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Moyen-Orient - Syrie

Quand Makhlouf joue la carte alaouite face à... Assad

Le milliardaire syrien veut rallier sa communauté à sa cause en accusant implicitement le président de favoriser les sunnites.

Combo représentant Bachar el-Assad (à droite) et son cousin Rami Makhlouf. Capture d’écran et archives AFP

Le feuilleton entre Bachar el-Assad et son cousin milliardaire Rami Makhlouf a pris ces derniers jours une tournure politique, sur fond de sous-entendus confessionnels. Dans un régime qui cherche toujours à se présenter comme laïc mais où la question communautaire est en réalité omniprésente, le businessman le plus puissant du pays a tenté de jouer sur la corde la plus sensible : celle de la défense de la minorité alaouite face à la majorité sunnite.

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Sous pression depuis l’été dernier par l’État qui cherche à renflouer ses caisses sous couvert de « lutte contre la corruption », Rami Makhlouf est de nouveau sorti de sa réserve ce week-end, en lavant son linge sale en public. Une première, dans le sanctuaire impénétrable et en apparence soudé du plus puissant clan du pays. À travers deux vidéos diffusées sur son compte Facebook, le très sulfureux homme d’affaires a interpellé publiquement le président au sujet de millions de dollars réclamés par le gouvernement à certaines de ses sociétés. Dans sa seconde apparition en direct dimanche, il a accusé les services de sécurité du régime de recourir à des arrestations parmi ses employés et à des pressions pour le pousser à abandonner ses entreprises. « Quelqu’un peut-il imaginer que les services de sécurité sont arrivés jusqu’aux entreprises de Rami Makhlouf, qui a été le plus grand soutien et parrain de ces services pendant la guerre ? » dit-il, sur un ton victimaire. Se présentant comme le plus grand protecteur et bailleur de fonds du régime, il dénonce une « injustice terrible » et un « abus de pouvoir », et supplie, à plusieurs reprises, le président d’intervenir en supervisant « personnellement » la distribution des fonds récupérés afin qu’ils aillent à ceux qui en ont réellement besoin et non pas « dans les poches de certains ».

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Qui vise-t-il dans ces dénonciations à peine voilées ? De nombreuses indications ces derniers mois ont montré qu’Asma el-Assad serait à l’initiative du resserrement de vis opéré depuis l’été dernier contre les hommes d’affaires gravitant autour du pouvoir afin de s’emparer de larges pans de l’économie, alors que la crise frappe lourdement le pays. La Première dame, sunnite, peut être ainsi perçue comme une menace face aux intérêts du cousin Makhlouf. Autour d’elle gravite notamment une clique d’hommes d’affaires avec qui elle possède des liens familiaux, comme son cousin Muhannad al-Dabbagh ou Tarif al-Akhrass, le cousin de son père, qui profitent de la tendance népotique de cette dernière. En août 2019, plusieurs barons de l’économie syrienne, dont Samer Foz, qu’on dit proche d’Asma, avaient vu leurs sociétés et biens menacés par l’État, avant que l’affaire ne se tasse. Mais pas pour Rami Makhlouf, le seul alaouite parmi une nouvelle nomenklatura sunnite qui s’est enrichie durant la guerre.

« Néo-Ottomans »

Un cousin de Rami Makhlouf s’est voulu beaucoup plus explicite dans un post publié dimanche sur Facebook, et supprimé par la suite. « Contrairement aux hommes d’affaires “néo-ottomans” qui ont fait sortir clandestinement leur argent de Syrie, Rami a gardé le sien dans le pays et en a fait don aux familles pauvres et aux soldats et miliciens tombés en martyrs », a-t-il écrit. Il présente son cousin comme étant persécuté par Bachar el-Assad qu’il accuse d’ignorer la corruption des hommes d’affaires sunnites proches de lui ou d’Asma. Jouant à fond sur le sentiment de assabiyah (appartenance communautaire), le cousin de Rami Makhlouf rappelle dans son texte que les alaouites ont été sacrifiés par dizaines de milliers afin qu’Assad « reste au pouvoir », avant de faire référence aux massacres du sultan ottoman Sélim Ier contre cette minorité en 1516.

L’idée que la majorité sunnite représente une menace existentielle pour la communauté alaouite est une rhétorique utilisée depuis longtemps par le régime syrien et qui se nourrit de siècles d’histoire durant lesquels cette minorité a été effectivement opprimée. Bien qu’ils ne représentent que 10 % de la population du pays, les alaouites contrôlent l’État syrien pour lequel 90 % d’entre eux travaillent. Une protection qui a toutefois eu un prix en neuf ans de conflit. « La forte dépendance du régime à l’égard des alaouites dans les unités de l’armée et des milices envoyées sur les lignes de front, couplée à la taille relativement petite de la communauté, a entraîné des pertes disproportionnées de jeunes hommes de la secte », écrit la chercheuse et journaliste Elizabeth Tsurkov, dans un article intitulé « Between regime and rebels : a survey of Syria’s alawi sect », publié en juillet dernier dans le New York Review of Books.

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« Ce sont tes gens (Bachar). Ceux qui t’ont toujours soutenu et qui continuent de le faire. Pourquoi s’en prendre à eux ? » interpelle Rami Makhlouf dans la vidéo, à propos de ses employés menacés, retournant aujourd’hui la propagande du régime contre lui, afin de rallier sa communauté à sa cause. Les Makhlouf sont une famille influente originaire de la côte de Lattaquié et bénéficiant d’une certaine assise au sein de la communauté alaouite. Les Assad, en revanche, sont de souche plus populaire. « Rami Makhlouf est une figure extrêmement importante au sein de la communauté alaouite. Il est à la fois méprisé et vénéré, admiré et honni », explique à L’OLJ Nizar Mohammad, un analyste syrien résidant au Canada.

Voiture de luxe

Lors de l’accession de Hafez au pouvoir, la trésorerie du clan avait été déléguée à Mohammad Makhlouf puis à son fils. Rami Makhlouf a largement participé au financement de la répression de 2011 ainsi qu’aux efforts de guerre, notamment en payant les salaires des chabbiha. « Il est bien plus enraciné dans l’État syrien que ce que les gens peuvent imaginer », rappelle Nizar Mohammad. Honni par l’opposition syrienne et désapprouvé par la communauté internationale, il a tenté de se refaire une virginité en se débarrassant, du moins en façade, de ses intérêts commerciaux en Syrie pour s’afficher en principal défenseur de la veuve et de l’orphelin. Un numéro de cabaret qu’il interprète encore aujourd’hui. Car en brandissant la carte sectaire, Rami Makhlouf espère probablement réveiller l’instinct communautaire et ainsi rallier des suffrages. « Cette incitation pourrait appuyer une idée répandue parmi les alaouites qui est que Bachar favorise les sunnites et l’élite sunnite à leurs dépens », explique Nizar Mohammad. Le jeu est à double tranchant car l’image que s’est forgée le Tycoon ne joue pas en sa faveur. Alors que les populations restées loyales au régime, alaouites ou autres, vivent dans des conditions misérables, les fils Makhlouf font régulièrement étalage de leur train de vie bling-bling sur les réseaux sociaux, s’affichant sur leur jet-ski ou dans leurs voitures de luxe. « La plupart des alaouites critiquent les Makhlouf. Ces critiques se transforment souvent en discussions plus larges contre le régime lui-même, d’autant plus qu’ils ont l’impression d’avoir tout sacrifié pour un régime dont les élites n’ont pas été affectées par la guerre, affichant leur richesse massive et faisant la fête dans des clubs à travers le Moyen-Orient », conclut Nizar Mohammad.

Le feuilleton entre Bachar el-Assad et son cousin milliardaire Rami Makhlouf a pris ces derniers jours une tournure politique, sur fond de sous-entendus confessionnels. Dans un régime qui cherche toujours à se présenter comme laïc mais où la question communautaire est en réalité omniprésente, le businessman le plus puissant du pays a tenté de jouer sur la corde la plus sensible :...

commentaires (6)

Ça sent le fagot....

Christine KHALIL

14 h 08, le 05 mai 2020

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Ça sent le fagot....

    Christine KHALIL

    14 h 08, le 05 mai 2020

  • La méthode MBS, il n y a que ça de vrai! Pour la Syrie et pour le Liban aussi. Et après? eh bien on recommence !

    TrucMuche

    11 h 05, le 05 mai 2020

  • Si massacrer et faire partir 10 Millions de Sunnites de Syrie est un symbole de sympathie pour ces derniers comment ce serait s’il les détestait ? Dans quel monde vivent ces gens là ?En tout les cas le même que leur acolyte du Liban qui nourrit la même sympathie sauf qu’il les pourchasse lui un peu plus loin ?

    PROFIL BAS

    08 h 13, le 05 mai 2020

  • Bachar a besoin d'argent. La solution, c'est la méthode MBS.

    Yves Prevost

    07 h 55, le 05 mai 2020

  • Un set de pourritures personnifiées

    Wlek Sanferlou

    02 h 59, le 05 mai 2020

  • Allez, comme un dicton arabe dit : « laissez les pastèques se détruire entre elles »... Une bande de crapules aux mentalités médiévales et criminelles qui veulent continuer à se partager la dépouille de ce qui reste de ce pauvre pays... Encore un peu, il va nous faire pleurer, le malheureux cousin Makhlouf devant tant d'injustice à son égard... Ils vont tous finir mal, soit en s’éliminant mutuellement ou par leur propre peuple

    Saliba Nouhad

    01 h 16, le 05 mai 2020

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