Le juge des référés de Tyr, Mohammad Mazeh, qui suscite la polémique depuis samedi pour avoir interdit aux médias au Liban d’interviewer l’ambassadrice américaine Dorothy Shea après ses propos hostiles au Hezbollah, a présenté sa démission hier. Il avait évoqué la possibilité d’une telle décision dès dimanche, lorsque des informations avaient circulé sur un possible transfert de son dossier auprès de l’Inspection judiciaire. Le juge avait prévenu qu’au cas où il serait déféré devant cet organisme, il demanderait qu’il soit mis fin à ses services, vu qu’il considère avoir « la conscience tranquille » pour avoir rendu son jugement « en toute conviction ». Lorsqu’il a été invité à se présenter hier devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il s’est montré disposé à obtempérer et à ne pas se désister, mais aussitôt qu’il a été mis au fait d’une enquête que compte mener à son encontre l’Inspection judiciaire, il a remis sa démission au CSM. La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, a annoncé hier avoir demandé à « l’autorité légalement compétente » de se pencher sur l’affaire, pour « garantir la bonne marche de la justice et préserver son prestige ». Dans le communiqué qu’elle a publié, Mme Najm n’a pas mentionné le nom de l’organisme, dans une volonté de préserver la confidentialité, affirme une source proche de la ministre. Selon la loi, la procédure appliquée au sein de l’Inspection judiciaire n’est pas publique et l’identité des magistrats faisant l’objet d’investigations ne doit pas être révélée. Tout en affirmant son attachement à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs, ainsi que son refus d’« évaluer les décisions judiciaires », la ministre a jugé que « la liberté d’expression et de publication est sacrée ». Une valeur qui l’aurait donc incitée à saisir l’Inspection judiciaire.
L’Orient-Le Jour a tenté de joindre le juge Mazeh, mais c’est un proche qui a répondu. « Mohammad Mazeh n’est pas un magistrat corrompu », s’insurge-t-il, se demandant « pourquoi le jugement a pris tant d’ampleur, alors qu’il n’est pas sacré et peut faire l’objet d’un recours en appel et être ainsi infirmé par la voie légale ». « Chaque magistrat a le droit de statuer selon son intime conviction », martèle-t-il, assurant que son proche « n’est affilié ni au Hezbollah ni au mouvement Amal ». « S’il l’était réellement, il ne serait pas encore à ce poste et aurait été promu sur base de son mérite. » Et d’indiquer que fin avril, Mohammad Mazeh avait failli démissionner au motif qu’il avait été très critiqué en raison d’un jugement prononcé en faveur d’un client d’une branche de la banque BLOM (Tyr) et à l’encontre du président et des membres du conseil d’administration de l’établissement qu’il a frappés d’interdiction de quitter le territoire. La banque ayant refusé un retrait pour payer des frais médicaux de la mère du déposant, celui-ci a pu retirer 40 000 dollars en vertu du jugement, affirme le proche précité.
Pour que M. Mazeh puisse démissionner, encore faudrait-il que sa démission soit acceptée par le CSM. Le cas échéant, la ministre de la Justice devrait établir et signer un projet de décret avant qu'il ne soit acheminé au ministre des Finances, au chef du gouvernement et au président de la République. L’avantage d’une démission acceptée est la perception d’indemnités de fin de services, tandis que l’enquête de l’Inspection judiciaire (composée de membres nommés par le Conseil des ministres) peut aboutir à la saisie du Conseil de discipline (dont les membres sont nommés par le CSM) qui pourrait, dans un cas extrême, démettre le magistrat de ses fonctions sans lui verser d’indemnités. Mais une haute source judiciaire indique à L’OLJ que le dossier ne risque pas de parvenir au conseil de discipline, l’Inspection judiciaire pouvant considérer qu’il n’y a pas matière à des poursuites.
« Persona non grata »
Entre-temps, au niveau politique, cet épisode fâcheux reste toujours au cœur d’une polémique entre le courant hostile à la politique et au discours américain, concernant notamment le Hezbollah, et celui qui, au contraire, considère que c’est justement la politique de la formation chiite qui cause du tort au pays.Dans les milieux du parti chiite, les positions de la diplomate américaine restent stigmatisées. À l’issue d’une réunion de la commission parlementaire des Affaires étrangères et des Émigrés, en présence du ministre des Affaires étrangères Nassif Hitti, et de la ministre de la Justice, le député Hassan Ezzeddine (proche du tandem chiite) a accusé ouvertement Mme Shea de s’immiscer dans les affaires intérieures du pays. « L’ambassadrice américaine a effectué des visites et communiqué avec les médias plus qu’aucun autre diplomate pendant une même période ; elle a enfreint la loi imposant de ne pas inciter aux dissensions confessionnelles ; elle a accusé le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, de menacer la stabilité et d’entraver les solutions à la crise économique ; elle réclame un gouvernement d’indépendants où le Hezbollah ne serait pas représenté ; elle veut imposer son avis sur la composition du cabinet. Tout cela n’est-il pas une menace pour la stabilité, la sécurité et l’entente nationale? » s’est-il demandé. Et de lancer : « Le ministre des Affaires étrangères peut aller jusqu’à lui signifier qu’elle est persona non grata. »
Le mouvement Amal, lui, adopte une position plus nuancée sur le sujet. Le député Yassine Jaber, qui présidait la réunion de la commission, s’est contenté d’évoquer « une ligne rouge à ne pas dépasser, celle de l’unité nationale ». « La commission a demandé au ministre des Affaires étrangères d’appliquer dans les deux sens la convention de Vienne sur l’action diplomatique, sachant que nous n’admettons pas que nos ambassadeurs s’ingèrent dans les affaires intérieures de pays auprès desquels ils représentent le Liban. »
Quant à l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, il s’est insurgé contre le jugement qu’il a décrit « comme une défiguration de ce qui reste de la réputation de la justice ». Il a estimé que cette décision « a porté un grand coup à l’État et l’a poussé dans une position où il paraît enfreindre les lois internationales et diplomatiques, et violer les libertés de la presse et de l’information ».
Pourqoi il a fait ca ? Qui il y a dérriere ? C'est un rébus
18 h 24, le 01 juillet 2020