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Politique - Polémique

Les dérives judiciaires atteignent un nouveau sommet

Un juge des référés tente de museler l’ambassadrice US et les médias, le palais présidentiel essaie de rectifier le tir.

Les dérives judiciaires atteignent un nouveau sommet

Dorothy Shea, ambassadrice des États-Unis. Photo tirée du site de l’ambassade des États-Unis au Liban

Les dérives judiciaires ont atteint un nouveau sommet avec la décision, samedi, d’un juge des référés de Tyr, proche du Hezbollah, de museler l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea et les médias opérant sur le territoire libanais, à qui il a interdit de répercuter ses déclarations, et ce un an durant.

Ce jugement inattendu, applaudi par les députés et des avocats du parti chiite, est à mettre sur le compte de l’épreuve de force engagée entre le Hezbollah et les États-Unis, qui accentuent les pressions sur la formation de Hassan Nasrallah. Les propos de Mme Shea, qui a fait assumer au parti pro-iranien la situation délétère dans laquelle se trouve le pays, lors d’une interview à la chaîne télévisée al-Hadath vendredi, l’accusant de déstabiliser le Liban, interviennent à la suite d’un certain nombre de déclarations sur le même thème et le même ton, faites au cours des derniers jours par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo et son adjoint David Schenker. La décision du juge Mohammad Mazeh devrait ainsi être interprétée comme une réponse indirecte du Hezbollah à la campagne américaine dont il est l’objet. Si le verdict a provoqué un tollé dans les milieux de l’opposition, qui ont dénoncé un précédent dangereux, elle n’a entraîné aucune réaction du gouvernement hormis celle, timide, de la ministre de l’Information, Manal Abdel Samad, laquelle s’est contentée de rappeler les textes de loi et procédures relatives à la liberté de l’information.

L'Editorial de Issa GORAIEB

De mal en pitres

Dans les faits, le juge Mohammad Mazeh, saisi le jour même par une requérante qui a estimé que les propos de Dorothy Shea au Hadath sont de nature à « semer la discorde et mettre en danger la paix civile », a apparemment jugé le danger imminent et s’est empressé de rendre son jugement, en vertu duquel il a prévu de sanctionner tout support médiatique contrevenant par le paiement d’une amende de 200 000 dollars. « L’ambassadrice américaine s’en est pris à un parti représenté au sein du Parlement et au gouvernement, s’ingérant ainsi dans des affaires libanaises intérieures, contrairement aux conventions internationales », avance M. Mazeh dans les motifs de sa décision, soulignant que « la liberté d’expression est sacrée, à condition de respecter l’ordre public ».

Nombre de médias n’ont pas respecté ce jugement, tandis que Mme Shea a multiplié les déclarations à la presse, maintenant ses critiques envers le Hezbollah. Elle a qualifié de « malheureuse » l’initiative du magistrat, a mis en garde contre les atteintes aux libertés au Liban et précisé que le gouvernement lui a présenté des excuses, une information que n’a pas confirmée la ministre de l’Information.

La séparation des pouvoirs
L’initiative du magistrat ne peut d’ailleurs qu’embarrasser le Liban officiel de plus en plus isolé au niveau international. On apprenait hier que l’ancien ministre de la Justice, Salim Jreissati, conseiller du chef de l’État Michel Aoun, est entré en contact avec Dorothy Shea pour lui assurer que la décision de M. Mazeh « n’a pas été inspirée par une position politique officielle ». Il lui a affirmé que « le Liban est tenu par la convention de Vienne, en vertu de laquelle toute position de l’État doit être communiquée à un diplomate par le ministre des Affaires étrangères, selon les règles diplomatiques ».

Dans ce contexte, Mme Shea a été convoquée pour cet après-midi au palais Bustros par le chef de la diplomatie Nassif Hitti. Contactée par L’Orient-Le Jour, une source proche du ministère des AE qualifie le jugement de « démarche populiste pure ». Un magistrat n’a pas qualité à se prononcer sur un problème généré par les déclarations d’un diplomate, indique-t-elle, soulignant que la question doit être réglée par les soins du ministre. Telle est également l’opinion de Rizk Zogheib, avocat et maître de conférences à la faculté de droit et de sciences politiques de l’Université Saint-Joseph, qui considère que « les relations extérieures d’un État ne doivent pas être gérées par des actions de justice internes ». « Il ne revient pas au juge d’interférer dans les relations extérieures de l’État. Une telle démarche viole le principe de la séparation des pouvoirs, gênerait l’action gouvernementale et pourrait avoir un effet contreproductif. »

Commentaire

Détruire le Liban pour le sauver du Hezbollah ?

Au palais Bustros, les déclarations de l’ambassadrice devraient être donc traitées « de manière diplomatique », indique une source du ministère des AE. Entendre par là que le ministre Nassif Hitti devrait faire comprendre à Mme Shea qu’un ambassadeur n’a pas le droit, conformément à la convention de Vienne, d’attaquer un parti politique représenté à l’intérieur de l’État. Il lui ferait savoir que même si le pays qu’elle représente se positionne clairement contre telle ou telle formation, il ne lui appartient pas de s’exprimer sur ce plan de façon « aussi explicite et constante ».

Sauf qu’on se demande si Mme Shea aurait été convoquée dans le cas où ses déclarations n’avaient pas été mises sur le tapis par la décision des référés. Rien n’indique que la question aurait suscité un mécontentement provoquant sa convocation, répond un observateur qui déplore une politique des deux poids, deux mesures, pratiquée par les autorités libanaises en matière de politique étrangère. L’ancien ministre des AE Gebran Bassil n’avait, par exemple, jamais convoqué l’ambassadeur d’Iran pour réclamer la libération du Libanais Nizar Zakka, détenu dans les geôles iraniennes pendant plus de trois ans et demi à partir de septembre 2015, rappelle-t-il. Il souligne que M. Bassil n’a formulé la demande de remise en liberté qu’en mai 2018, à l’occasion de la visite d’adieux effectuée au palais Bustros par l’ambassadeur iranien de l’époque, et ce alors même qu’il était convaincu que M. Zakka était détenu arbitrairement, puisqu’il a réclamé sa libération.

Blocage systématique
Le deuxième volet du jugement, celui par lequel M. Mazeh a interdit à la presse écrite, télévisée et électronique de diffuser des propos de Dorothy Shea, n’a pas été moins stigmatisé. Dans les rangs des juristes, Me Zogheib qualifie d’« inhabituel » qu’un juge des référés intervienne dans des matières relevant de la liberté d’expression et d’information. Pour sa part, un spécialiste ayant requis l’anonymat juge « inappropriée » la décision d’interdire « à l’avance » la diffusion d’informations. « Comment, en l’espèce, peut-on prévoir que l’ambassadrice exprimera des propos hostiles ? » s’interroge-t-il, notant que « ses déclarations pourraient par exemple porter sur l’aide militaire que son pays accorde à l’armée ».

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Rappelant d’abord qu’en la forme, « seul le tribunal des imprimés peut statuer sur ce qui peut ou non être publié dans les médias », Ayman Mhanna, directeur de SKeyes (Fondation Samir Kassir pour la liberté de la presse et de la culture), estime lui aussi que « le jugement est mal conçu et dénote une compréhension limitée du fonctionnement des médias ». Il fait observer que des cadres de l’ambassade américaine, tels le chargé d’affaires américain ou le responsable des relations publiques, pourraient faire des déclarations puisqu’ils ne semblent pas visés par la décision. De même, indique-t-il, Mme Shea pourrait publier sur le site de l’ambassade des communiqués qui seraient transcrits ensuite par d’autres sites. « De telles publications seraient-elles considérées comme des violations ? » s’interroge M. Mhanna, indiquant que le cas échéant, « il s’agirait alors d’un blocage systématique et généralisé de l’accès à l’information ». Et de déplorer : « En tout état de cause, tant que les magistrats statueront en fonction de leurs sympathies et affiliations politiques, la justice ne sera pas indépendante. »

« La conscience tranquille »
Des informations ont circulé hier selon lesquelles le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, a déféré M. Mazeh auprès de l’Inspection judiciaire. Une source du parquet de cassation indique toutefois à L’OLJ qu’il n’en est rien, soulignant néanmoins que ce département peut se saisir d’office, mais que jusqu’à l’heure il ne l’a pas fait. Du côté du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), on fait remarquer qu’au point de vue judiciaire, le jugement peut faire l’objet d’un recours en appel en vue d’être infirmé. Quant aux sanctions disciplinaires, l’instance judiciaire pourrait se concerter demain lors de sa réunion périodique, ou même avancer à aujourd’hui les consultations. M. Mazeh a annoncé hier qu’il envisage de démissionner au cas où on voudrait l’auditionner, affirmant dans un communiqué avoir « la conscience tranquille ». Il faut aussi savoir que le projet de nominations judiciaires, toujours en suspens auprès du président Aoun, prévoit de muter le juge des référés au poste de conseiller auprès de la cour d’appel de Saïda. Ce qui peut être interprété comme une volonté de ne pas le maintenir dans un poste où la décision ne revient qu’à lui.


Mohammad Mazeh, juge des référés de Tyr.


« La tentative du Hezbollah de réduire au silence les médias est pathétique », souligne l’ambassade US à « L’OLJ »

« La tentative du Hezbollah de réduire au silence les médias est pathétique », a affirmé hier Casey Bonfield, porte-parole de l’ambassade des États-Unis à L’Orient-Le Jour. « Nous assistons à une tentative de diversion, a-t-il ajouté. Le Liban a une grande tradition de liberté de la presse et d’expression qui joue un rôle important au sein de la société. » « Le fait même d’avoir imaginé utiliser la justice pour étouffer la liberté d’expression et celle de la presse est ridicule. Nous nous tenons aux côtés du peuple libanais et contre la censure voulue par le Hezbollah », a-t-il poursuivi, reprenant quasiment mot pour mot la réaction du département d’État américain. « Pendant que les Libanais font la queue devant les commerces d’alimentation, le Hezbollah est occupé à installer l’Iran sur les rives de la Méditerranée », a conclu M. Bonfield.

Les dérives judiciaires ont atteint un nouveau sommet avec la décision, samedi, d’un juge des référés de Tyr, proche du Hezbollah, de museler l’ambassadrice des États-Unis Dorothy Shea et les médias opérant sur le territoire libanais, à qui il a interdit de répercuter ses déclarations, et ce un an durant.Ce jugement inattendu, applaudi par les députés et des avocats du parti...

commentaires (16)

La vraie question est pourquoi les fondations de la paix civile se sont elle affaiblies ? et quelles actions pertinentes concrètes exécutives nos pseudo politiciens entament pour y remédier ?

Alors...

15 h 40, le 29 juin 2020

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Commentaires (16)

  • La vraie question est pourquoi les fondations de la paix civile se sont elle affaiblies ? et quelles actions pertinentes concrètes exécutives nos pseudo politiciens entament pour y remédier ?

    Alors...

    15 h 40, le 29 juin 2020

  • Une amende de 200.000 usd ! Rien que pour cela le Juge Mazeh devrait être déféré, ceci pour usage de monnaie étrangère ! Il n'a pas honte de dicter des lois avec de l'argent américain? Kelloun, Ye3né Kelloun, y compris les juges de ce style.

    Aboumatta

    15 h 38, le 29 juin 2020

  • Ca n'empêche que le Liban n'est pas une colonie des États-unis. Un peu de réserve et de retenue concernant la politique interne du Liban de la part de Mme Shea, l'ambassadrice US serait tout de même bienvenues. Qu'on soit ou non d'accord concernant un certain parti.

    Sybille S. Hneine

    15 h 31, le 29 juin 2020

  • L ' OLJ...rubrique "dernières infos...13:00" et suite du feuilleton..." l'ambassade d'Iran à Beyrouth critique de nouveaux propos de l'ambassadrice US"...alors...ce qui est permis à la première...est interdit à la deuxième ? Dites...vivons-nous dans un pays ou dans une immense jungle...??? Irène Saïd

    Irene Said

    14 h 30, le 29 juin 2020

  • LA VERITE RIEN NE M'ETTONNE PLUS DANS CETTE REPUBLIQUE BANANIERE OU LE CPL A VENDU SON AME POUR ACCEDER AU POUVOIR AVEC LES RESULTATS VISIBLES AUJOURDH'UI APRES A PEINE 3 ANS DE POUVOIR FORT

    LA VERITE

    13 h 59, le 29 juin 2020

  • Quatre pages et demie rageusement griffonnées un samedi sur papier sans en-tête ni cachet, comme on dit, ça pose son juge.

    Christine KHALIL

    12 h 01, le 29 juin 2020

  • On attend toujours le bon vouloir de ce prétendu juge qui s’immisce dans les affaires étrangères du Liban pour décider de démissionner ou pas au lieu de le virer sur les champs pour avoir outrepasser ses prérogatives de simple juge. Où sont les instances judiciaires et politiques pour réagir à l’impensable déclaration de limoger la presse et les positions des états qui finances notre armée pendant que l’Iran et ses alliés siphonnent ses resources et se permettent de décider de la politique intérieure de notre pays sans qu’aucun responsable politique n’ose protester contre leurs ingérences dans un pays de surcroît républicain. On marche sur la tête et ça n’est que le debut de la fin de la démocratie dans ce poulailler où chaque coquelet se prend pour le coq et pousse sa chansonnette en attendant que quiconque l’empêche de continuer. Mais voilà lorsqu’il n’y a pas de vrai coq, le coquelet se croit capable de lancer ses fausses notes et prend le pouvoir au poulailler.

    Sissi zayyat

    10 h 17, le 29 juin 2020

  • une gifle retentissante assénée non pas par Mrs. Shea mais bien par le bruit qu'en avaient fait les medias en reaction. Quant a elle, Mrs. Shea s'en etait amusee comme beaucoup du bruit en question .

    Gaby SIOUFI

    09 h 52, le 29 juin 2020

  • Le ministre des affaires étrangères, M.Hitti, devrait présenter des excuses à l'ambassadrice des EU non seulement pour violation de l'article 31 de la convention de Vienne de 1961 en vertu duquel l'agent diplomatique jouit de l'immunité de la juridiction pénale, civile et administrative de l'Etat accréditaire mais aussi, pour atteinte à la dignité et à la liberté de l'ambassadrice des EU, une dignité et une liberté protégées par l'article 29 de la même convention. Selon l'article 29, l’Etat accréditaire doit traiter l'agent diplomatique avec le respect qui lui est dû et prendre "toutes mesures appropriées pour empêcher toute atteinte à sa personne, sa liberté et sa dignité". Or en se permettant de faire une injonction illégale, violant l'immunité de juridiction de l'ambassadrice - une injonction rendue publique et largement diffusée - interdisant à l'ambassadrice des EU de faire des déclarations aux medias, le juge contrevenant s'est rendu coupable d'une grave atteinte à la liberté d'expression et à la dignité de l'ambassadrice, selon les termes de l'article 29 de la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques avec tout ce que ce comportement peut induire de conséquences au niveau diplomatique. Quant à la question de l'immixtion dans les affaires intérieures du Liban prévue à l'article 41 de ladite convention, celle-ci est soumise à l'appréciation du ministre des affaires étrangères.

    Citoyen volé

    09 h 30, le 29 juin 2020

  • L,AMBASSADRICE SHEA N,A FAIT QU,EXPRIMER CE QUE REPETENT LES TROIS QUARTS DU PEUPLE LIBANAIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 00, le 29 juin 2020

  • Le juge des référés Moh. Mazeh menace de démissionner ? Quelle bonne idée ! Qu'il emmène aussi avec lui tous ceux qui ont l'esprit embué par l'obscurantisme et l'obsession "anti-tout-ce-qui-ne-pense-pas-comme-eux" . Peut'être que notre pays pourra enfin respirer et vivre normalement...Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 42, le 29 juin 2020

  • Quand l’état Libanais s’efforce à garder la côtière ouverte parce qu’elle est stratégique pour l’état de Hezbollah que doit-on conclure? Nous vivons actuellement dans l’état du hezb qui est prêt détruire ce qui reste du Liban pour garder ses armes.

    EL KHALIL ABDALLAH

    08 h 37, le 29 juin 2020

  • Encore une preuve de l'incompétence et de imbécillité de nos sois-disant responsables et juges à la solde des différentes milices du pays...

    Fadi Chami

    08 h 12, le 29 juin 2020

  • P A T H E TI Q U E L A M E N T A B L E Le hezbollah qui dicte ses volontés et le gouvernement regarde et ne répond PAS officiellement ....Mais juste officieusement et timidement pour ne pas facher les intégristes chiites.

    LE FRANCOPHONE

    07 h 22, le 29 juin 2020

  • 1) Le juge Mazeh, ayant outrepassé ses fonctions et volontairement créé un incident diplomatique avec un pays ami doit être illico presto démis de ses fonctions (on ne doit même pas lui accorder le temps de démissionner lui-même de façon honorable). 2) Mme Shea, ambassadeur des USA (Oui, je dis bien "ambassadeur". Il s'agit d;une fonction qui peut être exercée par un homme ou par une femme, En français , contrairement au charabia a mode, "ambassadrice" est un terme de courtoisie désignant la femme de l'ambassadeur), en s'attaquant au Hezbollah soutient du fait même le Liban. Elle fait ce que nous n;avons pas le pouvoir (ou le courage) de faire nous-mêmes. Nous devrions lui en être reconnaissants. 3)Lorsqu'elle dit que le Hezbollah est un obstacle au renflouement du Liban, elle ne fait qu'exprimer une vérité évidente que personne ne peut contester. Comment peut-on lui en vouloir?

    Yves Prevost

    07 h 08, le 29 juin 2020

  • Le minuscule Charlie Chaplin, dans plusieurs films, se cachait derrière une personne pour se protéger du courroux d'un bien plus puissant que lui. bien sûr le pauvre protecteur malgré lui se faisait tabasser généreusement avant la fuite d'un Chaplin perdant.....le hezb répète les rôles de Chaplin, le gros puissant joué par les USA à travers la voix de leur ambassadrice, et devinez donc qui est celui entre les deux et qui se fait tabasser à chaque coup??? 7000 livres libanaises si vous avez deviner le Liban!!! Mabrouk...

    Wlek Sanferlou

    03 h 38, le 29 juin 2020

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