Obligés de fermer, la grande majorité des commerces misent sur le e-commerce pour survivre. Certains y parviennent mieux que d’autres. 

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Avec la majeure partie des commerces contraints de baisser le rideau et la population invitée à se calfeutrer chez elle, l’épidémie du Covid-19 fait une place aux sites d’achat en ligne. « L’e-commerce explose partout dans le monde. Mais le Liban part de très loin », souligne Nabil Fahed, vice-président de la Chambre de commerce, de l’industrie et d’agriculture de Beyrouth (CCIAB).

Certains acteurs du e-commerce y voient pourtant une aubaine. « L’évolution prévue pour les cinq années à venir est en train de se réaliser en l’espace de quelques mois », veut croire euphorique Rita Makhoul, consultante auprès du réseau d’ArabNet. « Un nouveau commerce nous rejoint toutes les demi-heures ! À ce rythme nous devrions vite augmenter notre effectif de 30 à 50 % », se réjouit Yusr Sabra, PDG et cofondatrice de Wakilni, une plate-forme de livraison, fondée en 2016, qui compte une centaine de clients dans tous les secteurs d’activité.

Mais si cette start-up s’affirme comme l’un des rares grands gagnants de la crise qui a mis le pays quasi à l’arrêt, les commerçants, eux, sont plus sceptiques. À l’heure où de nombreuses personnes ont perdu une partie, voire l’intégralité de leur revenu, les consommateurs confinés sont loin de représenter la manne financière espérée. Leurs ventes sur internet étant loin de combler les pertes que représente le “couvre-feu commercial”, décrété le 11 mars dernier dans tout le pays.

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Certaines catégories de produits s’en sortent mieux que d’autres. Sans trop de surprise, c’est l’alimentaire qui prime.

Chez Spinneys, la plus grande chaîne de supermarchés du pays, les livraisons ont été multipliées par quatre depuis le début de l’épidémie au Liban pour atteindre environ 1 % des ventes totales, selon son PDG, Hassan Ezzeldine. Le numéro un de la grande distribution prévoit d’ailleurs de lancer prochainement une nouvelle application.

« Les Libanais rechignent à aller faire leurs courses d’épicerie dans les magasins physiques, par peur du risque de contamination », explique Dany Kharrat, PDG et fondateur de la toute jeune application My Trolley. « Nous ne nous attendions pas à ce que les débuts soient aussi rapides. En un mois, nous avons atteint un palier que nous n’espérions pas atteindre avant six mois », continue-t-il.

L’alimentaire, un secteur-phare

Dans l’alimentaire en particulier « ce sont principalement les produits de première nécessité et d’hygiène qui sont le plus demandés durant cette période », indique Georges Azar, PDG et cofondateur de la plate-forme de ventes en ligne HiCart, dont Carrefour assure le supermarché virtuel. « Sur ce segment, nos ventes ont même augmenté de près de 1 000 % », se félicite encore le PDG. Avec un panier moyen de 150 000 livres libanaises, ses clients privilégient les produits qui se stockent (types riz, pâtes…). Ce qui leur permet de réduire en plus la fréquence des visites dans les grands magasins. « Au début, les commandes étaient marquées par des “achats de précaution” : les consommateurs se ruaient sur ce qui se conservait. Mais les choses se sont calmées et les gens sont revenus à des commandes plus en phase avec leurs besoins réels », ajoute-t-il.

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Loisirs, l’autre grand gagnant

La nécessité de s’adapter à un quotidien coincé entre quatre murs détermine les autres choix de consommation en ligne : c’est ainsi qu’on constate un engouement pour les commandes de matériels informatiques, les loisirs, dont le coloriage et le jardinage, et le sport. L’enseigne Mike Sport a ainsi enregistré une hausse de 300 % de ses ventes en ligne. Certains de ses produits, surtout ceux du fitness, sont même en rupture de stock. De même, la Librairie Antoine se félicite de ventes web dix fois supérieures à leur niveau habituel.

Mais si certaines catégories, à l’instar des produits électroniques ou les achats de jeux vidéo ou d’application mobile, ont été dopées, d’autres, comme les produits de l’habillement se sont effondrés, n’étant pas perçus comme prioritaires. Seule exception : la mode enfant. « Les sites qui proposent des habits pour les nouveau-nés et petits enfants s’en sortent mieux », indique Rudy Bekerjian, qui dirige Ecomz, une société informatique qui construit des sites marchands.

Les restaurateurs se retrouvent eux aussi en situation critique. « Les Libanais, qui étaient habitués à commander au travail, profitent de la cuisine familiale pendant le confinement », constate Shadi Kaddoum, PDG de la société de livraison The Scooters, basée à Byblos, qui constate une chute de 60 % de livraisons de plats à domicile.

Les plates-formes de livraison ont dû vite s’adapter à la nouvelle donne pour ne pas perdre leurs revenus. Toters, étoile montante de la livraison, a ainsi accéléré sa diversification, en accueillant davantage de sociétés de vente de jouets, de jeux ainsi que des acteurs du secteur de l’électronique. « Nous sommes toujours en croissance, mais le rythme a été ralenti », concède malgré tout Nael Halwani, l’un des cofondateurs de la start-up.

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Plus ce “couvre-feu commercial” se maintiendra, plus les ventes en ligne auront des chances de s’inscrire durablement dans le paysage commercial libanais, qui s’était montré jusque-là relativement réfractaire au phénomène. « C’est le moment pour le e-commerce de s’imposer comme alternative sérieuse », fait valoir l’experte en économie du savoir, Azza Yehia. D’autant que la croissance des ventes en ligne est portée en partie par une nouvelle clientèle, avec notamment un essor des achats en ligne des personnes âgées. « On peut penser que près de la moitié de ces nouveaux utilisateurs continueront d’effectuer leurs achats en ligne après la levée du confinement », estime-t-elle.

Mais l’essor du commerce en ligne impose des défis majeurs en termes de logistique, que même les géants de la grande distribution ont du mal à relever.

Depuis le début de l’épidémie, ruptures de stocks et allongement des délais de livraison s’accumulent. « On a fait énormément d’efforts pour raccourcir les délais d’attente de nos clients : dans les premières semaines, ils pouvaient aller jusqu’à cinq jours ; aujourd’hui, c’est deux jours tout au plus », se défend Georges Azar. Mais il faudra faire mieux si on veut que l’engouement pour l’e-commerce – ce « sauveur de l’économie libanaise » comme veut le croire Rudy Bekerejian – perdure au-delà du confinement.

Le paiement sans contact ne prend pas

Dans de nombreux pays, les sites marchands incitent à payer en ligne afin de minimiser les risques pour les clients comme pour le livreur. Cette solution, qui limite la circulation de l’argent liquide, une source possible – même si faible – de transmission de la maladie, est notamment obligatoire en France. Le système est simple : le livreur dépose la commande sur le pas de la porte de l’appartement, voire de l’immeuble, sonne et le client peut récupérer sa commande. Mais au Liban, le procédé ne prend pas. À l’instar de tous les pays de la région, les consommateurs privilégient le “cash on delivery”. Ils sont ainsi 80 % à l’exiger, même en temps de confinement. Ce qui dénote un manque de confiance vis-à-vis des paiements en ligne. Un gros point noir pour le commerce en ligne.