Les Libanais sont sans doute les champions de la polémique interne. Même vivant au ralenti pour cause de distanciation sociale forcée, ils continuent à faire feu de tout bois et à se lancer des accusations. Il est vrai que les derniers développements de l’affaire de l’ancien geôlier de la prison de Khiam, Amer Fakhoury, ont de quoi étonner et suscitent de nombreuses questions. D’autant que l’ironie du sort a voulu que le président du tribunal militaire, le général Hussein Abdallah, soit lui aussi originaire de la localité de Khiam et issu de l’une de ses plus grandes familles, qui compte d’ailleurs un ancien responsable de l’Armée du Liban-Sud (ALS) dirigée par Antoine Lahad, Riad Abdallah.
Selon des sources officielles qui ont suivi de près le dossier, cela ne justifie pas les amalgames qui ont été faits par certains proches des anciens prisonniers de Khiam, révoltés par l’arrêt des poursuites contre l’ancien geôlier et sa sortie rapide de prison.
Selon les mêmes sources, il n’y a pas eu d’irrégularité à proprement parler dans la décision du tribunal, puisque le propre de la justice militaire est d’être plus rapide que la justice ordinaire, les procédures y sont accélérées et allégées. D’ailleurs, l’un des reproches qui lui sont faits est d’être (relativement) expéditive. Ce n’était donc pas une surprise si le jugement a été prononcé rapidement. De même, le fait d’arrêter les poursuites pour cause de prescription n’est pas un acquittement mais une décision judiciaire de relaxe qui ne stipule en aucun cas que l’accusé a été innocenté des crimes qui lui sont attribués. De plus, la proposition de loi présentée par certains députés pour annuler la prescription pour les crimes liés à la torture et à la collaboration avec l’ennemi israélien n’a pas encore été adoptée par le Parlement. Par conséquent, sur le plan juridique, la décision du tribunal est légale et, de toute façon, elle est passible d’un pourvoi en cassation. Ce qui a été fait par le procureur près la Cour de cassation militaire. Sur le plan légal, il n’y a donc pas de violation de la loi.
Ce qui ne signifie pas que la soudaine relaxe de Fakhoury n’est pas choquante. Les sources précitées notent d’ailleurs que la libération de Fakhoury s’est faite dans la plus grande discrétion et dans une sorte de honte. C’est une remise en liberté sans gloire qui ressemble plus à un compromis (presque) déshonorant qu’à un jugement équitable. C’est en cachette que l’homme a été transféré à l’ambassade américaine. Rien à voir avec le comportement d’un ex-inculpé qui aurait été acquitté.
En fait, depuis l’arrestation de l’ancien geôlier de Khiam le 12 septembre 2019, les responsables libanais ont dû faire face à une grande colère de la part des autorités américaines. Au début, ils ont cru que cette colère pouvait se calmer avec le temps et face aux exigences de la loi libanaise. Dans les faits, la position américaine s’est durcie avec le temps. Une position non seulement relayée par l’ambassadrice des États-Unis à Beyrouth, mais aussi par le secrétaire d’État adjoint, David Hale, et plus récemment par le président du Conseil national de sécurité, Robert O’Brien, qui a déclaré aux responsables libanais qu’il a contactés que c’est le président Donald Trump qui demande personnellement la relaxe de Amer Fakhoury. Ce dossier était même devenu prioritaire pour Trump, bien avant le tracé des frontières maritimes et terrestres, l’implantation des Palestiniens ou encore le maintien sur place des réfugiés syriens.
(Lire aussi : Le tortionnaire de la prison de Khiam se trouverait déjà aux États-Unis)
Au départ, les responsables libanais ne voulaient pas entendre parler d’une possibilité de laisser partir l’ancien geôlier de Khiam. D’abord parce que c’est la justice qui doit se prononcer et ensuite parce qu’ils savent combien ce dossier est sensible pour les Libanais en général, et les anciens détenus de Khiam en particulier. Mais la crise économique et financière sans précédent que traverse le pays et les pressions américaines sur tous les pays susceptibles d’aider le Liban pour qu’il puisse s’en sortir les ont poussés à faire preuve de plus de pragmatisme. Il y a eu ainsi de nombreux débats sur ce sujet et des réunions intensives avec des juges, des avocats et des responsables sécuritaires. Le point de départ des discussions était le fait que le pays était au bord de la faillite, sans perspective véritable d’aide possible de la part des États-Unis et de leurs alliés, notamment des pays du Golfe. Se tourner vers la Chine et la Russie, comme le suggéraient certaines parties, était plus théorique que réaliste, ces deux pays souffrant aussi d’une grave crise économique. Ils ne sont pas en mesure de lancer, seuls, la reconstruction de la Syrie ou d’aider l’Iran de façon décisive.
Il y avait malgré tout deux tendances opposées. Selon la première, il n’était pas possible de céder sur un dossier portant sur la collaboration avec Israël, car cela peut créer un précédent déplorable. Pour la seconde, il était plus raisonnable de céder sur le sort d’une personne qui, de toute façon, a été désavouée par les Libanais et interdite de retour sur le sol libanais que sur des questions qui touchent à l’avenir du pays comme les frontières terrestres et maritimes, l’implantation des Palestiniens ou encore la présence des réfugiés syriens. Les partisans de la seconde tendance ont même suggéré de procéder à un échange avec des Libanais arrêtés aux États-Unis. Mais les autorités américaines ont refusé cette possibilité.
Finalement, à mesure que la situation économique et financière du pays s’aggravait, la seconde tendance a gagné des points, d’autant que se profilaient à l’horizon des promesses de desserrer l’étau qui étouffe le Liban.
Il s’agissait néanmoins et avant tout de ne pas mettre en cause le processus judiciaire. Le tribunal militaire a donc décidé l’arrêt des poursuites contre Amer Fakhoury, ce dernier étant immédiatement évacué vers l’ambassade des États-Unis. Le procureur s’est pourvu en cassation. Un pourvoi qui sera probablement accepté et la procédure se poursuivra vers une condamnation de l’ancien geôlier. Mais elle se fera par défaut... Selon les sources précitées, ce scénario peut choquer, mais la raison d’État et l’intérêt général peuvent parfois primer sur les autres considérations.
Et le Hezbollah dans tout cela ? Selon les mêmes sources, il a été mis au courant des débats et il était évidemment contre la remise en liberté de Fakhoury, mais il a décidé de ne pas faire obstruction, se contentant de protester vigoureusement. Cela signifie, quelque part, qu’il ne contrôle pas le pays, comme l’en accusent certains...
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commentaires (11)
Je l'ai toujours dit et je le reaffirme: HASSAN NASRALLAH est bien un TARTARIN DE TARASCON!
IMB a SPO
15 h 22, le 19 mars 2020