Le chef de l’État a sonné du clairon, hier soir, en affirmant que la journée d’aujourd’hui « est historique (…), une journée qui sera longtemps commémorée par le présent et l’avenir du Liban comme le jour où notre pays a fait son entrée officielle dans le cercle des pays pétroliers ».
Dans un message télévisé, M. Aoun n’a mentionné à aucun moment le mouvement de contestation qui secoue le pays, se contentant de reconnaître que le pays traverse la crise économique et financière la plus grave de l’histoire contemporaine du Liban. Arrivé d’Égypte avec quelque retard, le navire Tungsten Explorer, qui appartient à la société américaine Vantage Drilling, doit entamer aujourd’hui le processus de forage d’un puits situé à environ 30 kilomètres de Beyrouth, à la recherche d’hydrocarbures, gaz ou pétrole. Le bateau va effectuer pour le compte du consortium Total-ENI-Novatek, mené par le géant français, les travaux de recherche dans le bloc maritime n° 4 situé au centre de la Zone économique exclusive (ZEE). Selon les normes internationales, celle-ci équivaut au double de la superficie du Liban, soit 22 500 kilomètres carrés.
Les chercheurs vont tout d’abord creuser un premier puits à une profondeur de 1 500 mètres en dessous du niveau de la mer. En un second temps, s’ils ont la main heureuse, ils exploreront des zones de plus de 2 500 mètres de profondeur. Ces opérations vont durer 60 jours avec l’appui de trois autres navires et deux hélicoptères de soutien logistique déjà présents à Beyrouth.
Le discours du chef de l’État a été accueilli avec sobriété par l’ingénieur pétrolier Rabih Yaghi, qui a été conseiller de la commission parlementaire de l’Énergie de 2010 à 2018. Avec réalisme, M. Yaghi a expliqué qu’« il faudra encore neuf ans, c’est-à-dire à l’horizon 2029, pour que le Liban soit vraiment considéré comme pays producteur de pétrole ». Et M. Yaghi de dénoncer la politique de distribution des parts qui a retardé un processus lancé en 2013 et fait en sorte que le Liban commence à peine le forage de son premier puits, alors qu’Israël, qui a lancé son processus vers la même époque, est déjà un pays producteur.
Conflits d’intérêts clientélistes
En effet, le contrat de forage avait été attribué début 2017, après quatre ans de blocage dû à des conflits d’intérêts clientélistes entre les forces politiques en présence. Le dossier était bloqué depuis la démission du gouvernement Mikati en 2013 et l’absence de consensus politique sur la nature de l’institution de pilotage du secteur pétrolier. Finalement adoptés par le gouvernement de Saad Hariri fraîchement formé dans le sillage du compromis présidentiel (2016), les décrets portaient respectivement sur la délimitation des blocs de concession (au nombre de dix) pour l’exploration du gaz offshore du pays et les modalités du contrat devant lier l’État aux concessionnaires. Contre tout bon sens, c’est une Commission nationale pour la gestion des hydrocarbures de six membres qui avait été retenue. Elle comprend, dans le respect de la parité islamo-chrétienne, des représentants des six grandes communautés et est dotée d’une présidence tournante.
« Une aberration, tonne Rabih Yaghi, qui estime qu’une société nationale pour l’exploration des hydrocarbures aurait dû être créée avec des experts compétents et expérimentés aux commandes, ce dont le Liban ne manque pas, plutôt que de répondre aux impératifs de l’équilibre confessionnel ». Et de préciser que la formule retenue « est celle qui prévaut dans les pays arriérés ». « C’est une société comprenant des experts qui aurait dû négocier avec Total », estime-t-il, critiquant dans son élan l’amateurisme et l’incompétence qui ont présidé à la délimitation de la ZEE avec Chypre, en 2007. Ce sont deux fonctionnaires du ministère des Travaux publics qui se sont rendus à Nicosie, faisant fi notamment de l’avis du ministre de la Défense et du commandant de l’armée. Ils ont finalement accepté une délimitation qui s’est avérée préjudiciable pour le Liban, puisqu’elle le prive d’une superficie en triangle de 865 kilomètres carrés, à sa frontière avec l’État hébreu. Le Liban a cherché en vain, depuis, à corriger cette erreur, sachant que l’ONU, en bon bureaucrate, a adopté le plan de délimitation que lui a adressé le gouvernement chypriote, sans revenir là-dessus avec le Liban. Pour cette même raison, le gouvernement n’a toujours pas signé d’accord de délimitation de ses frontières maritimes, ni avec l’État hébreu, ça va de soi, ni avec la Syrie, ni avec Chypre. Pour en revenir au processus d’exploitation, déclenché en 2018 avec la signature du contrat entre l’État et le consortium Total-ENI-Novatek, il doit permettre de confirmer ou non le potentiel du pays en termes de découvertes commercialisables d’hydrocarbures. Mais cette confirmation ne se fera pas avant six mois suivant le début des opérations : 60 jours pour le forage, comme précisé plus haut, et trois ou quatre fois pour l’analyse des résultats. Il faudra en revanche attendre neuf ans avant que le Liban puisse bénéficier de cette éventuelle manne.
Selon M. Yaghi, indépendamment de la certitude qu’il existe en Méditerranée orientale une réserve de gaz estimée à 122 trillions de pieds/cubes, la chance de réussir à trouver des hydrocarbures dès le premier forage est de 1 sur 5. « Le contrat prévoit le forage de deux puits par le consortium, sans obligation d’en creuser un troisième en cas d’insuccès », précise-t-il.
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Allez vite une stèle à Nahr el Kelb pour ce jour historique sous le règne fort de notre bon père à tous.
Christine KHALIL
23 h 31, le 27 février 2020