L’affaire a notamment suscité des remous du fait de la dernière expérience en la matière, notamment la publication en juin 2018 d’un décret prévoyant la naturalisation de près de 388 personnes, des Syriens en majorité dont des proches du régime syrien de Bachar el-Assad, mais aussi des Palestiniens et des personnes fortunées du Golfe. Le texte avait été élaboré dans le plus grand secret et adopté en dépit d’une large contestation exprimée dans certains milieux politiques, sur fond de polémiques liées à la présence de réfugiés syriens et palestiniens dans le pays et l’équilibre communautaire sur le plan démographique.
C’est probablement pour cette raison, et afin d’éviter une nouvelle levée de boucliers à l’heure où le Liban est confronté à des défis monstres, que les officiels se sont hâtés de dissiper les malentendus. Dans un communiqué publié par son bureau de presse, le ministre libanais de l’Intérieur, Mohammad Fahmi, l’un des trois cosignataires de ce type de décret avec le Premier ministre et le président de la République, a précisé hier que le nouveau décret n’était pas relatif à une opération de naturalisation mais qu’il s’agissait plutôt d’un décret de recouvrement de nationalité. « Certains ont partagé sur les réseaux sociaux une liste de noms publiés dans le Journal officiel en affirmant que ces noms figurent dans un nouveau décret de naturalisation », écrit le bureau de presse de M. Fahmi. « Le ministre de l’Intérieur n’a transmis aucun décret de naturalisation depuis sa prise de fonction et les noms cités figurent dans un décret de recouvrement de la nationalité libanaise par ceux qui la méritent, en vertu de la loi 41 de 2015. Cette mesure est en place depuis plus de cinq ans et les décrets sont publiés de manière périodique, sur base d’une étude effectuée par une commission dirigée par un juge », ajoute le bureau de presse de M. Fahmi.
À son tour, la présidence de la République a publié une mise au point en précisant que l’information qui a circulé sur les réseaux sociaux « est dénuée de tout fondement et s’inscrit dans le cadre de fausses informations propagées par certains dans un but qui n’échappe plus à personne », se défend la présidence dans un communiqué. « En vérité (...), les décrets de recouvrement de la nationalité qui figurent dans le dernier numéro du Journal officiel et qui ont fait l’objet de rumeurs partagées par des médias concernent des personnes résidant à l’étranger et ayant des origines libanaises (...). Depuis 2016, et jusqu’à présent, des dizaines de décrets ont été publiés dans ce contexte, et tous ceux qui ont bénéficié du recouvrement de la nationalité ont présenté les documents qui prouvent qu’ils ont des origines libanaises. C’est leur droit naturel dont ils bénéficient en vertu de la loi précitée », souligne la présidence, qui rappelle que « la diffusion de fausses informations expose leurs auteurs à une reddition de comptes ». Un argument qui semble avoir eu des effets dissuasifs puisque l’internaute concerné a aussitôt retiré son tweet.
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« Des conditions claires et restrictives »
Interrogé, l’ancien ministre de l’Intérieur Ziyad Baroud affirme « comprendre » que certains soient enclins à mordre à l’hameçon de la théorie du complot « puisqu’il y a déjà eu des précédents ». « Je ne peux pas les blâmer », dit-il.
Interrogé par L’OLJ, il indique que ce type de décret, qui fait l’objet d’une longue procédure, est l’un des trois cas de figure permettant à certaines personnes de pouvoir bénéficier de la nationalité libanaise. Le premier cas est celui de la naissance d’un père libanais sur un sol étranger, le deuxième cas « celui qui pose le plus de problèmes », dit-il, est celui de la naturalisation massive, comme le décret de 1994 qui a permis l’acquisition par une centaine de milliers de personnes de la nationalité libanaise, ainsi que ceux de 2014 et 2018, autant de textes qui « n’ont pas toujours rempli les conditions requises », précise-t-il. Le troisième cas enfin est celui du recouvrement de la nationalité libanaise, désormais possible depuis l’adoption de la loi de 2015.
Interrogé au sujet du timing du décret, que d’aucuns auraient trouvé suspect, le juriste explique qu’il n’en est rien, puisque la procédure nécessaire en amont de la publication de ce genre de décret est longue et complexe et passe par plusieurs étapes avant d’aboutir. D’autant que la loi n’accorde pas systématiquement la nationalité à tout requérant d’origine libanaise, mais « prévoit des conditions claires et restrictives », explique-t-il. « Seules les personnes qui arrivent à prouver que l’un de ses ascendants paternels est libanais peut y prétendre, et à certaines conditions », résume l’ancien ministre.
Par conséquent, le bénéficiaire potentiel doit passer par toute une procédure administrative en apportant les documents justifiant sa requête. Celle-ci effectue ensuite une navette entre les ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, le service des statuts personnels, la Sûreté générale pour atterrir enfin aux mains d’une commission spéciale formée des deux directeurs généraux du service des statuts personnels, de celui des émigrés et d’un juge qui préside la commission. Une affaire qui prend en principe des mois, explique le juriste.
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20 h 52, le 14 mars 2020