Le G20, apprend-on, suspend pour un an le service de la dette des pays les plus pauvres. Le Liban fait-il partie des pays les plus pauvres? Inégalitaire par essence, le Liban est surtout un pays surendetté. Or, on ne prête qu’aux riches, dit l’adage. À quels riches sont donc allés les milliards envolés de nos caisses ? Notre système financier, découvre-t-on, est un nid de guêpes où banquiers, investisseurs et acteurs politiques bourdonnent de concert. Dès le lendemain de la guerre, ils sont convenus de placer tous les atouts du pays dans une économie de rente et d’importation visant à attirer les capitaux arabes. Pendant ce temps, la pauvre monnaie nationale s’essoufflait pour rattraper le dollar avec lequel elle fut appariée contre nature dès 1997. Si elle y parvenait parfois, c’est que le pétrole était encore une manne et que le Liban, avant de se transformer en bal de vampires, était devenu une fête foraine où les milliardaires des pays voisins aimaient bien venir s’encanailler. Les jeunes diplômés ne trouvant plus de travail à la hauteur de leurs ambitions dans ce Luna Park débridé, sont allés chercher fortune ailleurs, alimentant malgré eux, par leurs transferts à leurs familles, la grande roue emballée que nul ne voulait arrêter. Le pétrole a chuté. Un grand nombre de jeunes employés du Golfe sont rentrés bredouilles. La Syrie a déversé son million et plus de réfugiés à nos frontières. La fête s’est arrêtée. Les banques sont vides, l’État est failli, et ceux qui ont profité de la fameuse ingénierie qui a privé l’économie réelle, les entreprises, l’agriculture et même l’industrie d’investissements vitaux, ont placé les capitaux ainsi générés bien loin du charnier natal.
N’ayant pas de dette extérieure considérable, le Liban officiel ne ferait donc pas partie de la liste des États pauvres, même en cessation de payement, même bon dernier auprès des agences de notation financières. C’est en interne qu’il lui faut essuyer les plâtres, et gare à quiconque osera, pour prétendre sortir le pays de l’impasse, s’attaquer à l’épargne de la population qui n’y est pour rien et dont le pouvoir d’achat est déjà réduit de moitié par la dévaluation de la livre libanaise sur le marché réel. Il est à parier que le confinement venu à point nommé donner un répit à l’État ne pourra pas longtemps retenir la révolte qui gronde depuis l’automne. Et si, dans le contexte de la crise du Covid-19, les autorités ont eu la chance de pouvoir compter sur un corps médical d’élite, si le confinement n’avait pas été décrété assez tôt – suite à la pression populaire, rappelons-le – et que le taux déclaré de contaminations et de morbidité est au Liban relativement faible, la crise économique dont souffre aujourd’hui le monde entier risque d’exploser dans notre pays avec une violence particulière, emportant dans sa trajectoire tous les repères déjà mis à mal par la pandémie.
La classe moyenne ne parvient plus depuis longtemps à boucler ses fins de mois. Les franges les plus pauvres s’écroulent littéralement. Tandis que la société civile court contre la montre pour organiser l’entraide et répondre à l’urgence, déjà débordée par la dégradation rapide de la situation, on découvre que l’assistance moins que symbolique décidée par le gouvernement aux plus précaires est déjà plombée par le clientélisme et la légendaire cupidité de certaines autorités communautaires déguisées en pôles politiques. À quelque chose ce genre de malheur est bon : le changement n’est plus un vœu pieux. Il est à nos portes. Et si le Liban survit à tout ce qui ne l’aura pas tué, il est improbable que ses vieux caciques et sa polarisation féodale et pseudo-confessionnelle résistent à la colère d’une génération admirable, écœurée par ceux qui l’ont privée d’avenir et n’ayant rien à perdre. Le clergé lui-même, dans toutes ses obédiences, est voué aux gémonies. À la sortie du grand confinement, le monde est promis à un bouleversement inédit où l’on verra de nouvelles valeurs bousculer les dangereuses tendances économiques et militaires des dernières années. Certes, l’intensité de ce bouleversement variera selon les pays. Le nôtre réserve à ceux qui l’ont asséché de bien belles surprises.
commentaires (7)
Le hic dans le drame Libanais, Mme Abou-Dib, c’est que, malgré tout, le peuple est très hétéroclite dans sa compréhension de la cause du mal national... Possible, disons que plus de la moitié des Libanais, soit 2 millions de personnes était carrément écœurée de toute la classe politique et était dans les rues avant la crise, mais l’autre moitié avait une vision assez sectaire, milicienne, clientéliste, opportuniste, de culte de la personnalité, de sorte, qu’à leurs yeux, tous les autres sont corrompus sauf leur zaïm, leurs élus et leur parti et sont encore plus fanatiques que les premiers... Résultat: chassez le naturel, il revient au galop.... On ne pourra jamais se débarrasser de ce carcan politique traditionnel et on risque de réveiller les démons de la guerre civile au sortir de la crise du covid-19 si on veut pousser les choses trop loin. Que Dieu nous en préserve...
Saliba Nouhad
15 h 41, le 16 avril 2020