Faut-il ou non que les États-Unis lèvent leurs sanctions économiques contre l’Iran qui subit la crise du coronavirus de plein fouet ? C’est l’un des débats qui ont animé la presse américaine cette semaine avec, le même jour, un éditorial du New York Times appelant à lever les sanctions et un autre du Wall Street Journal exhortant au contraire Washington à poursuivre sa politique de pression maximale. Les deux camps ont des arguments valables. Les sanctions compliquent l’achat d’équipement médical par Téhéran, alors que le pays est le foyer de l’épidémie au Moyen-Orient et l’un des plus touchés dans le monde avec, officiellement, plus de 2 300 morts. Lever les sanctions, c’est aider l’Iran – qui a demandé l’assistance du FMI pour la première fois depuis 1962 – à surmonter cette terrible épreuve et ainsi sauver des vies, disent les uns. Le régime iranien, qui a menti au début de la propagation du virus notamment pour ne pas annuler les élections législatives et qui ment encore sûrement sur la réalité des chiffres, est le principal responsable de cette situation et il continue, par ailleurs, via les milices qui lui sont affidées, à attaquer les forces américaines en Irak, disent les autres. Pas question pour eux de faire un cadeau au régime, alors que la crise pourrait au contraire l’affaiblir encore et l’obliger à céder aux exigences américaines.
Dans une lettre adressée aux Nations unies, huit pays parmi lesquels l’Iran, la Russie, la Chine ou encore le Venezuela ont appelé à geler les sanctions le temps de la lutte contre le Covid-19. Se faisant l’écho de cette initiative, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a demandé hier de « suspendre les sanctions qui peuvent saper la capacité des pays à répondre à la pandémie ». Le chef de la diplomatie de l’Union européenne Joseph Borrell avait pour sa part annoncé lundi l’envoi d’une aide humanitaire de 20 millions d’euros à l’Iran dans les prochaines semaines. Une trêve pendant la pandémie ?
Il y a peu de chances que l’administration Trump soit sensible à ces arguments. « La seule chose qu’ils doivent faire est de le demander », avait répondu le président américain, le 29 février dernier, à la question de savoir s’il était prêt à venir en aide à Téhéran dans sa lutte contre la propagation du Covid-19. Donald Trump voulait ainsi obliger l’Iran à courber l’échine. Mais le régime iranien a prouvé ces 40 dernières années qu’il préférait souffrir le martyre plutôt que de se montrer en position de faiblesse. On ne chérit pas la main qui nous étrangle. « Nous nous méfions des intentions des Américains et ne comptons pas sur (leurs) aides », a répondu sans surprise l’ayatollah Khamenei.
La pandémie est loin d’avoir apaisé les tensions. L’administration américaine a accusé l’Iran « d’avoir menti » à sa population et a renforcé ses sanctions à son égard. Le régime iranien a accusé les États-Unis d’être à l’origine du virus, et les milices qui lui sont fidèles ont profité de cette période où toute l’attention est focalisée sur le Covid-19 pour harceler les troupes américaines en Irak.
On revient alors à la question de départ : faut-il ou non lever les sanctions ? Washington est convaincu que sa stratégie va mettre le régime à genoux. Il n’a pas tort. La pression américaine étrangle l’économie iranienne et le régime aura du mal à sortir indemne de cette confrontation, surtout si Donald Trump est réélu en novembre prochain. En ce sens, la crise du coronavirus en Iran fait ses affaires. Dans le même temps, la politique offensive des États-Unis n’a pas eu pour effet de calmer les ardeurs iraniennes, bien au contraire. Elle a fait le jeu des durs et a poussé l’Iran à mener des actions ciblées contre les alliés américains au Moyen-Orient.
Le bras de fer actuel entre les deux pays mène à l’impasse. Ni Washington ni Téhéran ne veulent d’un affrontement direct, mais le risque n’est pas à écarter, en témoigne l’escalade qui a suivi l’élimination du général iranien Kassem Soleimani en janvier dernier. Sur le plan interne, même si le régime iranien plie, il est peu probable qu’il rompe, compte tenu notamment de son appareil répressif. Et même si c’était le cas, la stratégie américaine ne s’appuie sur aucune alternative crédible susceptible d’éviter une période de forte instabilité, voire de guerre civile prolongée.
Les États-Unis veulent amener Téhéran à renoncer à sa politique régionale, l’une de ses raisons d’être, et à ses missiles balistiques, qu’il perçoit comme son seul moyen de défense. Cela paraît des plus difficiles. Mais cela nécessite en tout cas de l’amener à la table des négociations. Faire un geste fort à l’égard de l’Iran aujourd’hui, comme un gel des sanctions, pourrait faciliter cette démarche, alors que l’épidémie pourrait y faire jusqu’à 3,5 millions de morts selon des chercheurs iraniens. Le régime pourrait en profiter pour se revigorer et renforcer ses positions dans la région. Mais c’est un risque à prendre compte tenu des circonstances et qui paraît limité par rapport à une catastrophe humanitaire qui laisserait de profondes traces. C’est surtout l’occasion pour l’administration Trump de prouver que sa politique n’est pas dirigée contre la population iranienne, la première à souffrir des sanctions et qui se retrouve entre le marteau du régime et l’enclume américaine. La balle est dans le camp américain.
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commentaires (11)
Encore un drame humain, un de plus... Les civils ne méritent pas de mourir pendant que les politiques continuent leur jeu d'échec. Les civils n'ont rien demandé, tout ce qu'ils souhaitent c'est vivre en paix, avec dignité. Ca vaut pour tous les peuples, killoun : iraniens, ukrainiens, irakiens, syriens, palestiniens, afghans, tibétains, etc etc...
Desperados
16 h 06, le 29 mars 2020