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Politique - Disparition

Khaddam et le Liban : une rédemption tardive ?

Le grand ordonnateur du dossier libanais, qui agitait les ficelles du conflit pendant la guerre civile et bien au-delà, a fini par reconnaître les erreurs du régime syrien et faire défection après l’assassinat de Rafic Hariri qu’il a défendu jusqu’au bout.

Abdel Halim Khaddam reçu par Rafic Hariri à Koraytem, en juin 2001.

Rares sont les responsables libanais des dernières décennies qui n’ont pas eu affaire à Abou Jamal. L’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, en exil doré à Paris où il est décédé hier, a affirmé quelques années avant sa mort qu’il hésitait encore à publier ses volumineux mémoires sur le dossier libanais, de crainte que ses révélations « n’approfondissent les dissensions entre les responsables libanais ».

C’est avec le début de la guerre civile en 1975 que les Libanais commencent surtout à entendre parler de celui qui était alors ministre des Affaires étrangères et tentait de s’imposer comme médiateur dans le conflit, parfois à la demande d’une des parties libanaises. Des parties que la Syrie, intervenue militairement au Liban, jouait les unes contre les autres au cours des différentes phases de la guerre, appuyant tantôt les forces palestino-progressistes, tantôt le camp chrétien.

« Nous avons commis des erreurs au Liban », a-t-il reconnu dans une série d’entretiens avec la chaîne al-Arabiya en 2011, après avoir fait défection, tout en assurant qu’il n’avait pas de sang sur les mains et qu’il n’était impliqué dans aucun des assassinats de personnalités libanaises dont le régime syrien est accusé. Mais il a continué à défendre la politique syrienne qui visait, selon l’ancien député Farès Souhaid, « à diviser les Libanais pour les empêcher d’avoir un intérêt national » : « Notre but était d’empêcher qu’une partie prenne le dessus sur une autre, pour barrer la route à une partition du Liban », a-t-il affirmé à al-Arabiya.

« Tous les dirigeants libanais ont fait des erreurs, en ayant recours à des forces extérieures pour les appuyer contre des parties libanaises, à l’exception d’un seul homme, Raymond Eddé », a encore dit, après sa défection, ce petit homme sec qui était convaincu, comme l’ensemble des dirigeants syriens, qu’un Liban indépendant était une hérésie et que le pays faisait partie de la Syrie. Ce qui n’a pas empêché le « haut commissaire » syrien de tisser des relations étroites avec un grand nombre de dirigeants libanais au cours des années de conflit, avec un faible pour deux d’entre eux, Nabih Berry et surtout Walid Joumblatt, auquel il est toujours resté reconnaissant d’avoir contribué à faire tomber l’accord du 17 mai 1983 entre le Liban et Israël.


Un Metternich à la syrienne

« Khaddam était le plus redoutable instrument de la politique syrienne au Liban », dont le principal objectif était de « déstabiliser le pays » pour le contrôler, estime l’ancien ministre Marwan Hamadé. Pour lui, ce « Metternich à la syrienne » a joué, avec l’ancien chef d’état-major Hikmat Chéhabi, un rôle très important au Liban entre 1978 et 1995. Abou Jamal a notamment été le parrain de l’accord tripartite signé à Damas fin 1985 entre les Forces libanaises d’Élie Hobeika, le mouvement Amal et le Parti socialiste progressiste, et a joué un rôle important dans l’accord de Taëf qui a mis fin à la guerre en 1990, explique-t-il.

« Avec Chéhabi et le ministre de la Défense de l’époque Moustapha Tlass, ils constituaient une sorte de “doublure sunnite” du régime syrien, qui ont été les instruments d’une politique d’équilibre avec l’Arabie saoudite et l’Égypte », poursuit M. Hamadé.

Et c’est de cette époque que date son amitié avec Rafic Hariri, nouveau venu sur la scène politique libanaise après la première guerre du Golfe qui a consacré la mainmise de la Syrie sur le Liban, en contrepartie de la participation des forces syriennes à la coalition internationale contre Saddam Hussein. « Khaddam, devenu vice-président et qui n’était pas aimé des Saoudiens, maintenait un lien avec eux à travers Hariri », explique M. Hamadé, et l’ancien Premier ministre faisait profiter de ses largesses Abou Jamal, comme beaucoup d’autres responsables du régime de Damas.

Mais cette aile modérée en Syrie a commencé à perdre de l’influence à mesure que vieillissait le président Hafez el-Assad. Et avec l’accession au pouvoir de son fils Bachar en 2000, c’est l’aile « dure » alaouite prônant le rapprochement avec l’Iran aux dépens des relations avec les pays arabes modérés qui a pris le dessus, explique Farès Souhaid, qui qualifie Khaddam de « Mazarin de la Syrie ».

Khaddam a commencé à perdre peu à peu son influence sur le dossier libanais dont Bachar el-Assad s’était saisi en 1998, avant la mort de son père, poussant ses pions et notamment le commandant en chef de l’armée devenu président, Émile Lahoud.

« Les choses ont commencé à changer en Syrie. Et Khaddam lui-même a commencé à changer dans les derniers jours de Hafez el-Assad, critiquant certaines politiques du régime, raconte un proche de Rafic Hariri. Et en 2000, il a conseillé à Hariri de ne pas revenir à la tête du gouvernement, car le régime syrien ne le laisserait pas travailler. »

Khaddam « était contre la reconduction du mandat d’Émile Lahoud et la mainmise de Bachar el-Assad et du groupe alaouite sur le Liban », affirme Marwan Hamadé.

Et lorsque l’ancien ministre a été visé par un attentat en octobre 2004, le vice-président syrien en personne est venu le voir à l’hôpital américain à Beyrouth, une manière de dénoncer cet acte. « Bachar nous a fait savoir par la suite que Khaddam ne le représentait pas et a envoyé une autre personnalité », se souvient M. Hamadé.

Bien avant l’attentat dans lequel Rafic Hariri a été tué le 14 février 2005, le vice-président syrien avait commencé à le mettre en garde et lui faire comprendre qu’il craignait pour sa sécurité. Et lorsque l’ancien Premier ministre a été assassiné, dans un geste de défi, il s’est rendu à Beyrouth pour ses obsèques. « Je n’oublierai jamais cette image, dit Farès Souhaid. Nous étions devant la mosquée el-Amine, dans l’attente du convoi funèbre. Il est arrivé seul, sans gardes du corps, et s’est assis sur une chaise en plastique, les yeux hagards. » Quelques mois plus tard, il faisait défection et accusait, depuis Paris, le régime qu’il a fidèlement servi d’avoir assassiné Hariri.

Rares sont les responsables libanais des dernières décennies qui n’ont pas eu affaire à Abou Jamal. L’ancien vice-président syrien Abdel Halim Khaddam, en exil doré à Paris où il est décédé hier, a affirmé quelques années avant sa mort qu’il hésitait encore à publier ses volumineux mémoires sur le dossier libanais, de crainte que ses révélations « n’approfondissent...

commentaires (14)

il était un bon chien de garde de hafez el assad et responsable des libanais disparus en syrie pd la guerre civile sans nouvelles depuis pdt 30 ans à faire semblant vouloire stopper la guerre civile au Liban en allument le feu un peu partout pour attiser la haine entre les libanais.

youssef barada

20 h 25, le 01 avril 2020

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Commentaires (14)

  • il était un bon chien de garde de hafez el assad et responsable des libanais disparus en syrie pd la guerre civile sans nouvelles depuis pdt 30 ans à faire semblant vouloire stopper la guerre civile au Liban en allument le feu un peu partout pour attiser la haine entre les libanais.

    youssef barada

    20 h 25, le 01 avril 2020

  • Réctif : Etat de Damas (Bilad ech-Cham). Excuses.

    Un Libanais

    19 h 36, le 01 avril 2020

  • "Le Liban indépendant est une hérésie". Mais une hérésie qui existe depuis la genèse, ne l'est plus. Tandis que que la Syrie actuelle, n'est que l'Etat de Damas (Bilad ech-Charq) auquel, la France mandataire, avait ajouté l'Etat des Alaouites, l'Etat d'Alexandrette*, l'Etat d'Alep et l'Etat de Djebel-Druze. Un vrai panier d'écrevisses ! * Devenu turc depuis 1938.

    Un Libanais

    18 h 59, le 01 avril 2020

  • De tous ces représentants du régime syrien, y-compris Abdel-Halim Khaddam et sa "défection" tardive et calculée, tous ont su exploiter à leur avantage le manque de patriotisme de beaucoup de Libanais, ainsi que leurs éternelles divisions en tout...et leur amour immodéré de...l'argent ! Et le plus triste est de constater que cela continue avec beaucoup de...Libanais actuels, qu'ils soient politiques ou simples citoyens ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 38, le 01 avril 2020

  • Selon Farès Soueid, Abdel-Halim Khaddam était le "Mazarin de la Syrie". Pour Marwan Hamadé, il était le "Metternich à la syrienne". Pour un Libanais lambda, il était un "Edward Spears de la perfide Albion à la syrienne".

    Un Libanais

    13 h 04, le 01 avril 2020

  • Quelle revanche de l’histoire la Syrie d’aujourd’hui est devenu tout comme le Liban des années 70 et 80 le défouloir de toutes les grandes et moyennes puissances de la région et au delà. La Syrie naguère dirigée par une main de fer dans un gant de velours par le maitre tacticien Hafez El Assad qui a mis des décennies à construire l’édifice a été réduite à néant et est devenue la risée de tous à cause de l’entêtement le manque de tact et de la myopie (le comble pour un ophtalmo) de son très peu doué rejeton, comme quoi il est vrai que tel père ne veut pas dire tel fils et que la montagne accouche souvent d’une souris,

    Liban Libre

    12 h 52, le 01 avril 2020

  • Il peut être tranquille de la où il se trouve la relève est assurée et les libanais n’ont toujours rien compris. Ils ont été formatés pour suivre des traitres qui ont ouvertement déclaré la guerre au Liban en se servant des libanais écervelés en prônant l’unité nationale. Le résultat est là, après la Syrie, c’est à l’Iran qu’on affiche son allégeance ouvertement et une partie des libanais trouve ça tout à fait normal. Non mais quel pays!,,,

    Sissi zayyat

    12 h 36, le 01 avril 2020

  • Si les syriens, quelle que soit leur composante politique, nous laissaient tranquilles et arrêtaient de s’immiscer dans nos affaires, on serait certainement dans une meilleure situation. Les dirigeants politiques du Liban se sont tournés vers la Syrie et les syriens les ont utilisés comme de petits pions mais ça arrangeait bien nos dirigeants pour assoir leur leadership et profiter des avantages qui vont avec. N’en déplaise aux syriens et à certains libanais, le Liban est un pays libre et indépendant. Il n’a jamais fait partie de la Syrie et n’en fera jamais partie. Que ce soit compris une fois pour toutes à Damas comme à Beyrouth.

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 17, le 01 avril 2020

  • Le seul nom propre dans les 2 sens du terme : est M Raymond Eddé. Hommage à ce Monsieur.

    LE FRANCOPHONE

    10 h 08, le 01 avril 2020

  • oui,et hommage au feu et glorieux national Raymond EDDE,qui a lui seul combattu et refusé leur entrée de criminels au Liban en 1976....2006!!

    Marie Claude

    08 h 54, le 01 avril 2020

  • tous des meneurs de guerres, et des voleurs d argent. La Syrie,les criminels et le fléau du Liban!

    Marie Claude

    08 h 52, le 01 avril 2020

  • « Nous avons commis des erreurs au Liban ». Le mot "erreur" pour qualifier l'action syrienne au Liban est l'euphémisme du siècle! Bien que plus apprprié, celui de "crime" demeurerait encore en dessous de la réalité.

    Yves Prevost

    07 h 22, le 01 avril 2020

  • Il faut que le Liban poursuive sa succession en France pour biens mal acquis

    M.E

    03 h 25, le 01 avril 2020

  • Raymond Eddé, gloire à votre souvenir !

    LeRougeEtLeNoir

    01 h 02, le 01 avril 2020

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