Les militants qui sont en première ligne des manifestations sont plus que jamais visés par la justice. Pour la première fois depuis le déclenchement du soulèvement populaire le 17 octobre dernier, quarante-cinq personnes ont fait hier l’objet de mandats d’arrêt à Tripoli, dont onze qui avaient été libérées récemment par la justice militaire. Les personnes concernées ont été impliquées dans les violences du 27 et 28 mai dernier, au cours desquelles la capitale du Liban-Nord avait été le théâtre de scènes de guérilla urbaine. L’avocat des activistes, Ahmad el-Bayah, affirme à L’Orient-Le Jour que « les mandats d’arrêt lancés à l’encontre de ces militants visent à intimider les protestataires et à faire taire la voix de la contestation ». Il revient en particulier sur les mandats d’arrêt émis à l’encontre des onze personnes qui avaient été précédemment relâchées. Ces personnes avaient été déférées devant la justice militaire et accusées d’avoir mis le feu à des véhicules de l’armée avant d’être libérées.
« J’ai été surpris d’apprendre que la justice libanaise considère ces onze activistes comme étant des fugitifs en raison de l’existence d’un autre mandat d’arrêt à leur encontre relatif à des actes de vandalisme ayant eu pour cible des branches de banques à Tripoli, alors même qu’ils ont été libérés par le juge », explique leur avocat. Il s’interroge à cet effet sur les motifs pour lesquels ses clients sont considérés comme fugitifs alors qu’aucune notification n’apparaissait sur leurs dossiers judiciaires au moment de leur libération. « N’est-il pas de la responsabilité de l’État de vérifier le casier judiciaire de ces administrés avant de décider de les relâcher ? » ajoute Me el-Bayah.
Joint au téléphone par L’OLJ, Ahmad Bakiche, un des quarante-cinq activistes visés par les mandats d’arrêt, assure n’être pas impliqué dans les attaques contre l’armée pendant les événements qui ont eu lieu la dernière semaine de mai. « Nous sommes actifs depuis quatre ans à Tripoli et nous n’avons jamais lancé une seule pierre contre les soldats de l’armée », affirme-t-il. « Aujourd’hui, la justice interpelle toute personne active dans la rue, que ce soit à Tripoli ou ailleurs », ajoute-t-il. M. Bakiche affirme croire en la transparence et l’indépendance du corps judiciaire. « Nous serons entendus par la justice le 9 juillet », précise-t-il avant de poursuivre : « Nous croyons en notre innocence et nous la défendrons jusqu’au bout. »
« Ces arrestations des protestataires et militants servent à intimider tous ceux qui osent critiquer le pouvoir en place et revendiquer les droits les plus élémentaires des Libanais », confie de son côté un activiste de Tripoli ayant requis l’anonymat. « Nous ne baisserons pas les bras », ajoute-t-il.
Déception à Beyrouth
Au Palais de justice de Beyrouth, les familles d’une trentaine de personnes détenues, parce que soupçonnées d’avoir pris part aux violences survenues dans la capitale les 11 et 12 juin dernier, ont dû faire face à une grosse déception.
Alors que la décision initiale du premier juge d’instruction de Beyrouth par intérim, Charbel Abou Samra, était de libérer ces détenus contre une caution de 200 000 LL par personne, la procureure générale Sandra Khoury a présenté un recours en appel. Cette volte-face a attisé la colère des familles qui attendaient devant le Palais de justice ainsi que des activistes qui s’étaient rassemblés pour les soutenir, en scandant des slogans tels que « À bas le règne des voyous » ou encore « Le peuple est la ligne rouge ». Parmi les personnes interpellées la semaine dernière figurent 21 jeunes de la Békaa. Selon notre consœur Médéa Azouri, ce sont les militants et amis des détenus qui avaient réussi à rassembler le montant d’environ 4 millions de livres libanaises pour payer la caution de chaque détenu.
Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, l’avocat et militant Wassef Haraké a dénoncé à sa sortie du Palais de justice « une décision politique » qui aurait motivé le recours en appel présenté. « Quand le juge d’instruction décide de libérer tous les détenus, c’est qu’il n’y a pas de crime. Il s’agit d’une bataille pour nous faire plier, mais nous ne les laisserons pas faire », lance Me Haraké aux manifestants déçus.
La semaine dernière, ces mêmes familles avaient manifesté devant le Palais de justice pour demander la libération immédiate de leurs proches. Cette manifestation avait rapidement dégénéré en affrontements avec les forces de sécurité. Le père de l’un des détenus avait même tenté de s’immoler par le feu, avant d’être secouru par les protestataires présents sur place.
A Tirpoli comme a Beyrouth, comme à Teheran, comme à Bagdad, l ' Injustice vise les manifestants !
11 h 57, le 01 juillet 2020