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Agenda - Hommage à Basile Aggoula Mati (1932-2019)

Des rives du Tigre aux bords de Seine : itinéraire d’un enfant de Ninive

À travers ces quelques lignes, je voudrais rendre hommage à Basile Aggoula Mati, fils d’agriculteur né dans un petit village de la plaine irakienne de Ninive, au parcours aussi atypique que fascinant qui le mènera jusqu’au prestigieux Collège de France.

Cet ancien séminariste élevé dans le « berceau des civilisations », à quelques encablures de la tour de Babel, était prédestiné à devenir un amoureux des langues, des religions et de l’histoire. En plus du syriaque, un dialecte de l’araméen, la langue du Christ, il parlait l’arabe, le français et l’anglais et avait de bonnes notions de latin, grec ancien et allemand.

Il n’était encore qu’un jeune prêtre lorsqu’il quitta les plaines irakiennes pour la montagne libanaise, pour devenir le secrétaire du patriarche Gabriel Tappouni. Il se laissera envoûter par ce petit pays, né d’un savant mélange d’Orient et d’Occident, de christianisme et d’islam, lui qui avait été éduqué par les frères dominicains dans l’Irak d’al-Mutanabbi.

Après un doctorat en archéologie de l’Université Saint-Joseph et l’Université Lyon II, il rejoint l’Institut français d’archéologie du Proche-Orient et participe aux fouilles de Salamine, à Chypre, et de Tell Arqa, dans le Liban-Nord. Il y déchiffre, en Champollion des temps modernes, des inscriptions millénaires pour tenter de percer les secrets de civilisations disparues. Il fut d’ailleurs le premier à dresser l’inventaire des inscriptions qui ornent l’« Enclos du Soleil », la cité antique de Hatra.

Sa passion pour le patrimoine de la région le mènera à Berlin, à Istanbul, à Florence, à Londres, à Petra et à Carthage, où il étudia de nombreuses stèles, fragments et manuscrits pour reconstituer quelques pièces du grand puzzle de l’histoire.

Archéologue et spécialiste des langues sémitiques reconnu, il deviendra rapidement directeur de recherche au CNRS attaché à l’Institut d’études sémitiques du Collège de France, à Paris. Ces années passées au sein de cette prestigieuse institution seront pour lui une consécration.

Dans sa vie personnelle, rien ne le rendra plus fier que la famille qu’il fonda avec Jacqueline, la Libanaise qu’il épousera à Paris et qui scellera définitivement son union avec l’ancienne Phénicie.

Il resta très attaché au pays du Cèdre et à son pays natal dont il parlait avec fierté et ferveur, en évoquant surtout son passé glorieux, marqué par la grandeur babylonienne, assyrienne et abbasside. Peut-être pour conjurer le sort et ne pas réduire l’Irak à son histoire contemporaine pour le moins troublée. Pendant plus de trente ans, il n’y retournera d’ailleurs pas. Il craignait certainement de ne plus reconnaître ce pays défiguré par les guerres et les conflits à répétition. Il avait un attachement viscéral au « pays des deux fleuves » et à son histoire, dont il se sentait d’une certaine manière dépositaire.

Il avait aussi gardé un lien affectif fort avec la bourgade qui l’a vu grandir, Bartella, et aimait raconter sa jeunesse dans ce « village des blés », mêlée de souvenirs d’enfance et de références historiques. Difficile de discerner parfois ce qui relevait de la réalité ou de l’imagination d’un enfant ayant grandi dans le pays des Mille et Une Nuits. En tout cas, il l’aimait profondément son village « millénaire », comme il se plaisait à la répéter, mais aussi ses habitants qu’il a dépeints avec humour et sensibilité, à la manière d’un Pagnol, dans son roman La vigne du serpent.

Dans son Journal d’un bohémien qui ne savait pas danser, publié bien avant, on découvre un jeune homme déjà nostalgique de son enfance. Il contribuera aussi à l’ouvrage collectif de référence Le Livre et le Liban jusqu’à 1900 et s’enorgueillissait d’avoir dirigé la première édition du Mounged, l’incontournable dictionnaire de la langue arabe.

Du Tigre à la Seine, des plaines du Levant au Quartier latin, de Mossoul à Paris, en passant par Beyrouth, cette histoire est celle de mon père, un homme ordinaire au parcours extraordinaire.


À travers ces quelques lignes, je voudrais rendre hommage à Basile Aggoula Mati, fils d’agriculteur né dans un petit village de la plaine irakienne de Ninive, au parcours aussi atypique que fascinant qui le mènera jusqu’au prestigieux Collège de France.Cet ancien séminariste élevé dans le « berceau des civilisations », à quelques encablures de la tour de Babel, était...