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Nos Lecteurs ont la Parole

Une carte postale du Liban

Je vous écris de Haush el-Ghanam. Dans un Liban où l’amertume et la mélancolie prennent depuis des mois le pas sur la joie de vivre, je vous envoie ces lignes depuis le jardin d’une maison douce et ensoleillée où l’histoire du pays se raconte dans les sillons d’une terre grasse et généreuse et s’illustre sur les murs.

Une rencontre coup de foudre avec une maison de famille constamment renouvelée depuis, qui réconcilie avec toutes les médiocrités. Se poser quelques jours dans ce havre de paix, sur un tapis tissé de mille et une couleurs, vous renvoie tout de suite à l’essence des choses. Une bouffée de printemps dans la grisaille du monde d’aujourd’hui et autant d’espérance.

À Haush el-Ghanam vous vous réveillez au chant du coq et c’est le chant des grenouilles qui vous berce le soir pour vous souhaiter une bonne nuit.

Ici pas d’écran télé, les jours sont rythmés par les saisons et les merveilles qu’elles apportent occupent les heures.

Le matin, le temps s’arrête autour de la danse du zaatar. Les feuilles séchées d’origan épousent lentement le sumac et le sésame. Petits et grands sont réunis pour battre le pilon et tamiser la poudre puis mélanger les couleurs et remplir les bocaux. Ce rituel gourmand est accompagné au fil des moissons d’ateliers confitures et de distillations d’hydrolats : eau de rose, de verveine, de lavande, de sauge ou de sureau. Vous finirez par toutes les connaître et en apprécier les gammes gourmandes. Faysal Saab, le jeune maître du lieu, et sa discrète épouse Sarah vous les raconteront avec passion.

Aux saveurs vous associerez pour toujours les gestes de Nisrine Dirani et son sourire vous décrira la tradition et la transmission d’un héritage gastronomique extraordinaire.

Vous grimperez ensuite dans des «trellas», tracteurs improvisés pour aller déterrer les pommes de terre nouvelles, chahutant comme des enfants et comme eux criant votre émerveillement à la découverte des tubercules.

Vous rentrerez à pied et plongerez avec délice dans un océan de blé en herbe... Au rythme des épis, portés par le roulis du vent, vous tanguerez de plaisir. Les coquelicots vous ferons de l’œil. Contentez-vous de les admirer, surtout ne les cueillez pas ! Ils piqueront de la tête leur désarroi.

Dans ce musée du vivant, la lumière vous offrira au fil des heures mille tableaux. Jamais pareils, toujours recommencés.

Ivres de grand air vous arriverez ainsi juste à temps pour le déjeuner. Salon d’hiver ou terrasse d’été ? À vous de décider. Dans le salon, vous partagerez l’apéritif avec les gravures de Farroukh et vous vous sentirez au milieu d’un livre d’images. À vous d’en tourner les pages en admirant les poupées folkloriques habillées d’abayas chatoyantes et dorées devinant au passage leur âge. La plupart appartiennent au Liban des années soixante si cher à nos cœurs. En faisant le tour des canapés, vous imaginerez les rires et les soirées autour de la cheminée. En admirant les trophées parsemés sur les murs, vous aurez l’impression étrange d’être de plain-pied dans la famille.

Côté terrasse où vignes et rosiers s’entrelacent, vous aurez pour horizon les montagnes de l’Anti-Liban où la neige qui, semble-t-il, restera tenace cette année a aligné des mèches bien ordonnées. Vous aurez aussi une vue plongeante sur la mare aux canards, l’enclos des biches et les histoires d’amour des pigeonniers alentour. Entourés d’immensité, vous méditerez devant des assiettes finement concoctées par une reine des abeilles enjouée et rieuse. Amale Saab vous rappellera la douceur des mets simples de la région : kebbeh de poulet farci de noix au sumac, fatteh d’aubergines, lentilles et fèves parfumées, salades du jardin et mouhallabieh ensoleillée... Avec les vins choisis par Faysal vous comprendrez alors pourquoi Bacchus en gastronome éclairé avait choisi d’installer son temple juste à côté.

L’essentiel de la vie est là, juste, simple, sans falbalas.

L’après-midi s’allongera langoureusement et le nez dans l’herbe vous serez peut-être réveillés par la pavane d’un paon intrigué de vous trouver sur ses terres.

Après la sieste, une visite guidée avec Khaled Saab, le seigneur de Haush el-Ghanam est un privilège à ne pas rater. Vous écouterez subjugués la passion qui lui a fait rassembler pendant des années un cabinet de curiosités qui vous accueillent dès l’entrée. Après vous avoir arrosé les mains d’eau de rose, rituel de bienvenue obligatoire de la maison, il vous montrera un à un les objets qui ont écrit avec amour une autre histoire de ce pays. Une histoire agricole de paix et d’espoir qui met en scène des hommes authentiques et généreux. Des hommes qui ont découvert des sources, creusé des sillons, planté des oliviers. Ceux qui ont montré un chemin de joie malgré la traversée de famines et de souffrances. Ceux comme son père et ses frères qui, en commençant l’histoire au début des années quarante, avaient douté et persévéré, construit et transmis.

Avec un voile de tendresse dans ses yeux clairs et dans sa voix, il vous montrera la première machine à fabriquer les glaçons, celle à fabriquer les sorbets et les glaces, l’ancêtre du frigidaire et les outils du vétérinaire qui travaillait pratiquement plein temps sur place. Il vous nommera un à un les chevaux qui vivaient ici, ses compagnons d’enfance. Le fer à cheval, étalon de la décoration des lieux, lui fait écho partout, dans toutes les couleurs sur le haut des portes et jusque sur les miroirs des délicieuses chambres d’hôte.

Le soir venu, au chant du muezzin vous serez envahi d’un immense sentiment de gratitude. Vous bénirez les habitants du lieu qui ont si généreusement ouvert leurs portes pour montrer la lumière d’un pays, faire connaître son terroir et transmettre avec qualité et élégance ses saveurs.

De retour chez vous, le cœur en joie, les yeux encore remplis des merveilles de ce coin de la Békaa, vous n’aurez en quittant qu’une seule envie : revenir. Pour vous faire patienter miel parfumé et huile d’olive dorée, fiertés justifiées du domaine, vous continueront en douceur l’histoire.

L’impression quelques instants d’avoir touché au divin. Il y a des lieux comme ça, Haush el-Ghanam est de ceux-là.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Je vous écris de Haush el-Ghanam. Dans un Liban où l’amertume et la mélancolie prennent depuis des mois le pas sur la joie de vivre, je vous envoie ces lignes depuis le jardin d’une maison douce et ensoleillée où l’histoire du pays se raconte dans les sillons d’une terre grasse et généreuse et s’illustre sur les murs. Une rencontre coup de foudre avec une maison de famille...

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