Après le choléra, la dengue et la diphtérie, la menace d’une épidémie de coronavirus (Covid-19) plane désormais sur le Yémen. Malgré la détection de centaines de personnes positives au virus dans les pays voisins et des frontières poreuses, les autorités yéménites n’ont pas déclaré de cas jusqu’à présent. « Nous pensons qu’il pourrait y avoir des cas qui ne sont pas confirmés », indique cependant Alex Nawa, directeur pays d’Action contre la faim au Yémen, interrogé par L’Orient-Le Jour. « Il n’y a que deux centres de tests au Yémen : un à Sanaa et un à Aden, avec tout au plus une centaine de tests disponibles. Les autorités espèrent donc un approvisionnement de l’Organisation mondiale de la santé prochainement », explique pour sa part Yann Josses, coordinateur général au Yémen pour Médecins du monde.
Le pays fait déjà face à l’une des « pires crises humanitaires au monde », selon l’ONU. Ravagé par cinq ans de guerre, le Yémen est le théâtre d’un conflit sanglant entre les forces gouvernementales, soutenues par la coalition menée par Riyad et Abou Dhabi, et les rebelles houthis, appuyés par l’Iran. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a appelé le 22 mars à « un cessez-le-feu immédiat, partout dans le monde », dans le but de protéger les civils de la « furie » du coronavirus (Covid-19). Un appel salué par les belligérants, sans pour autant que les paroles soient suivies par les actes : la coalition a lancé des frappes lundi dernier sur la capitale yéménite Sanaa, tenue par les rebelles, deux jours après avoir intercepté des missiles lancés par les houthis visant les villes saoudiennes de Riyad et de Jizan. L’envoyé spécial de l’ONU pour le Yémen, Martin Griffiths, a toutefois indiqué jeudi dernier être en contact avec les belligérants afin de trouver un terrain d’entente pour un cessez-le-feu et permettre une pause humanitaire.
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« Hôpitaux déjà pleins »
Prise en étau, la population est la première à pâtir de la guerre : 20 millions de personnes sont en insécurité alimentaire, 17 millions ont besoin d’aide pour l’accès à de l’eau potable et une hygiène de base, 19,7 millions ont besoin de soins de santé. Une propagation du coronavirus (Covid-19) au Yémen aurait des conséquences d’autant plus dramatiques que l’équipement médical est insuffisant et que moins de 50 % des structures de santé fonctionnent pleinement, selon le Programme des Nations unies pour le développement. « Les hôpitaux sont déjà pleins habituellement, je n’ose même pas imaginer quelle serait la situation si le coronavirus arrivait chez nous », confie Lina*, âgée de 26 ans et résidant à Aden. « Il n’y a pas suffisamment d’approvisionnement en médicaments, les conditions de triage et d’isolement ne permettent pas une gestion fluide des cas potentiels de Covid-19 », souligne Yann Josses. Le pays dépend largement des approvisionnements extérieurs : « Il y a très peu de scanners, peu de thermomètres, quasiment pas de respirateurs artificiels. Un thermomètre infrarouge se négocie aujourd’hui entre 400 et 500 dollars pièce car les autorités ne parviennent malheureusement pas à réguler le marché local », poursuit-il.
À la mi-mars, le gouvernement yéménite a annoncé sa décision de fermer les écoles pour une semaine et l’annulation de tous les vols entrant ou sortant depuis les aéroports du pays jusqu’à la fin du mois d’avril, incluant les vols humanitaires. « C’était bizarre, surtout les deux premiers jours, tout était fermé », se souvient Reem*, actuellement bloquée dans le sud du Yémen en attendant de pouvoir rejoindre sa famille à Sanaa alors que les déplacements entre le Nord et le Sud sont désormais restreints. Des centres de quarantaine ont été mis en place à travers le pays tandis que des équipes de santé ont été déployées aux différents points d’entrée pour effectuer des tests. « Le Yémen est un pays de transit – même en temps de guerre – pour plusieurs milliers de migrants en provenance d’Afrique qui tentent de se rendre en Arabie saoudite pour y travailler », souligne Alex Nawa. Dans la province de Hadramout (Sud-Est), un couvre-feu a été décrété par les autorités locales s’étendant de 4h de l’après-midi à 4h du matin. Selon le site Arab News, des détenus ayant purgé la majorité de leur peine ou considérés comme présentant peu de risques ont été libérés dans les provinces de Hadramout, Mahra, Shabwa et Ad-Dali’ pour alléger les prisons et éviter que le virus ne s’y propage. Cependant, « une partie de la population n’accepte ni mesures de contrôle ni confinement, des tribus cherchent à défier le virus », raconte Lina. « On est tous anxieux vu qu’on est déjà en état de guerre donc les gens s’en fichent et prennent des risques », soupire-t-elle.
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« Des conséquences indirectes »
Les ONG et l’ONU multiplient campagnes de prévention sur les réseaux sociaux tandis que les équipes humanitaires présentes sur le terrain travaillent avec les communautés pour transmettre les gestes barrières tels que le lavage des mains et la distanciation sociale. Des mesures qu’il reste difficile à mettre en place alors que l’accès à l’eau et au savon n’est toutefois pas donné à toute la population. « Il faut aussi noter que le Yémen souffre depuis le blocus (aérien et portuaire imposé par la coalition) d’un manque en approvisionnement en denrées alimentaires, donc les systèmes immunitaires de beaucoup de personnes sont plus fragiles qu’à l’accoutumée et que dans d’autres pays », précise Yann Josses. D’autres ne peuvent appliquer les mesures de confinement alors que les prix des produits alimentaires et médicaux ont augmenté. « Des personnes vivent au jour le jour, elles n’ont pas d’autre choix que de sortir travailler pour pouvoir nourrir leurs familles », explique Reem. « Le paquet de masques valait avant 1 000 riyals (4 dollars). Aujourd’hui, il en coûte 3 000 (12 dollars), remarque pour sa part Lina. La plupart des pharmacies n’ont plus de stocks. »
Des conditions qui demandent un appui accru de l’aide internationale, alertent les ONG mais qui, face à la situation sanitaire mondiale, pourraient finalement se détériorer encore plus. « La crise du Covid-19 n’aura pas seulement des conséquences directes mais également indirectes – comme le report de la conférence d’appels de fonds pour le Yémen à Riyad (en partenariat avec l’ONU). De grands programmes de pays seront interrompus, incluant l’aide alimentaire à grande échelle, la santé, l’eau et les activités d’assainissement », estime Alex Nawa. Les États-Unis ont déjà annoncé le mois dernier la suspension d’une partie de leurs contributions financières au nord du pays, accusant les rebelles d’empêcher l’acheminement de l’aide humanitaire.
Aggravant un peu plus la situation, des inondations provoquées par de fortes pluies à Aden à la fin du mois de mars ont rappelé que, bien que l’attention générale soit focalisée sur le coronavirus (Covid-19), le risque d’une nouvelle épidémie de choléra au Yémen reste également prégnant. Selon l’OMS, plus de 2,7 millions de cas suspects ont été recensés depuis 2017. Alors que débute la saison des pluies ce mois-ci, l’ONG Oxfam estime que « l’année 2020 pourrait être marquée par 1 million de cas supplémentaires, au regard de la situation ».
*Les prénoms ont été modifiés.
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11 h 09, le 06 avril 2020