Rechercher
Rechercher

À table, Caesar !

C’est bien vrai que l’on est acculé parfois à combattre le feu par le feu ; mais croit-on sérieusement pouvoir neutraliser la tempête en s’escrimant à remuer du vent ?


C’est pourtant ce que fait, par brassées entières, un pouvoir exécutif complètement dépassé par les événements. Trop peu, trop tard : le pressant appel à l’unité des rangs lancé hier par le chef de l’État survient à l’heure où la ruine est largement entamée, sinon déjà consommée. En outre, la relance du dialogue national à laquelle sont conviés, pour le 25 juin, le président de l’Assemblée, les chefs de partis et de groupes parlementaires ainsi que les anciens présidents et chefs de gouvernement, n’incite guère à l’optimisme, à la lumière des expériences du passé. De session en session, les chevaliers de la tristement célèbre table ronde dressée pour le dialogue n’ont cessé en fait de tourner en rond autour de l’épineuse question de l’arsenal du Hezbollah. Et quand, de guerre lasse, on a fini par s’accorder sur une charte d’honneur consignée dans une déclaration de Baabda, c’était seulement pour voir très vite s’envoler en fumée les engagements solennellement contractés.


Alors, on prend les mêmes et on recommence, avec au menu cette fois l’ensemble des volets politique, économique, financier et social de la crise, auxquels s’ajoute maintenant l’impact sur le Liban des nouvelles sanctions américaines contre la Syrie. Il est clair que sous couvert de retrouvailles nationales, l’initiative présidentielle n’a d’autre objet en réalité que d’associer l’ensemble de l’establishment politique (celui-là même qu’a répudié en vrac la révolution du 17 octobre) à la responsabilité des développements à venir, des désastres annoncés. Cette responsabilité, on sait avec quel aplomb le régime s’en exempte, en dépit des scandales qui n’ont pas épargné le parti présidentiel : avec quelle constance il la rejette sur les dirigeants des trois décennies écoulées.


Le procédé a d’ailleurs fait école, et c’est en un temps record que le Premier ministre – qui, à sa décharge, est étranger, lui, aux vicissitudes du passé récent et lointain – a retenu le refrain. Le problème cependant est que dans ses actes comme dans ses propos publics, Hassane Diab a appris aussi à délaisser le mouchoir de poche libanais pour évoluer sur une autre planète. Pour ses cent jours d’exercice, il se targuait, il y a peu, d’avoir atteint 97,5 % de ses objectifs. Et le voilà qui, au lendemain du saccage du centre-ville de Beyrouth perpétré vendredi dernier au soir, affirme avoir réchappé, avec son gouvernement, à une vile tentative de coup d’État. Qui exige que les vandales soient châtiés, comme si la machine judiciaire était tenue d’attendre ses directives pour sévir contre eux. Qui s’abstient néanmoins de désigner les trublions alors qu’ils sont parfaitement identifiés, que tout le monde sait qui les lâche dans la nature et puis tire sur la laisse, alors même que leurs selfies caracolent avec insolence sur le Net. Qui enfin, tout Premier ministre qu’il est, demande où donc est passé l’État dans la chienlit ambiante, nous volant, du coup, l’amer plaisir de lui poser cette même question !


Toujours est-il qu’avec l’entrée en vigueur des nouvelles sanctions américaines contre la Syrie et quiconque lui porterait assistance, c’est un test fatidique qui, dès ce 17 juin, attend la compétence, la sagacité et surtout la conscience des gouvernants. Comme il fallait s’y attendre, Hassan Nasrallah pressait hier l’État libanais de contourner la loi Caesar en s’en allant frapper à la porte des bons samaritains iraniens ou chinois : autrement dit, de continuer à laisser fuiter vers Damas nos billets verts écumés au marché noir, de même que la farine et le fuel subventionnés.


Fort bien que tout cela. Ne reste plus, comme le dit si bien Hassane Diab, qu’à trouver où diable il est allé se nicher, l’État !


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

C’est bien vrai que l’on est acculé parfois à combattre le feu par le feu ; mais croit-on sérieusement pouvoir neutraliser la tempête en s’escrimant à remuer du vent ? C’est pourtant ce que fait, par brassées entières, un pouvoir exécutif complètement dépassé par les événements. Trop peu, trop tard : le pressant appel à l’unité des rangs lancé hier par le chef de...