le partage de 1959 – entend reprendre ses droits sur les eaux du fleuve en développant ce qui devra être le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique. Alors que 65 millions d’Éthiopiens n’ont à ce jour pas accès à l’électricité, Addis-Abeba revendique une totale souveraineté sur ses ressources nationales afin de subvenir aux besoins de sa population. En 2011, l’ancien Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi entreprend de financer les 4,8 milliards de dollars nécessaires à la construction du barrage en vue d’électrifier le pays et de soutenir son industrialisation. Les 16 turbines devraient générer 6 000 mégawatts et ainsi doubler l’approvisionnement domestique en électricité. Pour le gouvernement comme pour les milliers d’ouvriers employés sur le chantier, il s’agit d’une victoire nationale bien plus qu’un simple projet d’ingénierie.

Conditions de remplissage du bassin, quotas de compensation des pertes, mécanismes de résolution en cas de conflit… les mêmes aspects techniques continuent de paralyser les mêmes négociations, bloquant l’émergence d’une politique de coopération régionale. En 2015, une « déclaration de principe » entre les trois pays jette certes les bases d’un remplissage concerté. Mais elle sera abandonnée faute de signature. En novembre 2019, un cycle de négociations entrepris sous l’auspice des États-Unis avec l’assistance de la Banque mondiale échoue de nouveau. Du 9 au 13 juin, Khartoum tente de se poser en médiateur en animant des pourparlers qui, là encore, achoppent. La dernière tentative en date, amorcée début juillet par l’Union africaine et présidée par l’Afrique du Sud, ne semble pas moins en mal pour aboutir à un compromis. Pourtant, derrière les menaces, malgré les échecs, les termes du débat ont bien évolué – passant d’un refus en bloc du barrage à une discussion autour des conditions de son fonctionnement.


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