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Un bourbier sans frontières

Le zèle réformateur et purificateur dont s’évertue à faire preuve le gouvernement de Hassane Diab a-t-il quelque chance de faire illusion quand, en guise de rappel à l’ordre, ce sont ses propres anges gardiens qui le roulent cruellement dans la farine ?


Révélatrice est cette affaire de contrebande de denrées de première nécessité vers la Syrie dont viennent de s’émouvoir les autorités. Cela fait des années pourtant que se poursuit ce scandale au vu et au su des responsables. Avec la crise économique et financière qui s’est abattue sur notre pays, la combine a atteint des niveaux d’une gravité extrême ; sont en effet revendus au voisin des carburants et de la farine dont le prix, sur le marché local, est soutenu par un Trésor libanais exsangue. C’est dire que cette hémorragie de devises relève non plus de la vulgaire fraude, mais bel et bien de la haute trahison.


Face au tollé des médias, soucieux surtout de montrer patte blanche à l’implacable jury du Fonds monétaire international, le pouvoir s’engageait mercredi à colmater la passoire, associant solennellement à cette décision les divers organismes de sécurité : ritournelle devenue familière, puisque l’an dernier déjà, le ministre de la Défense de l’époque claironnait, avec un bel aplomb, que c’était déjà chose faite ! Mieux toutefois que l’expérience du passé, nous porte à déchanter la triste réalité du présent. Et même de l’immédiat ; car à peine annoncées, que toutes ces bonnes résolutions étaient balayées du doigt par un Hassan Nasrallah pressé de démontrer à un peu tout le monde qu’il demeurait le véritable maître du jeu.


Trêve de futilités, cap sur Damas : pour désigner la seule direction possible, le chef du Hezbollah n’y est pas allé par quatre chemins. Dans un énième et cinglant défi à la politique officielle de distanciation par rapport aux conflits régionaux, c’est avec un sourire entendu qu’il commençait par rappeler qu’aucune restriction ne pouvait s’appliquer aux combattants de la milice, entièrement libres de leurs allées et venues à travers tout point de passage, légal ou non, entre les deux pays. Une fois cela bien entré dans nos petites cervelles, il nous fallait encore reconnaître avec lui que la frontière avec la Syrie est longue de centaines de kilomètres. Et que pour la contrôler, tous les effectifs locaux n’y suffiraient pas sans une coopération de tous les instants avec les troupes de Bachar al-Assad.


À cet argumentaire qui se veut réaliste il serait sans doute vain de relever que si la frontière est si poreuse, c’est que notre voisin de l’Est ne l’a jamais reconnue. Qu’il se refuse même à toute amorce de délimitation. Que tout comme le voisin du Sud, il ne s’est jamais embarrassé de détails aussi futiles que les frontières pour violer la souveraineté libanaise. Et enfin qu’en faisant précisément du problème la seule solution pratique, la milice pro-iranienne montre aussi qu’elle a été à bonne école : qu’elle fait sienne la doctrine du régime baassiste de Damas se posant tour à tour en pyromane et en pompier.


Pour tenter de sauver les apparences d’un cabinet de technocrates non partisans, le Hezbollah a accepté de se cantonner un moment dans l’ombre. Il a laissé volontiers l’organe exécutif batifoler sur certains dossiers précis, lui offrant ainsi l’occasion d’étoffer sa crédibilité internationale ; mais en matière de frontière, c’est celle séparant le possible de l’interdit que vient de tracer Hassan Nasrallah.


Ce message, le Premier ministre Diab n’en est pas cependant le principal destinataire. L’avertissement, car c’en est bien un, porte un coup dur à ce qui reste de cette présidence forte dont l’allié, Michel Aoun, se voulait l’incarnation ; il fait peu de cas de l’armée régulière, dont la tâche première est de protéger le périmètre national ; et pour finir, il rappelle aux institutions financières mondiales qui, au Liban, est le véritable patron.


C’est quand elle ne s’embarrasse pas de limites que l’audace devient arrogance.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Le zèle réformateur et purificateur dont s’évertue à faire preuve le gouvernement de Hassane Diab a-t-il quelque chance de faire illusion quand, en guise de rappel à l’ordre, ce sont ses propres anges gardiens qui le roulent cruellement dans la farine ? Révélatrice est cette affaire de contrebande de denrées de première nécessité vers la Syrie dont viennent de s’émouvoir les...