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Société - Liban solidaire

A Tripoli, les ONG luttent contre la faim... avec les moyens du bord

Face à l’apathie des figures politiques de la ville, les associations misent sur les âmes charitables.

Les caisses de provisions destinées aux plus pauvres de Tripoli en voie de préparation.

On a souvent dit que le Liban n’aurait jamais survécu et réussi à panser les multiples plaies occasionnées par son histoire tumultueuse n’était-ce le dynamisme et l’engagement de la société civile. Mais face à la double crise économique et sanitaire, et avec un État longtemps dans le coma et aujourd’hui au bord de la faillite, l’action des associations caritatives et les initiatives personnelles sont essentielles, même si elles ne constituent plus qu’une goutte d’eau dans un océan de misère.

C’est le cas plus particulièrement à Tripoli, où la pauvreté qui concernait il y a quelques années un peu plus de la moitié de la population a explosé avec la profonde récession que connaît le pays. La situation s’est dramatiquement aggravée avec les nouvelles mesures de confinement imposées au Liban, où les couches les plus défavorisées ne bénéficient d’aucun filet de sécurité social.

Dans ce contexte, à Tripoli, les mesures de prévention contre la propagation du Covid-19, décrétées il y a deux semaines, ont été la goutte qui a fait déborder le vase. La fermeture des petits commerces, garages, artisanat, échoppes, et l’interdiction imposée aux marchands ambulants – nombreux dans cette ville – ont achevé d’assécher les maigres ressources sur lesquelles tablaient encore les familles démunies.

« La situation est plus que catastrophique. Les gens n’ont plus de quoi manger, encore moins de se procurer les médicaments de base dont ils ont besoin », témoigne une habitante de la ville. Laissée pour compte, la grande ville du Liban-Nord, qui compte pourtant les plus grandes fortunes de la région concentrées aux mains de quelques-uns, « ne peut même plus miser sur les miettes distribuées durant les rendez-vous électoraux par les zaïms de la ville », estime encore une activiste tripolitaine.



(Lire aussi : Repas et médicaments : des associations appellent à l’aide)



Dilemme
Dès lors, les mesures de confinement sont largement ignorées. Certains habitants semblent avoir fait le choix de risquer d’être contaminés par un virus qui pourrait, pour les plus chanceux d’entre eux, ne pas leur être fatal, plutôt que de mourir de faim faute de pouvoir travailler. Depuis plusieurs jours, la ville est le théâtre de manifestations, dans différents quartiers, pour faire pression sur les autorités afin qu’elles lèvent les interdictions liées à la mobilisation générale contre le coronavirus.Plusieurs ONG travaillent toutefois d’arrache-pied depuis le début de la crise pour tenter de résoudre, avec les moyens du bord, le dilemme qui se pose aux habitants – continuer de travailler en risquant de mettre sa vie et celle des autres en danger, ou rester confinés et perdre toute ressource financière pour survivre. Désormais, elles doivent lutter sur deux fronts : celui de la lutte contre la pauvreté et celui de la sensibilisation aux dangers du virus qui risque de faire autant de ravages sinon plus que la faim.

C’est notamment le cas de l’association Dunia dirigée par Nariman Chammaa, qui vient de parrainer un projet intitulé « Initiative de vie » cumulant distribution de rations alimentaires et de produits désinfectants, et campagne de sensibilisation électronique. L’association vient de lancer un appel pour recueillir des dons et des aides financières, et espère attirer en même temps de jeunes volontaires pour l’aider à la tâche. « Ensemble, nous pouvons sauver une vie », lance le message électronique diffusé à cette fin. « Nous ne savons plus où donner de la tête, qui aider et par où commencer, tellement la demande est colossale », confie Mme Chammaa. « Une mère de famille me disait il y a quelques jours : même si on me donne des rations alimentaires, je n’ai pas les moyens de m’acheter une bonbonne de gaz pour faire la cuisine. Voilà où en sont arrivés les pauvres de Tripoli », ajoute-t-elle. À Tripoli, il est de coutume, pour les plus pauvres, de se nourrir de pain imbibé de l'eau dans laquelle ont baigné des fromages. Cette eau dans laquelle ont baigné des fromages, pour les dessaler ou préserver le moelleux de leur consistance, est vendue dans les quartiers défavorisés. « Les gens achètent cette eau pour quelques pièces, ils ne peuvent se permettre plus que cela », confiait il y a quelque temps Ali, un habitant de Jabal Mohsen.



(Lire aussi : À Tripoli comme dans la banlieue sud, la menace de la faim mobilise la rue)



L’eau de fromage
Avec la multiplication des crises, qui ont entraîné une paupérisation des classes moyennes ces derniers mois, les sollicitations déferlent sur les associations. Maha Atassi, qui préside l’association Ward, reconnaît qu’il est difficile de répondre à tout le monde. « Avant on distribuait les aides et les vivres aux personnes inscrites dans notre base de données. Ce n’est plus le cas aujourd’hui dans la mesure où la grande majorité des habitants sont désormais touchés par la crise. Les classes moyennes se sont appauvries et les plus démunis se sont appauvris encore plus », déplore-t-elle. Adib Nehmé, consultant en développement et expert en lutte contre la pauvreté, indiquait récemment à L’Orient-Le Jour qu’à Tripoli, 60 % des familles vivent en deçà de l’indice citadin de pauvreté. Un pourcentage qui devrait s’aggraver encore dans les semaines et mois à venir.

Parmi les quartiers les plus touchés que Maha Atassi sillonne elle-même avec quelques volontaires dans le cadre de sa mission : Bab el-Tebbané, Jabal Mohsen, Bab el-Raml, al-Zahiriyé, Mina, Haret el-Jdidé, Hay el-Tanak, Wadi al-Nahlé, Mankoubine, Beddaoui...

« Toutes les ONG sont actuellement mobilisées pour venir au secours des populations de ces quartiers, mais elles n’arrivent pas à subvenir à tous les besoins. Nous sommes débordés », déplore l’activiste qui compte uniquement sur les aides qui lui proviennent de ses proches et de quelques amis aisés.

C’est aussi au compte-gouttes que l’association Sawa mninjah (Ensemble nous réussirons) recueille l’aide modeste qui lui provient de nombreuses âmes charitables pour faire perdurer le restaurant du cœur créé il y a plus de six mois. « Les gens donnent ce qu’ils peuvent. Certains donnent 10 000 ou 20 000 LL. D’autres vont jusqu’à 100 000 LL. Il y a également ceux qui nous soutiennent en nous fournissant riz, légumes ou fruits provenant de leurs marchés », confie Baha’ Ramadan, un professeur d’université qui se consacre aujourd’hui entièrement à des tâches caritatives.

Fondée par Diana Dernay’a-Karamé, cette association qui s’occupait au départ des orphelins de la région a décidé de diversifier ses services caritatifs pour apporter une aide alimentaire au nombre croissant de Tripolitains ayant sombré dans la grande pauvreté. Désormais, près de 400 à 500 plats cuisinés quotidiennement sont distribués aux nécessiteux.

« Avec une demande grandissante, nous avons été contraints de frapper à toutes les portes, y compris celles des figures de proue de la ville. Mais on nous lance la même réponse à chaque fois : “Nous avons nos propres pauvres que nous aidons déjà”. Quant aux ténors politiques de la scène locale, on ne les voit jamais », commente amèrement M. Ramadan.

Maha Atassi affirme que certains responsables ont cependant commencé à distribuer ici et là quelques aides, mais « leur contribution reste encore timide face à l’ampleur de la tragédie », dit-elle.

Toutes ces initiatives restent, finalement, totalement dépendantes de la générosité occasionnelle des uns et des autres. Or, ces donateurs risquent de s’essouffler, au fur et à mesure que la crise s’aggrave.

La municipalité planche néanmoins sur un projet destiné à créer un réseau pour rassembler les associations et coordonner les efforts afin de mieux répartir les tâches. Elle a débloqué à cette fin 3 milliards de livres libanaises qui seront distribués sous forme de bons d’achat à 80 000 familles, avec l’aide de l’armée et des moukhtars de quartier. Mais si la décision est prise, le passage à l’acte et donc à la distribution tarde à se concrétiser du fait de la lourdeur administrative et des multiples contreseings requis en amont. « En attendant, nous continuons sur notre lancée et faisons de notre mieux pour soulager les gens dans la souffrance », conclut Maha Atassi.



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commentaires (3)

BRAVO, BRAVO! aux associations qui donnent au mépris des risques! l'exemple ,c'est eux! J.P

Petmezakis Jacqueline

10 h 05, le 03 avril 2020

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Commentaires (3)

  • BRAVO, BRAVO! aux associations qui donnent au mépris des risques! l'exemple ,c'est eux! J.P

    Petmezakis Jacqueline

    10 h 05, le 03 avril 2020

  • IL EST HONTEUX D,ABANDONNER LA SECONDE VILLE DU LIBAN A LA FAIM UN FLEAU PLUS LAID QUE LE FLEAU QUI SEVIT. LES PREDATEURS BANQUIERS EN SONT LES PREMIERS RESPONSABLES ET NON SEULEMENT DE TRIPOLI MAIS DE TOUT LE PAYS CAR ILS ONT DEVALISE LES ALIBABIENS LES ECONOMIES D,UNE VIE DES DEPOSANTS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 55, le 03 avril 2020

  • Quand on pense que c'est à Tripoli que vivent les hommes les plus riches du Liban!

    Yves Prevost

    06 h 35, le 03 avril 2020

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