Angoissés par les possibilités d’expansion du coronavirus et occupés par le processus du rapatriement de leurs concitoyens à l’étranger, les Libanais n’ont pas remarqué un petit bras de fer qui s’est joué dans les coulisses politiques. S’étant rendu à Paris au tout début de la crise du coronavirus pour être aux côtés de sa famille, le chef du courant du Futur Saad Hariri s’était fait plutôt discret sur la scène politique locale. Mais voilà qu’il est sorti de son silence pour protester contre l’intention du président du Conseil Hassane Diab et du gouvernement de nommer de nouveaux vice-gouverneurs de la Banque du Liban en remplaçant tous les titulaires actuels, dont des personnalités qu’il avait lui-même choisies. Saad Hariri avait donc dénoncé ce procédé, et le site électronique du quotidien al-Moustaqbal avait même annoncé qu’il songeait à rendre son mandat parlementaire, ainsi que les membres de son groupe.
En temps normal, une telle menace aurait mobilisé les différentes parties politiques et suscité un véritable tollé, tout en poussant les bonnes volontés à agir pour que Saad Hariri renonce à cette option. Curieusement, cette menace pourtant grave, car elle touche à l’institution mère au Liban depuis l’accord de Taëf, le Parlement, n’a pas eu un gros impact sur la scène politique. Pourtant, par les temps qui courent, il est pratiquement impossible de procéder à de nouvelles élections, même partielles. À part quelques commentaires de presse et sur les réseaux sociaux, aucune partie politique n’a repris la menace, ni pour l’appuyer ni pour la critiquer. Comme si elle n’avait jamais été brandie.
Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, le Hezbollah se serait empressé de réagir ou en tout cas de demander au président de la Chambre de le faire. D’ailleurs, ce parti n’a pas caché tout au long des dernières années, et plus particulièrement depuis la conclusion du fameux « compromis présidentiel » en 2016 entre le chef du courant du Futur et le chef du bloc du Changement et de la Réforme (Michel Aoun), son appui indirect à Saad Hariri, qui avait d’ailleurs instauré une « cohabitation positive » entre eux. Aux yeux du Hezbollah, ce fameux compromis lui avait donné un grand répit en apaisant la rue sunnite à un moment assez critique pour lui (il ne cache pas sa crainte permanente de l’émergence d’une discorde confessionnelle entre chiites et sunnites). De son côté, Saad Hariri y avait aussi trouvé son compte. En dépit des critiques de certaines parties sunnites, cette cohabitation au sein du gouvernement et dans la rue lui avait permis de consolider son pouvoir au sein de sa communauté. Il faut d’ailleurs rappeler dans ce sillage que lorsque Saad Hariri avait annoncé la démission de son gouvernement le 29 octobre 2019, le Hezbollah avait tout fait pour tenter de le ramener à la tête du gouvernement. En vain.
Que s’est-il donc passé pour que le Hezbollah accueille avec une indifférence inattendue la menace de l’ancien Premier ministre ?
Selon des sources proches du parti chiite, il y aurait à cela plusieurs raisons. D’abord, le Hezbollah considère qu’à l’heure actuelle, la priorité est à la lutte contre le coronavirus. Et, dans ce contexte, il considère que l’action de l’actuel gouvernement est satisfaisante. Pour lui, il est donc primordial de le préserver en cette période plus que difficile, d’abord pour poursuivre la guerre contre le coronavirus, ensuite parce que s’il démissionne, il ne sera pas possible d’en former un nouveau. Ensuite, pour le Hezbollah, la rue sunnite a bien changé ces derniers temps. L’influence de Saad Hariri et de son courant aurait été, selon les sources proches du parti, affaiblie par les crises successives des derniers mois et par l’absence d’action efficace de la part du courant du Futur auprès de ses partisans en cette période de catastrophe sociale. En effet, la formation haririenne est l’une des seules grandes composantes politiques qui n’a pas lancé une opération de solidarité sociale à l’égard de ses partisans au cours des dernières semaines. Les députés du groupe parlementaire du Futur se sont contentés de participer à des mouvements dans les régions, avec d’autres. Mais le courant du Futur n’a pas fait comme le PSP, le CPL, Amal, le Hezbollah et les Forces libanaises. De plus, pour le Hezbollah, la menace de Saad Hariri n’est pas à prendre au sérieux car, finalement, elle est surtout nuisible pour lui. En effet, la démission de 17 députés sunnites sur 27 n’est pas de nature à provoquer de nouvelles élections législatives, sous le couvert d’une violation du consensus confessionnel, puisqu’il restera au Parlement 10 députés sunnites. Elle ne ferait donc qu’exclure les députés du Futur du Parlement, sans remettre en cause la légitimité de l’institution. Enfin, le Hezbollah, qui a longtemps été favorable à la thèse du président de la Chambre sur la nécessité d’appuyer le chef du courant du Futur pour apaiser la rue sunnite, en est désormais moins convaincu, estimant que la période actuelle ne peut plus supporter les surenchères qui avaient lieu dans le passé sous les gouvernements présidés par Hariri.
Selon les sources proches du courant du Futur, le message caché dans l’absence de réaction du Hezbollah est bien arrivé à destination, mais il ne dérange pas Saad Hariri. Bien au contraire.
Selon ses proches, l’ancien président du Conseil n’est pas non plus mécontent de mettre un bémol à cette « cohabitation positive ». Cette « trêve » avec le Hezbollah a nui à la popularité de sa formation dans la rue sunnite. Elle a été exploitée par ses adversaires politiques et irrité des parties régionales. De plus, la période étant vraiment compliquée avec les crises successives, il est préférable pour Saad Hariri de ne pas être aux commandes pour un certain temps.
La rupture de la trêve est donc perçue par le Hezbollah et par l’ancien Premier ministre comme une chance pour mettre de l’ordre dans leurs situations respectives. Mais cela ne signifie pas qu’ils ont l’intention de se déclarer la guerre. L’option du retour au gouvernement n’est que reportée...
commentaires (8)
Les occidentaux ont confiance à Saad Hariri et pas HN alors il faut faire attention le Hezbollah
Eleni Caridopoulou
18 h 38, le 10 avril 2020