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Culture - Disparition

Nina Jidéjian nous laisse la mémoire du Liban... en héritage

Sa vie a été entièrement dédiée au patrimoine. Grande figure de l’histoire du Liban ancien, elle a transmis sa passion à des milliers de lecteurs.

Nina Jidéjian signe son livre au Salon du livre en novembre 2001. Photo Michel Sayegh

Historienne et archéologue, auteure de nombreux ouvrages, Nina Jidéjian a décrypté le passé du Liban avec érudition et rigueur. En reconnaissance de ses réalisations, de « l’étendue de ses vastes connaissances historiques et archéologiques » et de son « action inlassable au service du Liban » (dixit l’ancien ministre de la Culture Michel Eddé), elle est promue chevalier (1974) puis commandeur de l’ordre national du Cèdre, en 2002, et décorée de l’ordre de Saint-Mesrob Mashdots (inventeur de l’alphabet arménien) par Aram Ier, catholicos de la Grande Maison de Cilicie, en 1999. Mais s’il fallait à côté des décorations qui ont orné sa poitrine épingler une devise qui résumerait sa vie, sa valeur et ses qualités humaines, nous écririons : « Regarder ensemble dans la même direction est impératif pour protéger l’identité du territoire et son patrimoine. »

Derrière l’allure délicate et fluette de Nina Jidéjian se dissimulait une femme à la ténacité de travail impressionnante. Impressionnante par sa culture, sa documentation et la feuille de route qu’elle s’est attachée à concrétiser en offrant une (re)lecture accessible de l’histoire et de l’archéologie à des milliers de lecteurs, jeunes et moins jeunes, spécialistes ou profanes. Avec des résultats conformes à ses attentes : ses livres écoulés à des milliers d’exemplaires sont devenus « des ouvrages de référence qui font autorité ».


Byblos, son premier opus
Membre fondatrice du Festival international de Baalbeck, ancienne présidente du Festival de Anjar (1991), Nina Jidéjian était l’épouse du docteur Yervant Jidéjian dont les opérations pionnières ont marqué d’une croix blanche l’histoire du département chirurgical de l’hôpital américain de Beyrouth. Avant de se consacrer à l’histoire, elle s’attelle tout d’abord à l’éducation de leur enfant ainsi qu’à des activités caritatives et culturelles. « Lorsque ma fille est entrée à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), j’ai pris moi aussi le même chemin, afin de terminer mes études d’archéologie et d’histoire ancienne que j’avais interrompues à cause de mon mariage. » En 1965, elle obtient son master of arts de l’AUB. « Ma thèse sur Byblos, premier millénaire provoque une vive discussion entre les professeurs Ward et Baranski sur une date au IIIe millénaire. C’est là qu’intervient le “maktoub” auquel je crois », racontait Nina Jidéjian lors d’une interview accordée en 2008 à notre confrère Edgar Davidian. « Comme ma thèse traitait d’une période plutôt obscure de l’histoire de Byblos, mes professeurs m’ont suggéré de la publier. Je me présente alors avec mon manuscrit à l’imprimerie catholique Dar el-Machreq. Heureux hasard ou fortuite coïncidence, on m’informe que les pères jésuites recherchent justement des ouvrages en anglais sur les sites archéologiques au Liban. Et c’est ainsi qu’est né, en 1968, Byblos through the Ages. »

C’est le début d’une série d’ouvrages historiques sur Tyr, Sidon, Beyrouth et Tripoli.




(Lire aussi : Arménienne à 100 % et libanaise à part entière...)


Un talent de conteuse
S’appuyant sur l’étude minutieuse des vestiges et des textes classiques, des écrits des savants et des missionnaires en voyage au Liban, l’auteure reconstitue la trame historique de chaque cité en les ponctuant avec humour de détails pittoresques et de ces petites histoires qui font la grande histoire. Ainsi, dans son livre L’archéologie au Liban, l’historienne part sur les traces des diplomates du XIXe siècle et des collectionneurs d’objets d’art pour relater les découvertes accidentelles ou encore les fouilles clandestines et le mouvement de fuite des chefs-d’œuvre de la sculpture universelle vers les musées et les galeries d’art à l’étranger. De ces pages, rédigées dans un style clair et vivant, surgissent des personnages historiques hauts en couleur.

À Byblos, par exemple, les habitants du village racontent à Ernest Renan qu’en creusant des puits, ils avaient coutume de déterrer des objets égyptiens. L’archéologue français entreprend alors de creuser lui aussi parmi les maisons et les jardins. Un jour, il dégage le bas-relief d’une déesse dont la tête était surmontée d’un disque solaire : il venait accidentellement de découvrir Baalat-Gebal, la déesse qui a présidé aux destinées de la ville pendant des millénaires.


(Lire aussi : Nina Ninette Ninon)




Le Coran de l’époque mamelouk
La curiosité intellectuelle insatiable de Nina Jidéjian la conduit à enquêter, à titre d’exemple, sur la disparition d’un Coran mamelouk. Rédigé en trente volumes de cuir rehaussé d’or, celui-ci avait été offert par l’émir mamelouk Aytmish al-Bajasi à une madrasa créée près de Bab al-Wazir, l’une des portes de la Tripoli médiévale. « Hélas, nous ne connaissons pas le nom de la madrasa ni son emplacement. » Toutefois, à la suite de ses travaux de recherche, l’historienne découvre six exemplaires de ce même Coran à la Smithsonian Institution, à Washington DC ; au Walters Art Museum, à Baltimore ; à la Beatty Collection, à Dublin ; et à Paris, dans l’ancienne collection Henri Vever. Nina Jidéjian révèle aussi qu’une inscription portant le nom de l’émir Aytmish figure sur le promontoire nord-ouest de Nahr el-Kalb, commémorant la réparation d’un pont traversant le fleuve. Que l’émir portait le titre de « maréchal des armées » et de chef des émirs du sultan Malik Zahir Barquq. Et qu’il avait construit l’une des tours de garde protégeant Tripoli d’un retour des croisés.

Tout au long de sa carrière d’historienne et de grande conteuse, Nina Jidéjian réussit le tour de force de séduire les plus récalcitrants. Ses documents et ses récits trouvent une place particulièrement stimulante au cœur des événements historiques. Ainsi est-on convié, dans un chapitre consacré à Cléopâtre Théa, à rencontrer cette princesse macédonienne qui épousa trois rois séleucides et assassina l’un d’eux. Elle eut huit enfants, en fit tuer un et complota le meurtre d’un autre. Son rêve était de régner seule sur le grand territoire comprenant la Syrie, le Liban et la Palestine d’aujourd’hui. Les monnaies émises pendant ses trente ans de règne servaient de moyen de propagande et relataient les événements dramatiques qui marquèrent sa vie. Nina Jidéjian rappelle aussi que le temple de Jupiter était porté par neuf colonnes géantes qui étaient encore debout quand l’archéologue irlandais Robert Wood (1707-1775) visita Baalbeck. Le tremblement de terre de 1759 en fit tomber trois, il en reste six aujourd’hui. Et les événements culturels dans ces lieux ne datent pas des années 1900, mais des premiers siècles de l’ère chrétienne. Les billets d’entrée se déclinaient sous forme de disques d’ivoire.

L’archéologie est un immense théâtre qui a donné lieu à une histoire inépuisable et à un patrimoine inestimable, qu’il faudrait conserver pour aujourd’hui, pour demain, pour nous et pour les générations futures. Voilà ce que nous dit l’œuvre de Nina Jidéjian, dont nous nous souviendrons toujours du grand sourire, de la bonne humeur, de l’éternel optimisme.


Pour mémoire
Un nouveau voyage à travers le temps, avec Nina Jidéjian



Historienne et archéologue, auteure de nombreux ouvrages, Nina Jidéjian a décrypté le passé du Liban avec érudition et rigueur. En reconnaissance de ses réalisations, de « l’étendue de ses vastes connaissances historiques et archéologiques » et de son « action inlassable au service du Liban » (dixit l’ancien ministre de la Culture Michel Eddé), elle est...

commentaires (3)

Cet article est beau et élogieux, Nina le mérite.....mais pourquoi diable faut il qui il y ait un petit qq chose qui dérange? Pourquoi ne pas nous dire que Nina est née à Boston , son nom de jeune fille ( au lieu de la 100% arménienne ) et qu elle est décédé à 95 ans. C était une bonne amie qu elle repose en paix

Pigeon Voyageur

13 h 17, le 11 avril 2020

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Commentaires (3)

  • Cet article est beau et élogieux, Nina le mérite.....mais pourquoi diable faut il qui il y ait un petit qq chose qui dérange? Pourquoi ne pas nous dire que Nina est née à Boston , son nom de jeune fille ( au lieu de la 100% arménienne ) et qu elle est décédé à 95 ans. C était une bonne amie qu elle repose en paix

    Pigeon Voyageur

    13 h 17, le 11 avril 2020

  • J'ai achete a la boutique du musee, un livre en concernant les objets dans le musee nationale a Beyrouth, sans savoir qui l'auteur etait, mais en effet, le nom de ce livre indique "Nina Jidejian".

    Stes David

    19 h 20, le 10 avril 2020

  • Impressionnante, Nina Jidéjian! Espérons que ses livres soient toujours disponibles...

    Georges MELKI

    10 h 02, le 10 avril 2020

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