Il y a les mots, il y a le corps, il y a la musique. C’est la splendeur tragique de l’humanité ramenée à son essence : l’amour. L’amour viscéral, celui qui enfante et détruit, celui qui blesse, celui qu’on chante.
Leyl, la toute nouvelle création de Ali Chahrour – danseur et chorégraphe de 28 ans, 2e prix L’OLJ-SGBL de la saison 1 de Génération Orient – fait partie de ces œuvres scéniques qui parviennent à s’emparer de l’esprit et à le faire s’oublier lui-même, à l’emporter ailleurs, loin, très loin au plus près de l’âme. C’est un chant, parfois malheureusement incompréhensible, qui se danse, une danse qui parle, un corps qui s’ébroue, se désarticule et se recompose sans arrêt.
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Mais par où cette magie apparaît-elle ? De la voix exceptionnelle de Hala Omran ? Des sonorités métalliques et dissonantes de la guitare de Sharif Sehnaoui ? Ou bien des rythmes chamaniques de Simona Abdallah, sur lesquels dansent Ali Shahrour et Aya Metwalli ? Probablement d’aucun, pris dans son unicité. Car c’est d’un alliage parfait, à la fois chaotique et euphonique, que naît l’incroyable intensité du spectacle, dont la dramaturgie est signée Junaid Sarieddine. Chaque geste, chaque bruit, chaque chute déploie un univers symbolique d’une richesse infinie. L’œil est pris, l’oreille est tendue, le corps rattrape l’esprit dans une véritable transe métempsychotique qui le plonge dans un état de constant sursaut pulsionnel. Leyl, par son sens de la progression, par ses gestes et ses sons répétés, parvient à l’envoûtement le plus complet, jusqu’à une libération cathartique absolue. Et ce n’est pas là un hasard : l’esthétique tribale, presque primitive, de cette performance trouve son origine dans ce qui a inspiré sa création, à savoir la lecture de nombreux textes et poèmes d’amour issus de différentes civilisations et mythes arabes. Mais aussi de la contemplation de la société actuelle, avec un point de départ bien particulier : Les Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. De là, on saisit la clef de voûte qui tient cette œuvre hybride : le phénomène de la transformation. Passage d’une vision de l’amour à une autre, d’un état à son contraire, du silence au bruit, de la dysharmonie à l’harmonie, de la mort à la naissance… autant de métamorphoses qui participent à la profondeur thématique et à la densité de ce « concert de danse », comme l’appelle justement son auteur.
Théâtre al-Madina
Hamra, centre Saroulla.
Jusqu’au dimanche 27 janvier 2019, à 20h30. Billets en vente à la librairie Antoine.
Pour mémoire
Ali Chahrour danse la tristesse d’Ishtar et sa liberté retrouvée
En lisant l'article que je devine ? Tous les ingrédients sont réunis pour un spectacle d'une très grande qualité. Lart, la beauté l'enthousiasme des gestes et l'harmonie...entre mots et musique...un voyage splendide. Notre pays ne manque pas de talents, il lui manque la volonté des politiques à se "réunir dans l'âme et l'esprit" pour concrétiser cette alchimie du vrai, de la sincérité et de l'amour de soi (c'est à dire de son prochain) il n'y à pas d'amour de son prochain sans amour de soi. Le Liban d'abord.
11 h 21, le 26 janvier 2019