Le Liban devra encore attendre jusqu’à au moins jeudi pour connaître le nom de la troisième société qui, avec le néerlandais KPMG et l’américain Oliver Wyman, sera mandatée par le gouvernement pour auditer les comptes de la Banque du Liban.
Réuni hier, le Conseil des ministres n’est pas parvenu en effet à choisir entre les deux candidats présélectionnés par le ministère des Finances au cours des derniers mois, à savoir les américains Kroll et Forensic Technologies International Consulting (FTI Consulting ou FTI), et a décidé de s’en remettre aux services de sécurité du pays pour trancher. Ces derniers ont en effet été chargés « d’établir un rapport » déterminant si ces deux sociétés « ont des liens avec Israël » avec qui le pays est officiellement en guerre.
« Après les soupçons de liens avec Israël concernant la société Kroll, le gouvernement a examiné l’option de recourir à la compagnie FTI, mais il s’est avéré que cette société pourrait également être liée à l’État hébreu. Tous les responsables se sont mis d’accord pour examiner cette question jeudi après avoir obtenu le rapport sécuritaire en question », a expliqué la ministre de l’Information Manal Abdel Samad, lors d’un point de presse à l’issue de la réunion.
Dissensions
La décision du gouvernement de Hassane Diab de commander un audit de la BDL a été évoquée pour la première fois en avril et constitue une étape-clé pour le pays en crise, qui doit poursuivre des négociations virtuellement paralysées avec le Fonds monétaire international pour espérer débloquer une assistance financière en vue de redresser son économie et assainir son système financier. La BDL fait par ailleurs déjà auditer ses comptes par deux autres sociétés, dont Deloitte, membre du top 4 mondial avec KPMG, Ernst & Young et PricewaterhouseCoopers (PwC).
À la fin du même mois, le Conseil des ministres a annoncé avoir retenu trois sociétés pour remplir cette mission : le réseau KPMG, basé aux Pays-Bas pour l’aspect purement comptable ; le cabinet de conseil américain Oliver Wyman, spécialisé dans le secteur bancaire et les banques centrales ; et enfin l’américain Kroll, référence internationale dans le domaine de la la juricomptabilité, une discipline qui mêle comptabilité et droit et dont la principale activité consiste à reconstruire l’historique de transactions réalisées par des personnes et des entités dans le cadre d’un audit.
Or la sélection de Kroll a été à l’origine d’importantes dissensions au sein même de la classe dirigeante et qui se sont notamment exprimées lors de la réunion du gouvernement le 30 juin dernier, au cours de laquelle les ministres du mouvement Amal et ceux du Courant patriotique libre se sont opposés. Les premiers ont alors accusé Kroll d’être une agence « israélienne liée au Mossad », tandis que les seconds ont insisté pour que l’audit ait lieu le plus vite possible.
Si la société n’a toujours pas répondu à ces allégations, une source proche du dossier avait déclaré vendredi dernier à L’Orient-Le Jour que Kroll, fondé en 1972 par Jules Kroll, un jeune procureur du district de New York issu d’une famille de confession juive, mais qui avait depuis changé de mains, n’avait « pas de liens avec Israël » et avait travaillé à plusieurs reprises pour des clients au Liban et dans le monde arabe au cours des dernières années.
Il reste que la crédibilité de l’argument consistant à invoquer les liens de Kroll avec Israël pour justifier son éviction a depuis pris du plomb dans l’aile, dans la mesure où son concurrent FTI, pressenti depuis plusieurs jours mais officiellement sélectionné par le ministère des Finances en début de semaine, a pour sa part des liens avérés et transparents avec l’État hébreu. La société ne cache pas par exemple qu’elle possède une antenne à Tel-Aviv, comme indiqué sur son site fticonsulting.com, et a également été en affaires avec le milliardaire franco-israélien Beny Steinmetz, surnommé le roi du diamant, comme le rapportent plusieurs titres de presse anglophones qui ont suivi le dossier au cours des années 2010.
Relations publiques
Parmi les autres informations publiquement disponibles concernant FTI, et qui devraient au moins être évoquées dans les débats préalables à la sélection du cabinet, figurent notamment le fait que la société est membre depuis 2018 de l’Arab Bankers Association. Formée dans les années 1980 par des banquiers arabes ayant dû quitter le Liban pendant la guerre civile, le conseil d’administration de cette organisation est composé de plusieurs ressortissants libanais. Rien ne permet en l’état de tirer des conclusions de cette proximité.
Autre information également mise en ligne sur le site de FTI : au moins un cadre de la société, à l’image de Neil Doyle (stratégie de communication), a déjà travaillé pour la BDL sur certains projets, notamment celui lié à la « promotion d’une initiative dans le domaine de la Fintech ». Là aussi, rien de problématique en soi, surtout dans la mesure où Kroll a de son côté travaillé sur le dossier de la liquidation de Jammal Trust Bank, autorisée par la BDL l’été dernier. Cette banque libanaise a été frappée fin août 2019 par des sanctions du Trésor américain qui l’a accusée de faciliter « les activités bancaires du Hezbollah ».
Enfin une source financière proche du dossier évoque de son côté une raison qui pourrait expliquer la cristallisation des tensions au sein de la classe dirigeante autour du choix de la société qui sera chargée du Forensic audit de la BDL. « FTI est surtout une société de relations publiques spécialisées dans les relations entre investisseurs, stratégie, présentation des résultats, etc. Des sociétés cotées en Bourse font par exemple appel à ses services pour gérer leur image auprès de leurs investisseurs », explique-t-elle. « Leur expertise en matière de juricomptabilité leur permet généralement de servir ces objectifs en temps de crise. D’un autre côté, Kroll est connu pour sa capacité à mener des enquêtes financières poussées en faisant appel à des sources dans le domaine du renseignement », ajoute-t-elle.
Si rien ne permet pour l’instant de présumer des intentions de l’exécutif, de la classe politique ou de toute autre partie au Liban, le fait que le lancement de l’audit de la BDL ait autant été retardé à un moment où le débat sur le montant des pertes accumulées par le pays se transforme en bataille rangée entre les parlementaires d’un côté et l’exécutif de l’autre, soulève certaines interrogations légitimes.
Pour plusieurs sources concordantes, dont certaines se sont publiquement exprimées sur le sujet – à l’image du PDG de FFA Private Bank, Jean Riachi, dans un tweet publié le 4 juillet – la perspective d’un audit de la BDL qui puisse déborder sur les comptes bancaires d’une partie de la classe politique « terrifie » certains responsables dans un pays où le niveau de corruption est jugé élevé par la majorité des organisations et observateurs internationaux. Dans sa conférence de presse expliquant les raisons de sa démission du ministère des Finances et de l’équipe de négociateurs désignés par le gouvernement pour discuter avec le FMI, Alain Bifani a, lui, insisté il y a une semaine sur la nécessité d’un audit basé sur la juricomptablité, « afin de recouvrer les fonds volés ».
Je suis certain que Hassan Nasrallah pourrait leur indiquer une societe Iranienne capable de faire cet audit.
20 h 59, le 08 juillet 2020