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Éclipse d’étoile

Il y a déjà des millénaires que les puissants de ce monde s’en remettent parfois, avec le plus grand sérieux, à l’inspiration de leurs astrologues pour retenir leurs options et en minuter l’exécution. Nombreux en sont les exemples tout au long de l’histoire, Catherine de Médicis ayant eu la chance inouïe de bénéficier des dons de l’extraordinaire Nostradamus; plus récemment, et sous l’influence de son épouse Nancy qui s’était offert une devineresse attitrée, c’est aux mêmes présages que se fiait le président américain Ronald Reagan.


Mais voilà, le palais présidentiel de Baabda ce n’est tout de même pas la Maison-Blanche. On n’y trouve visiblement pas de mage à même de décrypter la voûte céleste, ne serait-ce que pour se prononcer sur l’opportunité du fatidique moment : celui, précisément, où le chef de l’État convoquait les représentants du Groupe de soutien au Liban, de l’Union européenne et des organisations internationales pour leur adresser un vibrant appel à l’aide. Au fâcheux timing venait s’ajouter d’ailleurs un dossier bien mal ficelé.


C’est un fait qu’en ces temps d’épouvantable pandémie, les États sont bien trop occupés par leurs propres problèmes pour porter ailleurs une oreille compatissante et une main secourable. Imposées aux individus par le coronavirus, les précautions barrières ont aussi instauré la distanciation entre États, et ce triste phénomène n’a pas épargné même ce modèle de supranationalité qu’a pu représenter l’Europe unie. Interrogez donc à ce propos l’Italie accablée qui s’estime abandonnée, trahie, par ses partenaires, et qui a accueilli en héros les équipes médicales chinoises et cubaines. L’affaire ne se résume pas cependant aux tragiques pénuries de lits d’hôpital, de respirateurs et de masques. Atteintes de plein fouet, les économies s’effondrent, les déficits budgétaires atteignent des niveaux inégalés ; la solidarité européenne est mise à rude épreuve, avec ce sempiternel débat entre fourmis industrialisées du Nord et cigales méridionales moins bien nanties. C’est dire que l’altruisme du Vieux Continent risque peu de s’aventurer plus loin encore sur les routes du Sud, cap sur les idylliques rivages de notre pays…


Non moins sujet à caution est le plaidoyer développé lundi devant nos bons amis étrangers. Car les déboires financiers du Liban n’ont pas attendu, pour germer, l’afflux de réfugiés syriens, puis la pandémie, comme a paru le suggérer Michel Aoun. Ils ne sont pas seulement le résultat de trois décennies de mal gérance injustement héritées par son régime, comme il se plaît à le répéter. L’argumentation est peu susceptible de convaincre, aussi bien à l’extérieur comme à l’intérieur de nos frontières, car elle fait l’impasse sur la part de responsabilité du courant présidentiel dans le long blocage des institutions qui a précédé l’élection présidentielle, comme dans les abus et irrégularités qui ont grevé les finances publiques. C’est tout aussi vainement, au demeurant, que se trouvent occultées les complaisances diplomatiques et autres offertes à l’Iran, et qui ont valu au Liban les foudres financières des premiers de nos donateurs, les royaumes pétroliers du Golfe.


Si bien que l’on peut se demander s’il n’eut pas été plus judicieux – plus prudent en tout cas – de laisser le Premier ministre pousser la chansonnette en solo, devant le jury. Certes, Hassane Diab ne doit son bail au Sérail qu’à ces mêmes forces politiques qui n’ont cessé de mener au désastre. C’est vrai que son gouvernement est le prisonnier, l’otage, de ces parrains qui, de surcroît, n’arrivent pas toujours à s’entendre entre eux. Vrai que par leurs contradictions, ces tireurs de ficelles sabotent littéralement tout effort de redressement, qu’il s’agisse de la négociation avec le Fonds monétaire international, de la politique bancaire, des nominations de hauts fonctionnaires ou de toutes les autres réformes prétendûment en chantier. Mais il n’en reste pas moins que de toute la gent peuplant la stratosphère politicienne, Diab, tout ligoté et bâillonné qu’il paraisse, est bien le seul en mesure ( et en droit ! ) de se plaindre du funeste héritage du passé…


Le temps n’est plus où notre pays pouvait se fier à sa bonne fortune, son insolente chance de pendu, pour surmonter toutes les crises, bricoler avec succès les montages et solutions les plus acrobatiques, éconduire les envahisseurs de tout poil. Non moins dévastateur que le Covid-19, est le ver installé dans le fruit et c’est à cette sinistre paire que la moitié des Libanais doivent d’aborder aujourd’hui le seuil de la pauvreté.


Elle clignote décidément bien loin, la bonne étoile…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il y a déjà des millénaires que les puissants de ce monde s’en remettent parfois, avec le plus grand sérieux, à l’inspiration de leurs astrologues pour retenir leurs options et en minuter l’exécution. Nombreux en sont les exemples tout au long de l’histoire, Catherine de Médicis ayant eu la chance inouïe de bénéficier des dons de l’extraordinaire Nostradamus; plus récemment,...