Être face à soi-même depuis plus de deux semaines est une expérience nouvelle pour un grand nombre de gens. Être obligatoirement confiné(e) en est une pour quasiment tout le monde. Parce que nous y sommes obligé(e)s. Ces longues heures d’ennui, d’introspection, de sommeil ou d’angoisse nous auront permis de remarquer un tas de choses. Et pas seulement sur nous-mêmes. Une de mes amies, Petra, s’est amusée à dresser l’inventaire de tout ce qu’elle est en train d’apprendre et de découvrir pendant son isolement. Un exercice auquel nous devrions tous nous atteler. Combien de choses ne savons-nous pas faire ? De quoi avons-nous vraiment besoin ? Qu’en est-il de nos rapports avec certaines personnes de notre entourage ? Qu’est-ce qui aura changé en nous après… Après ça.
Depuis le début du lockdown, j’ai réalisé à quel point j’aimais enlacer ceux que j’aime. Combien j’aime leur parfum, l’odeur de leur peau. Combien j’aime sentir leurs bras autour de mes épaules ou de ma taille. Combien j’aime m’allonger à côté d’eux. Et combien ne les voir qu’à travers l’écran de mon téléphone n’était définitivement pas suffisant. J’ai réalisé que les gens que je chéris me manquaient terriblement. Que même si je ne les voyais pas très souvent, être interdite de les voir pesait lourd sur mon cœur. Ne pas pouvoir embrasser mes parents, rendre visite à mes tantes et mes cousins, prendre un verre avec mes ami(e)s me faisait mal. J’ai observé aussi qu’il y avait des gens qui m’aimaient réellement. Pas en surface. Qui m’ont appelée pour avoir de mes nouvelles. Pour voir comment ça allait. Et a contrario, j’ai rencontré cet amer sentiment qu’il y a des personnes à qui je ne manquais probablement pas, et qui a fortiori ne me manquaient pas. Comme si ce confinement me/nous permettait de faire ce satané ménage de printemps qu’on a souvent peiné à effectuer dans la vraie vie. Cette vie d’avant.
J’ai aussi compris ce que je voulais faire plus tard… quand je serai grande. Grandie par ce que nous sommes en train de traverser. J’ai également compris ce que je ne ferai plus. Les erreurs que je ne commettrai plus. Envers moi-même et envers les autres. J’ai saisi la beauté de certains gestes, de certaines paroles. La beauté de certaines musiques, la profondeur de certains écrits. La violence nécessaire de certains films. L’intérêt de pleurer parfois et de rire toujours. J’ai remarqué que les petits détails de notre existence pouvaient être de grandes aventures. Que certaines douleurs ne devraient pas avoir lieu d’être. Que certaines joies devraient être plus précieuses. J’ai remarqué la grande inutilité de l’accessoire et le détachement que l’on devrait avoir pour les choses matérielles. Qu’elles prennent trop de place, n’en laissant plus aucune à l’essentiel. J’ai compris l’importance de la liberté et de l’utilité des secondes chances. Compris l’impermanence des sentiments. La fragilité de notre existence. J’ai regardé le temps perdu qui ne reviendra plus, le temps que l’on doit perdre parfois et celui que l’on gagne enfin aujourd’hui. J’ai appris à apprécier ces longues heures d’immobilité et de silence. Je me suis remplie de moi-même. Je me suis apprivoisée et pardonnée. J’ai assimilé plus qu’auparavant la nécessité du pardon. L’urgence de dire aux gens qu’on aime qu’on les aime. J’ai réalisé que j’étais en train d’apprendre un tas de nouvelles choses. Qu’elles soient importantes ou futiles.
J’ai constaté que je préférais mes grosses chaussettes à mes stilettos, ma peau sans maquillage, mes cheveux et mes mains au naturel. Que je n’avais pas assez de survêtements, trop de t-shirts. Que je savais faire des gâteaux mais pas le repassage. Que j’aimais le sport finalement, le bruit des voitures dans la rue, les cris des enfants dans les cours de récréation, les cloches des églises et la voix du muezzin et les fleurs qui se fanent. J’ai réalisé que mon canapé était trop moelleux, mon matelas crevé à droite, mes tables basses pas pratiques. J’ai fait le tri des boîtes de médicaments expirés depuis 2016, des épices périmées depuis trois ans, des Polaroids sans intérêt, des collants filés et des chaussettes trouées. Des factures qui s’accumulent dans l’entrée, des vieilles cartes de parcmètre sans aucune utilité, des cartes d’anniversaire d’il y a six ans, des numéros dans mon téléphone qui appartiennent à des gens dont je ne me souviens plus, des magazines qui traînent comme dans la salle d’attente de mon dentiste.
Et j’ai surtout réalisé que j’étais heureuse d’être confinée ici. Au Liban et pas ailleurs. Auprès de ceux que j’aime.
Bonjour Médéa. Ta liste à la Prévert de tout ce que tu as appris en 15 jours de confinement est impressionnante. Que te restera-t-il à apprendre au cours des 3 - 4 semaines (au moins) prochaines de confinement ? Peut-être la vraie valeur de la Vie et le côté éphémère des choses. A tantôt !
11 h 40, le 28 mars 2020