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Le matou qui rugissait

Simple répartie d’homme agacé. Grondement de matou qui sort à demi la griffe, mais craint plus que tout de s’en servir.

(Hervé Bazin, Qui j’ose aimer)

Dieu, garde-moi de mes amis ; mes ennemis, je m’en charge : cette célèbre citation de Voltaire qu’il aurait piquée, croit-on, à un antique roi de Macédoine, Hassane Diab pourrait fort bien en faire son slogan, sa devise, son pathétique cri de ralliement. Sauf que de se plaindre à juste titre en prenant l’opinion publique à témoin, de mettre le doigt sur la plaie, de briser la loi du silence, d’appeler un chat un chat, ce n’est pas encore assez.

Ce n’est pas la première fois, on le lui concédera, que le Premier ministre entreprend de pulvériser plus d’un tabou. Il y a peu, il enterrait un peu trop vite le bon vieux système économique libanais durement malmené, il est vrai, par l’actuelle crise. Du jamais-vu, l’homme censé gérer les affaires du pays allait même jusqu’à octroyer un certificat d’invalidité et d’incapacité à l’État, impuissant, notait-il, à protéger le peuple. En fait de protection, voilà soudain qu’il s’insurge lui-même contre… ses propres anges gardiens : contre ces mêmes forces politiques qui l’ont propulsé au Sérail, lui le débutant, au grand scandale du club très fermé des présidents du Conseil sunnites. Qui encadrent étroitement, au point de l’étouffer, son gouvernement dit de technocrates non partisans. Qui se livrent à une bataille de chiffonniers pour ramasser de nouveaux lambeaux de pouvoir dans ce champ de ruines qu’est la République. Qui finissent de confirmer les grands commis de l’État dans leur statut de pions dont on attend reconnaissance, obéissance, docilité, servilité. Qui, à l’heure de toutes les urgences, ne font qu’interdire toute velléité de sauvetage. Qui, en deux mots et de la plus littérale des manières, exécutent l’exécutif, et avec lui le pays.

Ce sont ces mêmes contradictions, inimaginables en temps de grave crise sanitaire et socioéconomique, qu’un Hassane Diab excédé se décidait à dénoncer jeudi en plein Conseil des ministres. Il a exprimé son ras-le-bol sous les applaudissements d’une partie de ses collaborateurs/trices, dont les départements ont eu à souffrir des mêmes ingérences et pressions. Le ministre des Finances a dû mettre au rencart ses plans de redressement, désavoués par ses propres sponsors. Comme plusieurs autres de ses collègues, le ministre de la Santé a été effaré par l’exigence, brandie sous forme d’ultimatum chiite, d’un immédiat et massif retour au pays des expatriés : opération qui risquait de se transformer en véritable coronabombe à retardement et qu’il a fallu assortir, au pied levé, de précautions sanitaires préalables à leur départ comme à leur arrivée. La goutte qui aura fait déborder le vase aura cependant été cette hallucinante querelle intestine tournant autour des nominations de hauts fonctionnaires de la Banque du Liban, sur fond de rivalités maronites à l’intérieur du cartel au pouvoir. Plus difficile à battre que le Covid-19 est le partage du gâteau étatique, constate d’ailleurs, dans un tweet, la ministre de la Justice, qui déplore la survivance d’un système où l’affectation des juges continue de reposer sur des critères confessionnels et régionaux.

Dans sa belle performance de jeudi, et comme à son habitude, Hassane Diab a eu beau jeu d’évoquer – et d’invoquer à sa décharge – la somme d’irrégularités, d’abus et de rapines accumulés en trente ans, et dont a funestement hérité son équipe. Mais ce n’est là que la moitié du dossier. En se laissant hisser aux hautes sphères du pouvoir, il ne pouvait ignorer en effet l’accablante part de responsabilité que porte, dans l’amer héritage, la très peu sainte trinité groupant ses principaux parrains. Il ne pouvait méconnaître le rôle actif qu’ont joué, chacun à sa manière, le CPL présidentiel et le tandem Hezbollah-Amal dans la déliquescence des institutions et l’assèchement des finances publiques. Diab devait bien se douter dans quelle sorte de cage dorée, soumise à quel haut degré de surveillance, il acceptait de se faire installer avec, bien entendu, les dérisoires honneurs dus à son rang…

D’avoir cédé à ces tristes accommodements, le Premier ministre ne peut s’en cacher derrière son petit doigt. S’il faut tout de même applaudir à sa saute d’humeur, on ne le fera donc, pour ainsi dire, que d’une seule main. Car s’il a bien paru secouer les colonnes du temple, s’il devait se confirmer qu’il est allé jusqu’à menacer de rendre son tablier, il a encore un bon bout de chemin à parcourir pour se gagner la confiance d’un peuple à l’abandon.

Le placide Hassane Diab a frappé du poing sur la table, le ronron du gros et somnolent matou a tourné au rugissement ? À la bonne heure ; ce sont les muscles qu’il lui faut travailler maintenant.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Simple répartie d’homme agacé. Grondement de matou qui sort à demi la griffe, mais craint plus que tout de s’en servir. (Hervé Bazin, Qui j’ose aimer) Dieu, garde-moi de mes amis ; mes ennemis, je m’en charge : cette célèbre citation de Voltaire qu’il aurait piquée, croit-on, à un antique roi de Macédoine, Hassane Diab pourrait fort bien en faire son slogan, sa devise, son...