Dans un contexte d’effondrement économique et social que rien ne semble devoir arrêter, les critiques portées au gouvernement de Hassane Diab ne viennent plus que de l’opposition, elles émanent désormais des ministres eux-mêmes, après avoir été formulées précédemment par les « parrains » politiques de cette équipe. Alors que, de sources concordantes, on s’accorde à dire que le changement de gouvernement est bloqué essentiellement par le Hezbollah, certaines déclarations ont récemment interpellé les observateurs.
Ainsi, deux ministres du gouvernement, Ghada Chreim (Déplacés) et Michel Najjar (Travaux publics), ont affirmé samedi ne pas être opposés à un changement de cabinet si cela pouvait alléger la crise que traverse le Liban, alors que récemment, les appels à une démission du gouvernement se multipliaient, avant que l’éventualité ne soit écartée.
« Le changement gouvernemental est possible à tout moment et en toute circonstance. Si le départ du gouvernement (actuel) résout les problèmes, il n’y a aucune objection à cela car ce qui compte, c’est d’aboutir à des solutions pour sauver la nation », a affirmé Ghada Chreim dans une intervention sur les ondes de la Voix du Liban (VDL).
Michel Najjar, qui a également accordé un entretien à une radio locale, a « démenti qu’un ou plusieurs ministres aient présenté leur démission ». « Les discussions (lors du Conseil des ministres de jeudi) ont porté sur la pertinence de maintenir le cabinet en l’absence d’accomplissements, a-t-il reconnu. Personne parmi nous n’estime que le gouvernement est quelque chose d’attrayant. Celui-ci constitue pour nous désormais un lourd fardeau, sachant qu’on nous fait assumer le poids de dizaines d’années de politiques qui ont mené le pays au bord du gouffre et vers la situation lamentable que nous vivons. »
« Si le changement du gouvernement peut améliorer la situation du pays et que des alternatives au cabinet actuel se présentent, personne ne s’opposera à un tel changement. C’est ce qu’a affirmé le Premier ministre en personne », a assuré M. Najjar.
De son côté, le conseil politique du Courant patriotique libre, parti du président de la République Michel Aoun et l’un des principaux parrains de ce gouvernement, revenait samedi à la charge en demandant à l’équipe gouvernementale « d’entamer les réformes nécessaires, qu’elles soient économiques ou monétaires ».
Une équipe divisée « sur fond de crise de légitimité »
Pourquoi toutes ces déclarations alors que le gouvernement semble rester en place jusqu’à nouvel ordre ? Selon notre informateur Mounir Rabih, ces ministres « parlent d’une option qui était sur la table il y a quelque temps, mais qui a été abandonnée depuis ». Il rappelle qu’il a été question d’un remaniement il y a quelques semaines pour le changement de quelques ministres jugés improductifs, mais cette possibilité s’est heurtée au refus du Hezbollah. Idem pour une proposition de changement pur et simple du gouvernement appuyée, entre autres, par le CPL. « La rhétorique s’est cependant poursuivie, comme si l’on voulait maintenir la pression sur ces ministres en difficulté », poursuit-il.
Pour Sami Nader, analyste politique et économique, « le gouvernement tient aujourd’hui à la seule volonté du Hezbollah, alors que les autres partis politiques seraient enclins au changement ». Il estime que « ce cabinet a reçu un coup dur du fait qu’il n’a plus de plan économique après la démission de deux de ses concepteurs, le conseiller Henri Chaoul et le directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani ». Des départs provoqués, selon lui, par de profonds désaccords sur le coût de la sortie de crise.
« Le gouvernement est désormais profondément divisé sur fond de crise de légitimité », poursuit M. Nader. Mais alors comment envisager que cette équipe puisse continuer à évoluer dans ces conditions ? « À mon avis, le Hezbollah se trouve face à deux options, dit-il. Un gouvernement d’union nationale, copie conforme des équipes formées précédemment, qui se heurtera certainement au refus de la rue, la contestation n’ayant pas fait tomber un gouvernement pour en accepter un autre similaire. De plus, pourquoi le Hezbollah accepterait-il de concéder quoi que ce soit à l’autre camp sans être sûr de la contrepartie? L’autre option est celle d’un gouvernement vraiment indépendant qui impliquerait un lâcher-prise de la part du parti. »
Pour l’analyste donc, ces déclarations de ministres sur leur propre gouvernement impliqueraient que les forces politiques qui les soutiennent cherchent à faire passer des messages montrant qu’elles sont prêtes à entamer un virage quelconque, notamment en direction du Fonds monétaire international, avec lequel le Liban a engagé des pourparlers en vue de sortir le pays de la crise, négociations actuellement « gelées » selon le ministre des Finances.
« De son côté, le Hezbollah est dans une position plus inconfortable que par le passé, étant donné que ce gouvernement est perçu comme le sien, d’où le fait qu’il reçoit de plein fouet toutes les critiques qui lui sont adressées, poursuit l’analyste. Finalement, peut-être que le Hezbollah attend qu’on négocie avec lui un éventuel changement de gouvernement. »
commentaires (5)
tant que le Hezbollah n'aura pas remis ses armes a l’armée, il ne lâchera rien et le Liban ira de mal en pis jusqu’à la guerre!
Pierre Hadjigeorgiou
15 h 25, le 06 juillet 2020