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Portraits de criminels

Portraits de criminels

D.R.

Sanction de Ferdinand von Schirach, traduit de l’allemand par Rose Labourie, Gallimard, 2020, 176 p.

«Lorsque j’observe mon passé, je me rends compte que mes études de droit puis mes vingt ans d’activité dans le pénal n’ont été qu’un empêchement à ce que je voulais vraiment faire, à savoir, écrire », affirme Ferdinand von Schirach au quotidien suisse Le Temps. Avocat allemand né en 1964, von Schirach n’a en effet publié son premier livre, Crimes, qu’à l’âge de quarante-cinq ans. Ce recueil de nouvelles relatant des affaires criminelles rencontre un succès immédiat et obtient le prestigieux Prix Kleist. Ferdinand von Schirach continuera alors à s’inspirer de son expérience d’avocat de la défense au barreau de Berlin en publiant romans et nouvelles qui ont tous pour cadre le monde de la justice et des tribunaux.

Sanction, son dernier livre, regroupe douze récits qui, malgré leurs intrigues judicaires, traitent essentiellement de la solitude et de l’angoisse qu’elle génère. Cela est évident dès la première nouvelle. Katharina est désignée comme jurée dans un procès pour violences conjugales. La victime, une femme fréquemment battue par son mari, témoigne. Katharina, qui n’a jamais été frappée par un homme, s’identifie à cette femme : « Katharina regarda la femme, et la femme regarda Katharina. Katharina se mit à pleurer. Elle pleurait parce que l’histoire de la témoin était son histoire à elle, parce qu’elle comprenait la vie de cette femme et parce que la solitude était en toutes choses. » Cette communion soudaine, visible à tous, entre la jurée et la témoin, brise le procès. L’avocat de la défense récuse Katharina pour crainte de partialité. Sa requête aboutit, et vu qu’il n’y a pas de juré suppléant, l’accusé est libéré…

Parfois, la solitude affective est intenable, et chacun y remédie à sa façon. Dans la nouvelle intitulée « Lydia », Meyerbeck qui, après son divorce, n’a plus aucun contact humain en dehors de son lieu de travail, achète une poupée en silicone. « Dix jours après l’arrivée de Lydia [la poupée], Meyerbeck fait l’amour avec elle pour la première fois. » Il lui commande des vêtements, commence à faire la cuisine pour ne pas être obligé de manger au restaurant et la quitter, regarde des films d’amour avec elle, lui achète des fleurs et, au travail, pense souvent à elle. Ils dorment dans le même lit. Un jour, il rentre chez lui et trouve la poupée renversée sur le canapé. Ses vêtement sont déchirés, sa tête est tournée à 180 degrés, des bougies sont enfoncées dans sa bouche, son vagin et son anus. Sur la table du salon, quelqu’un a écrit : « Sale pervers ». Meyerbeck est sûr que c’est son voisin. Il doit alors se venger.

Dans « Voisins », le meurtre est un moyen d’échapper à l’esseulement. En effet, Brinkmann, un veuf quelque peu épris de sa voisine beaucoup plus jeune que lui, tue le mari de celle-ci afin de pouvoir partager sa vie avec quelqu’un. Ainsi pourra-t-il mener une existence moins angoissante.

Malgré ce que peut laisser croire un résumé de leurs intrigues, ces nouvelles ne versent jamais dans le sensationnel. Tout au contraire, elles sont elliptiques, acérées et froides. On n’y retrouve ni psychopathes, ni grands criminels, mais tout simplement des hommes et des femmes angoissés, déboussolés, qui, parfois, commettent des crimes. Le tribunal les juge, tandis que le lecteur les comprend. Certains d’entre eux ne se pardonneront jamais.

Dans la nouvelle qui clôt le recueil, un avocat (probablement von Schirach lui-même), parlant de sa décision de commencer à écrire, dit : « C’était devenu trop pour moi. La plupart des gens ignorent tout de la mort violente, ils ne savent pas à quoi elle ressemble, l’odeur qu’elle a et le vide qu’elle laisse derrière elle… Je pensais qu’une nouvelle vie serait plus simple, mais il n’en a rien été. Qu’importe que nous soyons pharmacien, menuisier ou écrivain. Les règles ne sont jamais tout à fait les mêmes, mais l’étrangeté demeure, et la solitude, et tout le reste. »

Sanction de Ferdinand von Schirach, traduit de l’allemand par Rose Labourie, Gallimard, 2020, 176 p.«Lorsque j’observe mon passé, je me rends compte que mes études de droit puis mes vingt ans d’activité dans le pénal n’ont été qu’un empêchement à ce que je voulais vraiment faire, à savoir, écrire », affirme Ferdinand von Schirach au quotidien suisse Le Temps. Avocat...
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