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Nos Lecteurs ont la Parole

Comment les banques peuvent sauver leurs déposants du haircut

Des projets de loi sont en gestation proposant une ponction sur l’argent des déposants, haircut, et de nombreux économistes ont évoqué un haircut inévitable allant jusqu’à 60 % des dépôts et qui serait voté au Parlement. Une ponction n’est pas justifiée en ce moment et nous pouvons même l’éviter. Il s’agit d’avoir recours à des solutions adaptées et créatives. Posons déjà la question : en cas de haircut, les banques pourront-elles en ce moment honorer tous les retraits des clients ainsi que les transferts a l’étranger ? La réponse est non ! Si le haircut est fait, y a-t-il une garantie qu’aucun autre haircut ne sera fait de nouveau après deux ou trois ans ? Non !

C’est un problème entre les déposants et leur banque qui est une société privée. Pourquoi l’État doit-il intervenir dans le sens d’un haircut si ce n’était que certaines blocs parlementaires ou ministres ont des intérêts dans la propriété et la gestion des banques ?

Les banques devraient donc prendre l’initiative de faire face à la « politisation » et protéger leurs déposants coûte que coûte afin de préserver ce qui reste de la confiance et pour pouvoir attirer des transferts de l’étranger et protéger le secteur de ce qu’on appelle la « débancarisation ». Cela consiste à fuir les banques en faisant passer de l’argent à l’étranger avec des remises allant jusqu’à 35 % offertes sur les marchés noirs, recourir à l’immobilier, l’or, les actions et mettre de l’argent chez soi, ainsi que transférer l’argent au Liban via d’autres moyens que les banques.

Le gouvernement est enlisé dans les efforts de réforme et de lutte contre la corruption. Par conséquent, les banques ont la responsabilité d’agir immédiatement pour protéger l’ordre libéral sur lequel le Liban a été fondé et protéger leurs déposants en démontrant leur efficacité en tant que secteur privé face aux crises. Elles ne devraient pas laisser la décision de haircut aux parlementaires et se transformer en Judas des déposants. Elles ne devraient pas non plus virer vers la solution facile, mais vers la bonne.

Il est temps de proposer des mesures concrètes : comment sortir de l’ornière ?

Il existe des mesures que les banques peuvent prendre pour réduire de manière significative la possibilité de ponction, et même l’éviter malgré l’ampleur de la crise financière. Les responsables de ce naufrage doivent en assumer la responsabilité ; ce sont principalement et essentiellement les politiciens et les gouvernements successifs, et deuxièmement ceux qui ont été touchés par les dommages collatéraux mais qui n’ont pas pris les bonnes décisions au moment où il le fallait et n’ont pas opté pour les bonnes priorités : les banques et la Banque centrale.

Mesures à prendre

Les banques doivent donc prendre les mesures immédiates suivantes :

1- Créer une salle d’opération dont le but serait de contacter les plus grands déposants, c’est-à-dire 1% d’entre eux qui détiennent 55 % des dépôts à un stade initial, puis 9 % d’entre eux qui détiennent 30 % des dépôts et leur proposer que pour éviter qu’un haircut ne condamne une partie de leurs dépôts, il faudrait le remplacer par quatre types de placements différents. Premièrement, les « preferred shares », actions privilégiées qui leur donnent un intérêt plus élevé que les dépôts ordinaires avec moins de risque que les actions ordinaires. Deuxièmement, de nouvelles obligations de dette offertes par la banque. Elles sont moins risquées que les actions et portent des intérêts plus élevés que les dépôts. Troisièmement, les obligations appelées obligations convertibles (convertibles bonds) que peut échanger leur détenteur en actions ordinaires lorsque la banque améliore sa situation à l’avenir et que sa valeur devient prometteuse. Quatrièmement en actions ordinaires par le biais d’une augmentation de capital. Ces quatre propositions sont toutes plus alléchantes qu’un haircut que pourraient subir les grands déposants sur une partie de leur argent.

2- S’engager avec l’aide et le soutien de la Banque du Liban dans des fusions immédiates entre les banques pour renforcer leur situation financière ; à travers ces fusions, la banque solide doit échanger ses actions contre celles d’une banque faible ou acheter cette banque faible, cela renforcerait le secteur tout entier et faciliterait les tâches des nouvelles banques avec les banques correspondantes à l’étranger. Ces correspondants sont un élément essentiel pour la survie et la bonne continuation des banques libanaises. Notons que le nombre de banques opérant au Liban est l’un des plus élevés au monde par rapport au nombre d’habitants Cette fusion réduirait également les dépenses car, par exemple, il y aurait une administration et pas deux, un seule comptabilité, un même système de technologie (IT). Cela permettrait également de réduire le nombre d’agences et un retour sur investissement plus élevé ; leurs placements bénéficieraient en outre d’économies d’échelle (Economies of scale). Cette mesure fortifierait les banques et réduirait la nécessité de retenir les dépôts.

3- Lancer immédiatement une offre aux principaux déposants pour échanger une partie de leurs dépôts avec des biens immobiliers appartenant à la banque elle-même ou qui appartenaient à des créanciers défaillants que la banque a repris. En ce qui concerne les biens immobiliers de la banque elle-même, tels que le siège de l’administration centrale et les succursales, ils seront échangés contre une partie des dépôts et les banques rendraient cette option plus alléchante en louant ces biens pour une période de dix ans avec un rendement plus élevé que les dépôts, soit environ 6% annuel, appelé « Sale Leaseback » .

Quant aux biens immobiliers repris à des emprunteurs défaillants, ils seraient offerts a un prix attractif à échanger contre leurs dépôts.

4- Accélérer l’augmentation de la recapitalisation en attirant de nouveaux investisseurs, notamment étrangers, en augmentant le capital des actionnaires existant à 30 % et non 20 % comme requis par la Banque du Liban avant fin 2020. Ce chiffre est très logique en raison de l’ampleur de la crise et compte tenu des profits réalisés dans les ingénieries financières. Cette augmentation du capital serait d’un grande utilité pour parer à la probabilité que l’État ne rééchelonne ou restructure ses dettes envers les banques. L’accent doit être mis sur le partenariat avec les grandes banques arabes qui ne sont pas présentes sur le marché libanais et qui se comptent par dizaines. Elles souhaiteraient entrer sur le marché libanais à un prix attractif, comme celui d’aujourd’hui et dans un marché qui serait plus sain dans la période d’après-crise.

5- Soutenir et assister activement les autorités judiciaires avec les informations et la logistique nécessaires pour la récupération des fonds volés et transférés ; ces fonds viendraient améliorer les finances de l’État qui pourrait alors payer ses dettes aux banques. Au lieu de jouer au spectateur avec la question des fonds des déposants qui ont fui le pays et que nous estimons à 4 milliards de dollars depuis le 17 octobre et environ 13 milliards depuis le début de 2019, l’État devrait réaliser que la source de ces fonds est devenue vitale pour soumettre certains de leurs propriétaires à la loi « d’enrichissement illégal » ? Quant aux fonds transférés par les banquiers eux-mêmes et pour leur compte, on leur demanderait comme le dicton américain le dit : « Put your money where your mouth is. »

6- S’engager immédiatement à réduire leurs dépenses, compte tenu de la crise, ainsi que leurs dépôts, comme conséquence. Cela comprend la fermeture de certaines succursales car le nombre de succursales bancaires au Liban par rapport à sa population et à sa superficie est parmi les plus élevés au monde. Les services bancaires électroniques, la technologie et l’ATM réduisent d’office le besoin de succursales. Cela comprend aussi la vente des actifs improductifs à l’étranger pour renflouer les opérations internes.

7- Mettre en place une cellule spéciale qui entamerait des négociations avec l’État pour lui octroyer une partie de ses actifs en échange d’une partie des titres de créance qu’il ne peut pas honorer. C’est ce qu’ont appelle « Debt/Asset Swap ». Ces actifs donnés en échange par l’État seront placés dans une société privée détenue et gérée par de grands déposants qui est créée contre une partie de leurs dépôts et qui pourra leur procurer des gains significatifs à l’avenir.

Ces actifs peuvent inclure les immeubles que détient l’État (et que l’État relouera de ce groupe de privés), une des sociétés de téléphonie, le port de Beyrouth ou de Tripoli, Middle East Airlines, le Casino du Liban, les revenus escomptés de l’hypothèque de gaz ou les centaines de millions de mètres carrés détenus par l’État. Il est certain que ces biens deviendraient plus productifs et profitables qu’ils ne le sont en ce moment sous la gestion de l’État. En l’espace de 5 à 10 ans, les taxes payées à l’État équivaudraient au revenu total que l’État en perçoit aujourd’hui.

8- Si ces étapes ci-dessus ne suffisent pas, après que les banques eurent entamé ce plan d’action pour sauver le secteur et sécuriser les dépôts et exécuter les sept points suggérés ci-dessus, il serait alors possible de négocier avec les principaux déposants et propriétaires des swaps que la Banque centrale a proposé pour céder la moitié des intérêts qu’ils ont perçus sur leurs dépôts pendant les cinq dernières années lorsque l’intérêt était exorbitant au regard des intérêts dans le monde.

Ces mesures permettront aux banques à moyen terme de satisfaire tous les petits déposants sans aucune ponction sur leurs dépôts et d’éviter la révolution d’un million et deux cents mille déposants qui ne représentent que 10 à 15 % des dépôts.

Elles permettront aussi aux grands déposants de ne pas perdre une partie de leurs dépôts, mais de les remplacer par des actifs productifs et des investissements, et permettront aux banques de consolider leur bilan. Ce programme nécessite la conversion d’une partie de l’activité bancaire en travail d’une banque d’investissement (Investment Bank) qui s’appuie sur des solutions créatives et innovantes et des montages financiers requis dans cette situation exceptionnelle. Cela éviterait aussi la faillite pure et simple de certaines banques.

Naturellement, il vaut mieux que ce plan s’accompagne de réformes au niveau de l’État et d’une aide financière étrangère qui en résulterait, car la croissance et l’assainissement des finances faciliteraient l’absorption de la crise financière avec le temps.

Ainsi, la solution existe, même si elle n’est pas miraculeuse ni facile.

Avant de penser à un haircut, il faut donc mettre les responsables devant leurs responsabilités et récupérer autant que possible l’argent volé. Le déposant qui n’a aucune responsabilité dans ce qui s’est passé ne doit pas payer les pots cassés.

Le plus grand capital des banques est leur client, elles ne doivent pas l’offrir sur l’autel d’un haircut !

Président honoraire de l’Association des diplômés de Harvard au Liban

Président du Harvard Business School Club

Économiste et financier

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Des projets de loi sont en gestation proposant une ponction sur l’argent des déposants, haircut, et de nombreux économistes ont évoqué un haircut inévitable allant jusqu’à 60 % des dépôts et qui serait voté au Parlement. Une ponction n’est pas justifiée en ce moment et nous pouvons même l’éviter. Il s’agit d’avoir recours à des solutions adaptées et créatives....

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