Alors que les pays occidentaux se heurtent tour à tour au pic de l’épidémie de Covid-19, de plus en plus de voix s’élèvent pour tirer la sonnette d’alarme face à la perspective probable d’une contamination massive dans les pays d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine et d’Asie.
Pour l’heure, l’attention internationale reste concentrée sur des pays comme la Chine, l’Italie ou les États-Unis – des États qui peuvent se targuer d’un système de santé relativement solide, bien qu’éprouvé. Mais la propagation mondiale de l’épidémie vers des zones jusqu’ici moins affectées devrait rapidement révéler l’inégale situation des pays face à la crise. Des inégalités qui s’exprimeront avant tout par la fragilité des infrastructures médicales, l’insuffisance des ressources financières et le manque de matériel – ventilateurs, masques, médicaments.
Ces craintes se cristallisent particulièrement autour de régions qui pourraient être doublement, triplement même, affectées du fait d’un contexte préexistant déjà précaire. En Afrique, dans des pays du Sahel comme le Mali, l’épidémie pourrait aggraver la situation pour une population ébranlée par les violences jihadistes et un état d’extrême pauvreté : « Ajoutez encore à cela le coronavirus, et c’est une déflagration ! » s’inquiète le sociologue ivoirien Francis Akindes. Le 18 mars, au lendemain de l’annonce d’un premier mort en Afrique subsaharienne, au Burkina Faso, l’Organisation mondiale de la santé appelait le continent à « se réveiller », craignant qu’il faille se « préparer au pire ».
Au Moyen-Orient, des pays comme la Syrie ou le Yémen devront affronter la crise sanitaire dans un contexte de guerre qui rend chimérique l’application des mesures préventives, même les plus basiques, notamment à cause du manque d’accès à l’eau et au savon. La situation est également critique en Amérique latine, au Venezuela et en Colombie par exemple où les déficiences du système de santé risquent d’accélérer un désastre en cas de progression de l’épidémie.
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Mesures barrières
Les organisations humanitaires s’activent pour adapter leurs programmes aux mesures d’urgence sanitaire, et les gouvernements adoptent progressivement les mesures traditionnelles de confinement et de fermeture des lieux publics et des frontières. En Afrique notamment, « l’épidémie, qui n’a pas encore de réponse en terme médical, est combattue par des mesures barrières, c’est-à-dire des mesures qui visent à lisser le pic et limiter la pression sur le dispositif médical », observe le sociologue ivoirien Francis Akindes.
Mais les mesures prises jusqu’à présent restent calquées sur les pays du Nord et inadaptées au contexte local. La fermeture officielle des frontières, par exemple, ne tient pas compte de la relative porosité de ces dernières dans de nombreux pays. « Les autorités ont tendance à être déboussolées, à répéter les modèles du Nord sans qu’il y ait un effort pour inventer des réponses adaptées aux réalités locales », note Francis Akindes. À terme, ces stratégies pourraient se révéler inefficaces parce que inadaptées dans des zones densément peuplées comme les bidonvilles, les quartiers populaires ou les camps de réfugiés.
Il s’agirait donc d’adapter les politiques aux caractéristiques comportementales et environnementales. « Les sociétés européennes sont très individualistes et les espaces de vie ne connaissent pas les surcharges de population qu’on connaît dans nos pays, observe Francis Akindes. La classe moyenne africaine a des modes de vie proches de ce qu’on retrouve en Europe. Mais quand on descend dans l’échelle sociale, des difficultés apparaissent : dans les quartiers populaires, la question du respect de la distanciation sociale pose problème, on demande un confinement qui crée des conditions de promiscuité, qui précisément permet à ce virus de migrer rapidement. Avec un manque d’infrastructures de base, l’accès à l’eau est un luxe : demander de se laver les mains, c’est convoquer un bien rare. »
Des organisations internationales ont exprimé des craintes similaires, à l’image du secrétaire général du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland, qui lançait mardi un appel pour réagir face au risque de propagation du coronavirus parmi les dizaines de millions de réfugiés à travers le monde.
Effet boomerang
À ces difficultés, s’ajoute le contrecoup économique et à terme politique de l’arrêt des activités : l’idée que si ce n’est pas le coronavirus, c’est la faim qui tuera. « Sur le plan social, ça va être très grave pour ceux qui vivent d’activités génératrices de revenus au quotidien et qui devront choisir entre prendre le risque d’aller travailler et contracter le virus, ou rester confinés sous la pression des gouvernements. Une situation qui provoquera des tensions entre les forces de l’ordre et les populations pour qui économiquement ce n’est pas viable », estime Francis Akindes.
Alors que les pays occidentaux puisent dans leurs réserves pour mettre progressivement en place des mesures compensatoires afin d’amortir le choc économique, les pays du Sud en ont rarement les moyens. L’épidémie est susceptible d’entraîner un effondrement social qui, à son tour, pourrait nourrir une contestation populaire. Mais l’effet boomerang pourrait apparaître en décalé : « On ne s’attend pas à voir un effondrement immédiat. La peur de l’épidémie a un effet dissuasif pour les manifestations populaires. Mais, là où les gouvernements se montreront incapables de gérer la crise, on peut s’attendre à ce que des mouvements de protestation explosent », indique à L’OLJ Richard Gowan, directeur du programme des Nations unies au Crisis Group à New York.
Pénuries, crise sanitaire inédite, risque d’effondrement social : les retombées potentielles du Covid-19 dans ces régions du monde restées jusqu’à présent en seconde ligne sont établies. Reste un espoir : que ces pays profitent d’avoir des populations majoritairement jeunes. Mais si le virus est aujourd’hui connu pour être moins agressif à l’égard des jeunes, il est néanmoins impossible de savoir à l’avance si ces tendances observées ailleurs s’appliqueront à des populations qui souffrent de malnutrition.
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commentaires (2)
UN ARTICLE TRES INTERESSANT QUI ECLAIRE SUR LES RETOMBEES PROBABLES DE L,EXPLOSION DU FLEAU DANS LES PAYS PAUVRES DU SUD.
LA LIBRE EXPRESSION
12 h 29, le 28 mars 2020