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Culture - Rencontre

Ali Chahrour : Nos politiciens ne croient ni en l’art ni en la culture

Bloqué à Beyrouth depuis le début du confinement, le chorégraphe et danseur libanais est mis en difficulté par la double épreuve du Covid-19 et de la crise économique. Sa nouvelle création, « Du temps où ma mère racontait », est actuellement en suspens : festivals annulés, crise des liquidités et confinement forcé l’ont contraint à repenser tous ses plans, voire même à envisager de quitter le pays...

Ali Chahrour : Nos politiciens ne croient ni en l’art ni en la culture

Ali Chahrour : « Je ne ressens pas le besoin de me montrer, de faire des talks ou des performances en ligne : je ne crois pas à ces plateformes numériques pour le théâtre. Je sens qu’on y perd quelque chose d’essentiel. » Photo Nadim Asfar

« Aujourd’hui, il est devenu impossible de monter un spectacle de danse au Liban. À vrai dire, ça a toujours été compliqué ici, quoique j’étais heureux de faire l’effort de me démener pour cet art, ayant toujours cru que ce combat en valait la peine. Mais ces derniers temps, j’ai l’impression d’avoir atteint la limite, je suis vraiment fatigué de me battre en permanence pour trouver des solutions à des problèmes dont je ne suis pas responsable. » Comme la plupart des acteurs de la scène culturelle libanaise, Ali Chahrour ne cache pas son inquiétude face à la crise galopante qui ronge le pays. Le chorégraphe et son équipe auraient dû être le 4 juin sur la scène du théâtre al-Madina, pour dévoiler la première de leur dernier spectacle, Kama Rawatha Oummi (Du temps où ma mère racontait). Mais les répétitions ont été arrêtées en plein vol, à peine deux mois après leur démarrage, au moment où le confinement imposait la suspension de toutes les activités culturelles. « Nous avions déjà un agenda plein pour le dernier spectacle : après Beyrouth, on devait le présenter en Italie, au Napoli Teatro Festival. Puis le jouer en France, en Avignon, puis en Allemagne, au Kunstfest Weimar Festival… Tout a été annulé à cause du coronavirus », déplore l’artiste.

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Après le succès international qu’ont connu ses précédents spectacles, joués aux quatre coins du monde et réguliers du Festival d’Avignon, Du temps où ma mère racontait était très attendu par le public. Ce projet était annoncé comme le second volet, après Leyl, d’une trilogie autour du thème de l’amour. Aujourd’hui, Ali Chahrour doit désormais se contenter des mots pour le présenter : « Du temps où ma mère racontait parle de l’amour dans les familles, notamment du pouvoir des mères, de leur force devant l’amour infini qu’elles portent à leurs enfants. À partir de vraies histoires, j’ai voulu raconter le combat des mères pour faire vivre leurs enfants dans un contexte intense. C’est très personnel, ça part de ma propre famille pour aller vers d’autres. À partir de ces histoires intimes très contemporaines, on peut comprendre la complexité du contexte politique libanais. » Si le spectacle ne parle pas directement de la révolution d’octobre, les répétitions ont commencé au moment des protestations et ont imprégné sa progression. « À peine finissait-on les répétitions qu’on allait directement dans la rue pour protester. Parfois, les routes étaient bloquées et on ne pouvait se rendre à la salle de répétition. La révolution est en arrière-plan de ce spectacle, son énergie l’entoure et l’englobe », explique le chorégraphe.

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Révolution, crise économique, pandémie… et maintenant le confinement, une réalité difficile qui a bouleversé tous les plans de l’artiste pour son nouveau spectacle. « Les premiers mois, j’étais complètement perdu. Ça m’a pris du temps de réaliser que tout ce que j’avais planifié pour l’année à venir, créations, festivals, répétitions… tout s’effondrait. Toutes ces annulations m’ont vraiment déstabilisé », révèle l’artiste.


« Du temps où ma mère racontait » parle de l’amour dans les familles, notamment du pouvoir des mères, de leur force devant l’amour infini qu’elles portent à leurs enfants. Photo Myriam Boulos


Une lutte sans filet de sauvetage…

Avec l’interdiction d’ouvrir les salles de spectacles, les restrictions bancaires pour les devises, l’aéroport fermé et aucune subvention de la part de l’État, la situation devient de plus en plus précaire pour les artistes libanais. Ali Chahrour, qui ne déroge pas à la règle, ne mâche pas ses mots : « Ces derniers mois, j’ai passé l’essentiel de mon temps à tenter de trouver des solutions pour récolter de l’argent, pour payer mon équipe, pour trouver un espace de répétition. Tous nos sponsors au Liban sont ruinés, je ne reçois pas une seule livre de la part du gouvernement libanais… Le moins que l’on puisse dire, c’est que nos politiciens ne supportent pas l’art, ils ne croient pas dans la culture ; ils ne font que trouver des magouilles pour nous voler. »

La crise semble faire plier même ceux qui se sont toujours battus le plus férocement, comme en témoigne le jeune chorégraphe : « Ça ne me dérange pas de me battre dans des conditions difficiles, j’en ai l’habitude. Mais là où j’ai un grand problème, c’est quand je sens que je ne suis pas respecté. Avec les banques, qui ne me laissent pas payer ma propre équipe pour leurs efforts, je nous sens humiliés. La plupart de mes revenus ne viennent pas du Liban, et je n’y ai plus accès à cause des banques. Quand la crise économique a commencé à sérieusement s’intensifier, j’ai pensé créer un compte à l’étranger et, lors de mes voyages, retirer de l’argent là-bas pour payer mon équipe, poursuit Chahrour. Mais l’aéroport a fermé… Ces dernières années, j’ai eu la chance de pouvoir me créer un filet de sécurité financier, mais même à cette sécurité-là, je n’ai plus accès. »

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Forcément, avec cette avalanche d’événements socio-économiques qui impacte sa vie et lui met sans cesse des bâtons dans les roues, Ali Chahrour, qui dit n’avoir jamais pensé à quitter le Liban par le passé, se voit à présent forcé de considérer l’option de l’exil... « 

C’est très triste, mais, maintenant, je suis forcé de penser à un plan B. J’aime ce pays, je suis très attaché aux gens ici, et mon travail est basé sur des références locales, mais j’ai besoin de sentir de la sécurité, et ici c’est impossible. Je ne vois rien de positif dans le futur dans ce pays », conclut-il amèrement.

« Aujourd’hui, il est devenu impossible de monter un spectacle de danse au Liban. À vrai dire, ça a toujours été compliqué ici, quoique j’étais heureux de faire l’effort de me démener pour cet art, ayant toujours cru que ce combat en valait la peine. Mais ces derniers temps, j’ai l’impression d’avoir atteint la limite, je suis vraiment fatigué de me battre en permanence...

commentaires (2)

Pourtant les artistes ont plus de valeur que toute autre personne, surtout le politicien... L'art, l'oeuvre et le nom de l'artiste restent, même après sa mort, or que les autres sont mis à l'oubli... si ce n'est 'aux maudits'...

SADEK Rosette

11 h 15, le 11 juin 2020

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Commentaires (2)

  • Pourtant les artistes ont plus de valeur que toute autre personne, surtout le politicien... L'art, l'oeuvre et le nom de l'artiste restent, même après sa mort, or que les autres sont mis à l'oubli... si ce n'est 'aux maudits'...

    SADEK Rosette

    11 h 15, le 11 juin 2020

  • oui ,résister ailleurs quand on ne peut le faire sur place puisque les réseaux ont aboli les frontières et sont ,souvent ,plus puissants que les corrompus! J.P

    Petmezakis Jacqueline

    08 h 08, le 11 juin 2020

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