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Économie - Innovation

Au Liban, les start-up subissent aussi les affres de la crise

Berytech a récemment lancé un appel aux institutions universitaires et gouvernementales pour doper « l’économie de la connaissance ».

Un prototype de distributeur de man’ouchés développé par une start-up libanaise. Photo P.H.B.

La crise économique et financière que traverse le Liban, doublée par les mesures de confinement liées au Covid-19 qui viennent à peine d’être assouplies, a lourdement handicapé la quasi-totalité des secteurs, y compris celui de l’innovation.

« Les start-up ont elles aussi subi une double peine, avec d’abord les restrictions bancaires (mises en place depuis fin août dernier, NDLR) puis le confinement lié au Covid-19 décrété par les autorités en mars et qui a commencé à être progressivement levé en mai », confirme à L’Orient-Le Jour Fadi Bizri, partenaire à B&Y Venture Partners et gestionnaire de programme à SE Factory. Les banques libanaises ont en effet drastiquement limité les opérations bancaires pouvant être effectuées à partir des comptes en dollars – hors argent frais, dont la liberté de disposition est garantie depuis avril par la Banque du Liban.

« Cela a posé d’importants problèmes de fonctionnement pour les start-up qui avaient des engagements financiers à l’étranger », poursuit Fadi Bizri, évoquant par exemple des incidents de paiement à gérer pour le règlement de frais liés à la location des serveurs informatiques. Le constat est un peu plus nuancé pour les levées de fonds. Si beaucoup d’investisseurs ont décidé de reporter ou d’annuler leurs décisions, aussi bien en conséquence des restrictions bancaires que de la conjoncture défavorable en raison de l’impact du Covid-19 sur l’économie mondiale, certains ont au contraire décidé d’aller de l’avant.

Circulaire n° 331 « gelée »

« La circulaire n° 331 de la Banque du Liban est officieusement gelée aujourd’hui, mais de toute manière, ce n’était pas le premier moyen pour les start-up de recevoir des fonds. Les « business angels » et les fonds étrangers étaient et sont toujours majoritaires », souligne de son côté Jihad Bitar, directeur de l’incubateur/accélérateur d’entreprises Smart ESA basé à Beyrouth. Publié en 2013, ce texte encourage les banques commerciales à investir dans l’innovation en garantissant les sommes injectées à hauteur de 75 %.

« (Certaines) start-up avaient plus de mal à obtenir des investissements il y a un an que maintenant. Aujourd’hui, certains business angels préfèrent sortir leur argent des banques, au vu de la situation économique, pour l’investir dans des start-up au Liban », ajoute-t-il. Cette tendance n’est toutefois pas aussi franche que celle en vogue dans l’immobilier, vers lequel de nombreux déposants qui se sont vu restreindre l’accès à leurs fonds ont investi ces derniers mois. Sur d’autres plans, la crise, dans toutes ses dimensions, a bien entendu lourdement perturbé le rythme des affaires avec la fermeture des banques et des administrations, que ce soit dans les semaines qui ont suivi le début des manifestations contre le pouvoir qui ont éclaté le 17 octobre dernier ou avec le lancement de l’état d’urgence sanitaire le 15 mars. « Certaines start-up ont même vu leurs débouchés disparaître avec la mise à l’arrêt des secteurs sur lesquels elles avaient misé, comme le tourisme et la restauration », note Fadi Bizri, alors que d’autres misant sur des domaines d’intérêt immédiat, comme la médecine, ont créé de nombreuses opportunités et rencontré un joli succès en dépit des circonstances.

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Il n’y a pour l’heure aucune estimation globale du nombre de start-up qui ont dû mettre la clef sous la porte. « On peut simplement constater que celles qui étaient déjà à des stades avancés et qui ont de l’argent à l’étranger s’en sortent mieux que les autres », note encore l’entrepreneur.

Cette conjoncture défavorable n’a cependant pas suffi à décourager l’écosystème de soutien aux start-up libanaises, la société Berytech qui a publié le 14 mai un rapport stratégique ciblant les enjeux du secteur. Réalisé en collaboration avec la plateforme de coopération pour le développement économique euro-méditerranéen, Anima, au gré de l’initiative The Next Society (active dans 7 pays méditerranéens), le document inclut une liste de 29 « recommandations concrètes » pour « stimuler le transfert et la commercialisation de technologies au Liban ». Les auteurs du rapport ont déjà communiqué dessus, notamment sur les réseaux sociaux.

Outre l’État et ses institutions, qui sont invités à renforcer la coopération avec le secteur privé, ces pistes s’adressent principalement à cinq universités privées – l’Université américaine de Beyrouth, l’Université Saint-Joseph, l’Université libano-américaine, l’Université de Balamand et l’Université Saint-Esprit de Kaslik – à qui Berytech demande de « révolutionner » le processus de transfert de technologies. Le rapport appelle également le gouvernement à enfin investir dans le secteur dans le but de propulser « l’économie de la connaissance » sur le devant de la scène libanaise.

Plan McKinsey

En septembre dernier, le gouverneur de la BDL avait estimé que le secteur des start-up numériques et technologiques pesait près d’un milliard de dollars et contribuait à hauteur de 1,5 % au PIB. Le développement de l’innovation, plus prosaïquement « l’économie de la connaissance », a régulièrement été mis sur la table comme une des alternatives possibles pour transformer l’économie libanaise en un modèle plus productif. Le plan de redressement du gouvernement y consacre quelques lignes, mais c’est surtout le rapport McKinsey, commandé par le Liban début 2018 et publié un an plus tard, qui l’avait érigé au rang d’axe majeur représentant un fort potentiel pour le pays.

Dans son rapport, Berytech relève pour sa part les lacunes du pays dans ce domaine. Ses auteurs citent notamment l’absence de réglementation solide en matière de protection de la propriété intellectuelle – régulièrement pointée du doigt par l’USTR, la représentation spéciale américaine du commerce extérieur –, l’absence de sources de financement dédié à la création de prototypes ou encore le caractère trop marginal des vecteurs d’échanges et de partenariats avec la diaspora « alumni » (les associations d’anciens des universités). Le manque de compétences dans certains domaines (notamment les codeurs expérimentés) est également problématique.

Du côté des solutions, Berytech suggère notamment de créer un fonds d’aide au financement de bourses pour la recherche, pour les étudiants et les chercheurs au Liban et dans la diaspora, pour la création de prototypes et leur commercialisation, et pour l’émancipation du programme LIRA (Lebanese Industrial Research Achievements) dans le but d’élargir sa capacité à postuler pour des financements internationaux.

« Malgré les crises, il n’y a plus de temps à perdre ! » lance à L’Orient-Le Jour le bureau de communication de Berytech. Pour Jihad Bitar, « le problème de l’écosystème libanais est surtout un problème de mentalité. Il veut copier le modèle américain alors qu’il faudrait inventer un modèle local, que l’ESA a élaboré. Il faut de la collaboration au niveau libanais pour que le secteur se développe. Mais c’est encore loin d’être acquis au Liban ». Sans remettre fondamentalement en question l’approche de Berytech, il suggère de son côté de commencer à convaincre l’État – s’il réussit à négocier une aide externe à l’issue de ses discussions avec le Fonds monétaire international et parvient à remettre le pays sur les rails – de commencer par investir 2 millions de dollars par an pour financer des start-up locales.


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