Aujourd’hui, al-Mawred al-Thaqafi (Cultural resource) et AFAC se donnent la main pour la première fois pour lancer un fonds de solidarité en faveur des artistes et institutions culturelles libanais. Comment cette collaboration est-elle née ?
Les deux organisations sont spécifiquement dédiées au soutien des artistes et des organisations artistiques et culturelles dans le monde arabe à travers une multitude de programmes qui apportent un soutien financier mais aussi une aide dans le développement des compétences et des séances de formation.
Nous avons pour missions respectives de répondre aux besoins du secteur et de combler les lacunes. Il était donc naturel que nos deux organisations partagent le désir et la responsabilité de venir en aide aux organisations et aux artistes en ces temps difficiles.
Quel est le montant des aides fournies par ce fonds de solidarité et comment y postuler ?
Il faut d’abord souligner que ce fonds de solidarité est soutenu en grande partie par l’Open Society Foundation et la Ford Foundation, des partenaires de longue date d’al- Mawred et d’AFAC. L’aide peut atteindre 80 000 dollars par organisation. Seize structures actives et basées au Liban pourront en bénéficier.
Les postulants doivent présenter une lettre d’intérêt accompagnée de documents justificatifs. La date-limite de dépôt des candidatures est le 15 juin 2020. Pour les détails, il faut consulter le site :
www.arabculturefund.org/Programs/34
Qu’espérez-vous accomplir avec cette initiative ?
Nous ressentons une responsabilité quant aux besoins urgents et changeants du secteur au Liban. Nous voulons aider le plus grand nombre possible de personnes ou d’organisations et leur permettre de prendre du temps pour se réinventer et préparer de nouvelles créations.
Qui sont les bénéficiaires potentiels ? Qui encouragez-vous à postuler ?
Le Fonds est ouvert à toutes les structures qui travaillent dans les arts et la culture, toutes disciplines confondues, et qui existent depuis plus de deux ans. Nous encourageons ceux dont la survie professionnelle est en péril et ceux qui doivent faire face à de nouveaux challenges, à une remise en question de leur mission, pratiques et engagement envers les communautés.
Pouvez-vous brosser un état des lieux du secteur culturel au Liban aujourd’hui ? Comment les choses ont-elles évolué depuis 5 et 10 ans ?
Si cette question était posée avant octobre 2019 et avant la pandémie, nous aurions applaudi le foisonnement dynamique du secteur des arts et de la culture, à Beyrouth surtout mais aussi de plus en plus dans les régions. À travers toutes les disciplines – films, musique, théâtre, dance, arts visuels, photographie, écriture, recherches dans les arts –, le secteur a été construit par des individus et des collectifs passionnés et ambitieux.
Tout au long de l’année, plusieurs festivals et évènements rassemblaient les jeunes et les moins jeunes autour de manifestations artistiques savoureuses qui abordaient des sujets à portées sociales, esthétiques et imaginaires. Chaque jour, nous bénéficiions d’une palette généreuse d’options. Durant les cinq dernières années uniquement, à AFAC et al-Mawred, nous avons reçu 2 000 propositions de la part d’artistes ou d’institutions au Liban et nous en avons soutenu plus de 250.
Aujourd’hui, avec une paralysie économique de cette ampleur, cet élan est en péril et les petites initiatives actives ne peuvent plus survivre seules.
Nous passons par une période intense et tendue et l’impact sur le secteur des arts et de la culture se manifestera plus clairement dans une ou deux années. Nous pourrons également être les témoins d’un déferlement de la créativité accumulée durant les dix dernières années sur une courte période de temps. C’est pour cela qu’il est difficile d’analyser l’état du secteur alors que nous sommes en pleine « tempête ».
Nous pouvons toutefois analyser les nouvelles réalités et nous baser sur certains faits. Une crise économique a frappé de plein fouet le pays et tous les secteurs sont touchés. Étant en grande partie dépendant d’un soutien non gouvernemental, le secteur culturel est affecté de manière unique : absence de soutien public, absence de programme incitatif, infrastructures fragiles, non-existence de politique culturelle.
En d’autres termes, il s’agit d’un secteur qui a de tout temps souffert de vulnérabilité et de précarité, ce qui, en temps de crise, est magnifié et multiplié.
Avec l’effondrement économique, et plus récemment l’épidémie du coronavirus et les mesures de confinement, les artistes et les organisations culturelles et artistiques ont été percutés de plein fouet à cause de leur impossibilité de se produire ou de continuer à fonctionner. En plus, à la lumière de ces nouvelles réalités, une grande partie de ces organisations et de ces collectifs sont aux prises avec des questions cruciales et internes et réfléchissent sur la valeur et la portée de leurs travaux respectifs vis-à-vis de leurs communautés.
On entend beaucoup dire que cette crise peut être l’occasion pour nous de nous réunir et de réfléchir ensemble, de repenser les économies de la production culturelle, le fonctionnement des organisations et le mode de financement de manière à refléter les nouvelles réalités locales.
Ce discours reflète un niveau de maturité et l’urgence d’agir, mais il ne faut pas oublier que toute réflexion stratégique collective requiert du temps, des ressources et un environnement favorable.
Selon vous, en tant que directrices d’associations culturelles, à quel point la situation des artistes libanais est-elle mauvaise ?
Les artistes au Liban ne peuvent pas être mis dans une seule catégorie. La situation de l’artiste varie en fonction de son genre, de ses années d’expérience, du réseau auquel il est affilié, etc. Mais l’on peut généraliser en disant que la crise économique et la pandémie exercent une pression énorme sur les artistes qui vivent de leur art. La plupart des artistes, sinon tous, travaillent dans le secteur informel et sont tributaires de sources de revenus très instables, ce qui rend leur situation très précaire.
Prévoyez-vous d’autres initiatives pour venir en aide aux petites initiatives dans les mois ou années à venir ?
Les organisations artistiques et culturelles de la région sont en train de coordonner leurs efforts pour soutenir les acteurs culturels, individuels et collectifs.
Les organisations régionales comme al-Mawred et AFAC vont annoncer de nouvelles initiatives pour soutenir les artistes en réponse aux défis lancés par la pandémie du coronavirus. Al-Mawred a annoncé un nouvel élément à son programme Stand for Art pour aider les artistes, techniciens et acteurs culturels qui en ont le plus besoin, lors de la période de pandémie. AFAC va également lancer une bourse de résidence d’artiste pour permettre aux bénéficiaires de poursuivre leurs projets, de développer de nouvelles idées ou de trouver de nouveaux moyens de disséminer leur travail, à travers les solutions technologiques par exemple. D’autres mécanismes de financement régionaux seront également annoncés prochainement et les artistes vivant au Liban pourront évidemment y postuler.
En l’absence d’une politique d’aide et de soutien gouvernementale au secteur culturel, les artistes libanais ont compté sur l’aide étrangère ou les sponsors locaux, notamment les banques. Il va sans dire qu’ils ne pourront plus compter sur la plupart des banques libanaises aujourd’hui... Quels moyens de survie pour les artistes dans l’après Covid-19 ?
Les aides pour le secteur culturel diminuent partout dans le monde. Elles prennent aussi d’autres formes. La crise actuelle magnifie cette réalité et nous sommes incapables de prédire de possibles aides dans l’avenir. Il faut attendre et voir si la crise sanitaire mondiale va se refléter sur les fonds alloués au secteur culturel.
En dépit de tous les défis, les artistes continueront à créer. Nous sommes confiantes. Nous sommes également sûres qu’il y’aura toujours de généreux philanthropes locaux qui se montreront à la hauteur des circonstances et offriront leur soutien.
Après tout, le monde arabe est aux prises depuis plus de cinquante ans avec des défis politiques, sociaux et économiques. L’art qui a émergé durant ces années est le fruit du travail des artistes qui réagissent à ces crises et les gèrent comme ils peuvent. Leur résilience a fait ses preuves à travers les années : ils savent mieux que personne transcender toutes sortes de restrictions.
Appel à candidatures pour un master en gestion culturelle
Al-Mawred al-Thaqafy (Culture Resource) et l’Université Hassan II de Casablanca, faculté des lettres et des sciences humaines (Ben M’sik) lancent un appel à candidatures pour une bourse d’études en master de politique et gestion culturelles pour les années 2020/2022. Ce master a été fondé il y a deux ans par al-Mawred en partenariat avec l’Université Hassan II au Maroc et l’Université Hildesheim en Allemagne, à côté de sa chaire Unesco sur la politique culturelle pour les arts dans les processus de développement. Le programme, unique en son genre dans la région arabe, est proposé en arabe et en anglais sur une durée totale de deux ans. L’initiative concernant ce master vise à la formation de cadres supérieurs dans les domaines de gestion et de gouvernance culturelles dans le monde arabe. Le programme offre une bourse d’études partielle et un fonds d’aide au projet de fin de cycle, ainsi que la participation à l’académie d’été organisée en collaboration avec l’Université de Hildesheim. Le programme offre également une aide logistique et des facilités pour l’obtention d’un visa et d’un permis de résidence pour les non-Marocains.
Les postulants doivent avoir un diplôme de bachelor et 3 ans d’expérience dans le secteur culturel. Ils doivent avoir également un bon niveau en arabe et en anglais. La date limite de dépôt des candidatures est le 10 juillet 2020 à 16h, heure de Beyrouth. Pour plus d’informations :
master@mawred.org