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Hercule, es-tu là ?

Dans les situations d’extrême gravité que peut connaître tout pays, il est de règle que les citoyens enterrent leurs motifs de discorde et se serrent les coudes face à l’adversité ; à ce moment de grâce a été décerné le beau nom d’union sacrée. Ce type de communion quasiment magique, les Libanais, en dépit de leurs sempiternelles querelles, l’ont approché plus d’une fois, à le frôler même des doigts. Tel est le cas de cette révolution du 17 octobre qui a abattu nombre de barrières partisanes et sectaires avant de se heurter à la contre-offensive, que l’on jurerait concertée, à laquelle se sont livrés la répression, tant officielle que milicienne, et le coronavirus.

C’est à des retrouvailles nationales d’un tout autre genre cependant qu’œuvrent les autorités en appelant les chefs des divers partis et blocs parlementaires à venir débattre aujourd’hui même, au palais présidentiel de Baabda, du plan gouvernemental de sauvetage économique et financier. D’aucuns, comme on sait, ont décliné l’invitation, ne voyant souvent dans ce programme qu’un suicidaire abandon du régime de libéralisme qui a fait les beaux jours du Liban : point de vue largement partagé d’ailleurs par les organismes économiques, ceux-là mêmes qui animent l’activité industrielle et commerciale du pays. Quant au peuple, dont nul évidemment, dans les hautes sphères, ne se soucie de recueillir l’avis, il n’a que faire des impératifs invoqués par tous ces experts, ou prétendus tels, qui décident de son sort.

Car il ne comprend toujours pas, le peuple, par quelle somme inimaginable de mal-gouvernances, d’irrégularités, de gaspillages et de prévarications, on a pu saigner à blanc les finances publiques. Il comprend encore moins par quelle criante injustice on ose lui demander de contribuer aux sacrifices nécessaires pour éviter l’effondrement total. Et son sang ne fait qu’un tour à la seule idée que ceux qui ont causé son infortune sont aussi les plus assidus à exiger la lutte contre la corruption. Qu’en dépit de tout ce mensonger concert le pillage n’a pas cessé, comme l’illustre la toute dernière fraude sur le fuel-oil importé. Que maints de ces dirigeants indignes détiennent encore et toujours la substance du pouvoir, à peine dissimulés qu’ils sont dans les plis du cabinet Diab. Et qu’enfin la communauté internationale multiplie les signes d’impatience face à la lenteur mais aussi au caractère, éventuellement biaisé, des réformes promises.

Si bien que pour une large part de l’opinion, ces solennelles assises de Baabda ne sont pas davantage qu’une grossière et futile tentative de garnir le programme gouvernemental du sceau d’un consensus pseudo-national. Autrement dit, d’associer à la paternité de cet ouvrage fort contesté le plus de partenaires possible, fiévreusement repêchés dans le vivier politique libanais. De diluer le concept de culpabilité quant au désastre annoncé par la voie d’une paradoxale mise en commun des responsabilités, qu’elles soient matérielles ou seulement morales. Aux yeux du citoyen ordinaire, voilà donc qui ressemble moins à une réunion de l’Armée du salut qu’à une association de complices, sinon de malfaiteurs.

Pour les amateurs de polars, le sidérant tableau ne serait pas sans évoquer le célébrissime Crime de l’Orient-Express d’Agatha Christie, où l’on voit un détective de génie arriver à la conclusion que des treize personnages suspectés d’un meurtre commis à bord de ce train de légende, un seul est innocent. Sur la galère libanaise, c’est contre le bien public, l’argent de l’honnête contribuable, que se sont ligués les prédateurs de tous bords.


Pays en détresse cherche désespérément clone d’Hercule Poirot.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Dans les situations d’extrême gravité que peut connaître tout pays, il est de règle que les citoyens enterrent leurs motifs de discorde et se serrent les coudes face à l’adversité ; à ce moment de grâce a été décerné le beau nom d’union sacrée. Ce type de communion quasiment magique, les Libanais, en dépit de leurs sempiternelles querelles, l’ont approché plus d’une fois,...