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Lifestyle - Confinement à Beyrouth

XIII- Percer le cocon

Photo DR

Ouvrir grand ces fenêtres, laisser entrer la poussière, le pollen, les moucherons, la brise déjà chargée d’été, avant le double confinement qu’imposeront les grandes chaleurs. Il y a trop de nous entre ces murs. La ville émergeant du coma-virus retrouve sa respiration asthmatique. De nouveau on l’entend siffler, souffler et vrombir. Les véhicules, en ce jour qu’on nomme désormais pair ou impair en vérifiant sur ses doigts, annoncent que le moment est revenu de tenter de vivre. Percer le cocon et constater la difficulté de venir à bout de ses multiples couches. La première, qui nous colle au corps, est tissée du bien-être et de la candeur des débuts, quand le temps dilué nous épargnait sa tyrannie et que l’enfermement collectif, ajournant les contraintes, se prêtait à la rêverie. La deuxième, convulsive comme un sommeil paradoxal, tentait de tenir le réel à distance, projetait des embruns quand le souci du lendemain vous faisait perdre le fil d’une lecture ou d’un film… La dernière, cimentée comme un sarcophage, plombée par la perspective de se rendre au distributeur, quémander quelques billets qui ne feront pas la semaine en priant pour ne pas se faire mordre par la machine. Les subtiliser en s’estimant heureux, tant d’autres n’ont même pas le privilège de cette angoisse. Aller faire quelques courses de base et se prendre un autre coup de poing en constatant la diminution des denrées et la flambée des prix. Se consoler en revoyant ses ambitions à la baisse, secouer la tête en songeant à ce grand gâchis qu’est le Liban, victime de la haine jamais assouvie de ceux qui le gouvernent. Le sarcophage ou comment en sortir.


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XII- De la vie pour tous


J’aime cette tête de zèbre en bois suspendue au mur de ma chambre. Elle me ramène sous le soleil de l’île Éléphantine, dans ce village nubien où l’artisanat est presque la seule ressource, où les gens circulent à dos de dromadaires et les marchandises à bord des felouques. Dans cette pauvreté, mais qu’est-ce que la pauvreté, les gens mangent à leur faim qu’ils ont entraînée à se faire petite. Ici on enfile des perles, on fabrique des personnages en laine crochetée, on moule de la glaise, on peint des statuettes, on sculpte des masques. L’activité parallèle consiste à accueillir le touriste qui vient, en échange de quelques centimes de guinées, emporter le fruit de ces heures de travail minutieux et de bavardages anodins entrecoupés de rires d’enfants, à l’ombre des échoppes en pisé. Ici, l’animal est l’égal de l’homme. Pour mieux le protéger de la prédation, on lui offre une dimension tutélaire. Mon zèbre est une petite divinité qui répand entre mes murs sa naïve sagesse. Dans la perfection de ses rayures, je lis une géométrie élémentaire, un ordre abstrait qui ressemble à l’organisation de cette société volontairement primitive et tout aussi volontairement à l’abri du besoin. Je songe à l’obsession du manteau de vison – ou de l’étole d’hermine – qui a hanté les femmes entre les années 60 et 80 du siècle dernier. La fourrure douce où l’on ne voyait qu’une matière précieuse, sans même imaginer la souffrance inutile du petit animal sur lequel elle était prélevée. Des années d’activisme ont fini par venir à bout de cette mode, aussi absurde que celle de chasser les requins pour en consommer les ailerons ou écorner les rhinocéros pour renforcer la virilité défaillante des hommes ou, dans le même ordre, éventrer les pangolins sous prétexte que leur rareté rend leur chair savoureuse. Les choses n’ont que la valeur qu’on leur donne. Que nous sommes bêtes.

Dans cette rubrique prévue tous les lundis, mardis et vendredis tant que durera la crise, Fifi Abou Dib se propose de partager avec vous des pensées aléatoires issues du confinement.

Ouvrir grand ces fenêtres, laisser entrer la poussière, le pollen, les moucherons, la brise déjà chargée d’été, avant le double confinement qu’imposeront les grandes chaleurs. Il y a trop de nous entre ces murs. La ville émergeant du coma-virus retrouve sa respiration asthmatique. De nouveau on l’entend siffler, souffler et vrombir. Les véhicules, en ce jour qu’on nomme...

commentaires (1)

Beau, sensible et libérateur, merci âme belle.

Christine KHALIL

09 h 42, le 01 mai 2020

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Commentaires (1)

  • Beau, sensible et libérateur, merci âme belle.

    Christine KHALIL

    09 h 42, le 01 mai 2020

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