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Lifestyle - Carnet de bord

XXVI – Basculement dans un univers parallèle

Photo C.K.

Récit d’une semaine où notre monde a basculé.

Vendredi 13 mars

Le chiffre du jour : 77 cas de contamination. Au réveil, les Libanais constatent, surpris, les dégâts provoqués par la tempête durant la nuit. La nature s’est déchaînée. L’épidémie qui s’acharne sur nous, aussi, semble prendre le dessus sur les enjeux politiques. Notre moral oscille plus rapidement que les fluctuations des bourses mondiales. Deux semaines maintenant que les écoles sont fermées. Nous avons pris la décision de fermer nos bureaux en attendant la suite. Première journée de télétravail à la maison… La cohabitation avec mon fils s’annonce longue et bruyante !

Samedi 14 mars

Le chiffre du jour : 93 cas de contamination. Les restrictions des vols commencent à être inquiétantes. Je décide donc d’annuler mon voyage prévu le lendemain par crainte de ne plus pouvoir rentrer au Liban. Difficile aujourd’hui d’entamer une discussion, une chronique, ou toute autre forme d’interaction sociale sans parler de ce coronavirus. Il a déjà infecté nos cerveaux avant même de s’attaquer à notre système immunitaire. L’angoisse qui gagne la population est palpable, mais, heureusement, l’agressivité n’est pas (encore) de mise. Nous trouvons tout ce dont nous avons besoin sur les étalages des épiceries, contrairement au monde entier, pris de panique. J’envoie aux copains qui vivent à l’extérieur une photo de nos rayons remplis de papier toilette en leur offrant notre aide en cas de pénurie !

Dimanche 15 mars

Le chiffre du jour : 99 cas de contamination. Auto-isolement, c’est le nouveau mot qui fait le buzz. Les Libanais ont toujours su adopter les nouvelles tendances avant tout le monde et s’adapter aux mesures contraignantes, comme c’est le cas cette fois-ci. Sur un ton plus léger, c’est la compétition entre amis pour savoir qui a les meilleures mesures de protection contre le virus : chez nous, tout le monde se déchausse à l’extérieur de la maison ; j’asperge tout visiteur de solution hydroalcoolique avant même de lui dire bonjour. Aujourd’hui, nous tentons de nous échapper de notre confinement, et, pour faciliter la sieste de notre champion, nous prenons la route en se disant qu’on ferait demi-tour aux premiers signes d’embouteillage. Nous sommes arrivés aux portes de Tripoli en moins d’une heure avant de rentrer sagement chez nous !

Lundi 16 mars

Le chiffre du jour : 109 cas de contamination. Les nouvelles restrictions sont en place, et je viens de perdre accès à mon petit refuge, le café du coin, où je pouvais écrire tranquillement, distanciation sociale oblige. Les promeneurs sont sommés de quitter la Corniche. La nouvelle de la fermeture de toutes les voies d’entrée et de sortie du Liban m’a quelque peu ébranlé. Nous entamons la troisième semaine sans école, la routine est de moins en moins respectée, bientôt ce sera mon fils qui me lira une histoire pour m’endormir avant de retourner s’asseoir devant la télévision !

Mardi 17 mars

Les chiffres du jour : 120 cas de contamination et trois cas de guérison. Ce nouveau chiffre qui commence à se frayer un chemin ressemble à une lueur d’espoir dans ce long combat. Nous commençons à intégrer notre nouvelle normalité. Cet isolement a du bon quand même, malgré les kilos en trop, c’est l’occasion de renouer avec les vieux copains, prendre le temps d’engager de longues conversations téléphoniques, plutôt que ces messages WhatsApp éphémères.

Mercredi 18 mars

Les chiffres du jour : 133 cas de contamination et trois cas de guérison. Le taux de croissance des nouveaux cas est stable, mais le pire semble encore à venir. C’est le troisième gâteau que ma femme nous prépare cette semaine, visiblement elle trouve le temps long ! À lire les commentaires sur les réseaux sociaux, nous ne sommes pas les seuls à tromper l’ennui de cette manière gourmande. Mon fils a enfilé son maillot et ses lunettes de piscine, il prend la direction de la salle de bains. Il a superbement réussi son plongeon… La semaine s’annonce encore longue.

Jeudi 19 mars

Une publication ce matin nous apprend que la progression du virus au Liban se fait plus lentement qu’en Europe. On se retrouve pour une (rare) fois dans le peloton de tête des bons élèves. Il semble que le message de solidarité ait été bien entendu par les Libanais. Un bel exemple d’unité nationale ! Ce fichu virus a fini par nous faire comprendre que nous sommes tous dans le même bateau.

En cette fin de semaine chaotique, je ne peux m’empêcher de penser au 21 mars, jour de la fête des Mères, et les remercier toutes d’être notre rempart, notre soutien, et surtout notre arme secrète dans cette lutte sans pitié menée contre le virus…

Ce carnet de bord est le récit, partagé une fois par semaine, du retour de Christian Kamel, son épouse et leur fils au Liban. Alors qu’ils sont si nombreux à vouloir quitter le pays du Cèdre, un émigré fait le chemin inverse. Parce que ce pays, qu’il a quitté enfant, est aussi le sien.




Les épisodes précédents

Le Liban au temps du coronavirus

Dead money, deuil et espoir : le jour où notre argent est mort

En attendant des jours meilleurs

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Beyrouth, la ville aux ailes brisées

Mon père, ce héros (libanais)

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Parenthèse de chaleur dans l’hiver canadien

Beyrouth – Montréal

Vu de l’extérieur

Oui, nous reviendrons

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