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Moyen-Orient - Éclairage

La Liste unie des partis arabes, nouveau « faiseur de roi » en Israël ?

Certains députés du parti Kahol Lavan refusent de s’associer à la liste arabe, compromettant une possible sortie de crise et la formation d’un nouveau gouvernement.

Le leader de la Liste unie, Ayman Odeh, lors d’un discours dans la ville de Shefa Amr, près de Haïfa, le 2 mars 2020. Photo AFP

L’épisode passionne moins que les impressionnantes mesures déployées par les autorités israéliennes pour lutter contre le coronavirus. Pourtant l’image est forte. Au lendemain du scrutin législatif du 2 mars, le troisième en moins d’un an, la solution à une sortie de crise en Israël se négocie du côté de la Liste unie des partis arabes israéliens. Une première dans l’histoire du pays, où la bataille pour la majorité parlementaire n’en finit pas de faire parler. La Liste unie a en effet obtenu un score historique lors de ces élections, remportant 15 sièges sur un total de 120 – deux de plus que lors des élections de septembre 2019, et 5 de plus qu’en mars 2019. L’ascension souligne la force de l’union qui est parvenue à rassembler un électorat arabe démobilisé et inquiété par la perspective du « plan de paix » annoncé par Donald Trump en janvier dernier qui, s’il était appliqué, pourrait se traduire par une perte de la citoyenneté israélienne pour les Palestiniens « de 48 ».


(Lire aussi : Pari gagné pour Netanyahu, malgré quelques obstacles)



Le chiffre-clé des 62 sièges

La Liste unie rassemble les principaux partis arabes au sein d’une coalition qui, depuis sa formation en 2015, s’est progressivement imposée au sein d’un paysage politique israélien en pleine recomposition. Le succès des urnes consacre aujourd’hui son statut de troisième force politique du pays – après le Likoud du Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu, et la formation centriste Kahol Lavan (« Bleu Blanc ») de l’ancien général Benny Gantz – et en fait un acteur-clé des négociations en vue d’obtenir la majorité nécessaire à la formation du gouvernement.

Une majorité de 62 sièges que le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahu n’est pas parvenu à obtenir malgré ses 36 sièges et les cris de victoire prématurés avec un triomphant « merci » posté sur les réseaux sociaux au soir des élections. Outre un nombre de sièges insuffisant, l’incapacité de Netanyahu à rassembler l’ensemble de la droite, et donc à composer une majorité, est due au conflit qui oppose les partis ultra-orthodoxes (Shass et Judaïsme unifié de la Torah) au mouvement ultranationaliste et laïc de l’ancien ministre de la Défense Avigdor Leiberman, Yisrael Beiteinu.

Mais quand une porte se ferme, une autre s’ouvre : profitant de l’impasse de son rival, Benny Gantz tente de reprendre la main suite aux résultats décevants du dernier scrutin où sa formation politique est arrivée deuxième, avec seulement 33 sièges. S’il ne dispose pas d’une majorité nette, l’ancien chef de l’état-major a tout intérêt à rassembler une alliance « anti-Bibi » afin de prendre la tête d’un possible futur gouvernement. Avec seulement huit partis représentés au Parlement – du jamais-vu –, la marge de négociation est limitée : une coalition gouvernementale ne pourrait faire l’impasse sur la Liste unie, sans qui il serait impossible d’obtenir le chiffre-clé des 62 sièges requis.

Pour la Liste unie, il s’agit de monnayer un soutien devenu précieux afin d’éviter un nouveau scrutin et le maintien de M. Netanyahu au pouvoir jusqu’à de nouvelles élections. « La Liste unie a exprimé des demandes spécifiques en échange de son appui à un gouvernement mené par Gantz, principalement l’arrêt du processus en vue d’une annexion de la Cisjordanie, ainsi que d’autres initiatives unilatérales prévues par le plan Trump, ce qui représenterait des victoires politiques fortes », précise à L’OLJ Khaled Elgindy, directeur du programme Israël/Palestine au Middle East Institute basé à Washington.

Cette stratégie marque un tournant pour les partis arabes israéliens qui, traditionnellement, se sont tenus en marge de la vie politique malgré leur participation aux élections. « La rupture est dans la stratégie d’Ayman Odeh, leader de la Liste unie, qui déclare vouloir siéger dans un gouvernement sioniste – à certaines conditions. Elle met les partis israéliens, et notamment la gauche israélienne, face à leurs propres contradictions, et fait tomber les masques sur le refus d’une majorité de la classe politique d’intégrer les Palestiniens d’Israël dans le jeu politique », observe Amélie Ferey, chercheuse associée au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po et spécialiste d’Israël.

La conversion de cette victoire des urnes en véritables gains politiques pourrait toucher à de nombreux aspects de la vie quotidienne. « La fin des démolitions arbitraires de certaines habitations ; des facilités pour l’aménagement urbain des localités arabes ; une reconnaissance officielle des communautés encore illégales; plus de police afin de renforcer la sécurité dans les villages arabes ; sur le plan parlementaire, une influence accrue à la Knesset ou un rôle plus important dans les comités ; la réclamation de l’annulation de certaines lois racistes ou de meilleurs budgets pour les communautés arabes ; la suppression de l’interdiction de l’accès des représentants arabes à certains postes gouvernementaux », précise Daoud Kuttab, journaliste américano-palestinien pour qui les négociations en cours ouvrent de nombreuses perspectives.


(Lire aussi : En Israël, la Liste Unie des partis arabes réalise une percée historique)


Une alliance contre nature

La rupture consommée par la Liste unie n’est pourtant que partielle. Des divisions internes persistent, notamment avec le refus de Balad, un des partis membres de la Liste unie, de soutenir un possible gouvernement mené par Benny Gantz. Même si elles devaient porter leurs fruits, les négociations ne signifieraient pas une participation directe des Palestiniens à un futur gouvernement. Il s’agirait plutôt d’un accord de principe en échange de certaines concessions. « Aujourd’hui, Gantz et Lieberman sont tous deux prêts à être soutenus par les partis arabes pour former un gouvernement et créer un front anti-Netanyahu, mais sans pour autant donner un ministère à un Palestinien d’Israël », estime Amélie Ferey.

Une rupture d’autant plus incertaine qu’une poignée de voix dans les rangs de Kahol Lavan s’opposent à une telle alliance jugée contre nature. « Il y a encore quelques jours, les chances de Gantz de former un gouvernement étaient bien plus élevées qu’elles ne le sont aujourd’hui. Il y a plusieurs membres qui refusent de soutenir un gouvernement qui compte sur le soutien des partis arabes », assure Khaled Elgindy. Un écueil qui rendrait les perspectives d’un quatrième scrutin législatif de plus en plus probables.

D’autres obstacles pourraient également barrer la route à l’émergence d’un compromis politique. « Gantz pourrait sentir que les exigences côté arabe sont trop élevées politiquement; ou encore le refus pourrait venir du côté de la Liste unie qui sentirait que ses demandes ne sont pas prises au sérieux par Gantz », estime Daoud Kuttab.

« Faiseur de roi »

Que les négociations aboutissent ou se trouvent une nouvelle fois dans l’impasse, les élections du 2 mars semblent dans tous les cas avoir accompli quelque chose d’inédit en sortant les partis arabes d’un relatif isolement politique. « Que Gantz parvienne ou non à former un gouvernement, la Liste unie s’est d’ores et déjà imposée comme “faiseur de roi” dans le paysage politique israélien », estime Khaled Elgindy, pour qui le rassemblement des partis arabes a acquis une nouvelle capacité « à faire ou défaire une coalition gouvernementale ».

Au-delà de l’issue immédiate de la crise, l’évolution des différents scrutins esquisse les grands enjeux de demain. « En tant que parti qui se fonde sur l’idée d’une coopération et d’une égalité arabo-juive, la Liste unie a le potentiel de transformer en profondeur la vie politique israélienne, tout particulièrement si elle continue à convaincre un nombre croissant d’électeurs juifs comme ça a été le cas lors des récentes élections », avance Khaled Elgindy.

En envoyant par la voie des urnes un message fort, la communauté palestinienne d’Israël se rappelle à la mémoire des dirigeants, qui ont longtemps cru possible d’ignorer leur poids politique et leur réalité démographique – 20 % de la population totale. « Le véritable enjeu de ce scrutin pour la communauté arabe est bien sa place dans la société israélienne. Il n’est pas déraisonnable d’interpréter ce scrutin comme un message envoyé par la population arabe à l’opinion publique israélienne et américaine, rappelant en substance : “Vous ne pouvez pas faire sans nous.” Il faut également souligner que ce scrutin intervient dans une atmosphère tendue ou le racisme et l’incitation contre la population arabe vivant en Israël sont importants. Ainsi, ce scrutin est également une réaction visant à exprimer la voix des Palestiniens d’Israël », souligne Amélie Ferey.


L’épisode passionne moins que les impressionnantes mesures déployées par les autorités israéliennes pour lutter contre le coronavirus. Pourtant l’image est forte. Au lendemain du scrutin législatif du 2 mars, le troisième en moins d’un an, la solution à une sortie de crise en Israël se négocie du côté de la Liste unie des partis arabes israéliens. Une première dans...

commentaires (4)

Toujours les Arabes trop tard. Pourquoi pas plus tôt. Quelques années plus tôt. Faut-il toujours attendre que la partie soit perdante pour réagir?

Massabki Alice

15 h 03, le 12 mars 2020

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Commentaires (4)

  • Toujours les Arabes trop tard. Pourquoi pas plus tôt. Quelques années plus tôt. Faut-il toujours attendre que la partie soit perdante pour réagir?

    Massabki Alice

    15 h 03, le 12 mars 2020

  • Juste vous rappeler de me publier svp .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 16, le 12 mars 2020

  • Bla Bla Bla...

    Marie Claude

    11 h 04, le 12 mars 2020

  • "Unis" et "Arabes" sont des mots qui ne vont pas ensemble...

    Gros Gnon

    10 h 49, le 12 mars 2020

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