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Société - Reportage

Habaq, un projet de militants du Liban-Nord pour revenir à la terre

L’un des objectifs de l’ambitieux projet est de créer un réseau d’échange entre agriculteurs pour les libérer du joug des entreprises de production et de vente de graines.


Les jeunes militants à l’œuvre. Photo Ornella Antar

« Si l’État ne veut pas encourager l’agriculture, nous allons le faire nous-mêmes. » Fumant une cigarette à l’ombre d’un olivier sur le terrain de ses parents à Ras Masqa, près de Tripoli, Tamim Abdo explique l’ambitieux projet qu’il a lancé avec une poignée d’activistes du Liban-Nord. Âgé de 30 ans, le jeune homme est cofondateur de l’initiative Habaq (basilic), qui a pour objectif de revenir à la terre en ces temps difficiles.

Comment entendent-ils réaliser cette ambition ? « Le mouvement Habaq promeut une économie solidaire et participative dans le but de mettre en place un système économique basé sur le développement local et durable, répond le jeune homme, cheveux noués et lunettes noires. Nous avons choisi de prendre en charge la dynamisation des productions agroalimentaires dans les espaces publics dans une tentative de revitaliser le secteur agricole. »

Depuis la mi-décembre, Tamim Abdo, Mourad Ayache et Ahmad Kabbara ont pris l’habitude de garder une pelle et une fourche à foin dans le coffre de leurs voitures. « Nous ne sommes pas des agriculteurs », précise M. Ayache, un ingénieur de 30 ans, tout en s’empressant d’ajouter : « Mais nous sommes en train d’apprendre à le devenir. » Depuis le lancement du projet Habaq, les trois activistes ne font qu’apprendre par tâtonnement et par expérimentation. À genoux, Tamim Abdo montre du doigt, avec la joie d’un enfant, la poussée du premier oignon cultivé. Dans le terrain à Ras Masqa, les activistes plantent une grande variété de légumes, tous bio, à condition que la culture ne nuise pas aux oliviers déjà présents. « Nous plantons entre autres des laitues, des choux-fleurs, du broccoli, des oignons et du basilic, bien évidemment », dit-il, un sourire malicieux aux lèvres. Ils attendent impatiemment la récolte, qu’ils comptent distribuer aux communautés vulnérables de la région.

Créer un réseau à l’échelle nationale

Pour Mourad Ayache, l’un des objectifs de ce projet serait de créer un réseau populaire qui protège l’agriculteur, le consommateur et tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’agroalimentaire. « Nous possédons une banque de semences où nous conservons une grande variété de graines, affirme Ahmad Kabbara, également ingénieur. À l’avenir, les graines seront produites grâce aux plantes cultivées. » Ce processus libérera l’agriculteur du joug des entreprises de production et de vente de graines et assurera, par la suite, son autonomie.

D’où est venue l’idée de lancer ce projet ? C’est M. Kabbara qui prend la parole puisque l’idée de cultiver un terrain leur est venue lorsque les trois activistes étaient assis sur le balcon de sa maison. « Inspirés par la vue des plantes sur mon balcon, nous étions en train de parler de compost et d’agriculture quand l’idée de cultiver un terrain nous est venue à l’esprit », raconte le jeune homme, en tee-shirt gris malgré le froid du mois de février.

Cette idée a fait suite à une première initiative des trois jeunes gens, qui était née au beau milieu de la place Abdel Hamid Karamé (al-Nour), haut lieu de la contestation à Tripoli. En décembre dernier, à peine deux mois après le déclenchement du soulèvement populaire, Tamim Abdo, qui est chef cuisinier, avait eu l’idée de cuisiner sur la place el-Nour. « Préparer des plats et partager la nourriture sur la place n’était pas une initiative caritative », assure M. Abdo qui estime que les initiatives caritatives érigeraient un mur entre ceux qui les lancent et ceux qui en bénéficient. « Loin de là, l’idée avait pour objectif de construire des ponts entre des personnes qui ne se connaissaient pas auparavant en partageant un repas », explique-t-il. C’est Mourad Ayache qui a eu l’idée de commencer à produire les ingrédients comme on produit les plats préparés. « Nous avons donc pris une pelle et commencé à labourer la terre sur la place al-Nour » pour y planter des légumes, raconte ce dernier avec enthousiasme. Et de poursuivre : « En l’espace de quelques minutes, tout le monde voulait nous donner des conseils, des directives et mettre les mains à la pâte ! » Pour les trois activistes, l’idée centrale de leur projet est le partage et la solidarité. À l’ombre de la crise socio-économique par laquelle passe le Liban, ils cherchent à remodeler le système et les différents rôles sociaux des citoyens.


L’esprit de la révolution du 17 octobre

Les trois jeunes gens organisent dans l’une des tentes de la place al-Nour des séances interactives sur le b.a.-ba de l’agriculture, et certains jeunes commencent à suivre leur exemple, notamment dans le Akkar.

Ils ne prétendent pas que leur projet est capable à lui seul de remédier aux failles de tout un système. « Nous ne produisons que très peu et nous ne produisons pas tout ce qu’il faut », reconnaît Ahmad Kabbara avant d’expliquer : « Ce n’est pas l’autosuffisance que nous visons, mais l’interaction et le partage. » Il enchaîne : « Je voudrais bien un jour appeler un agriculteur dans la Békaa et lui demander de m’envoyer des radis parce que je n’en produis pas et de proposer de lui envoyer ce qu’il ne cultive pas dans ses terres. »

Ce projet n’aurait-il pas pu voir le jour avant le 17 octobre puisque le secteur agricole est abandonné par l’État depuis longtemps ? « Si, mais le soulèvement populaire a tout fait basculer, répond M. Abdo. Aujourd’hui, les Libanais repensent leur mode de vie, leurs moyens de survie et communiquent entre eux comme jamais ils ne l’on fait. » Et de poursuivre: « Je souhaite que tous ceux qui se sentent lésés par l’État libanais, ses politiques et ses politiciens, travaillent ensemble pour trouver des remèdes. »

Réagissant à l’évocation de l’État, M. Kabbara, qui ne mâche pas ses mots, lance : « Nous sommes l’État. » Debout à côté de lui, M. Ayache rétorque : « Nous ne sommes pas l’État et nous ne prétendons pas prendre la place d’un État pareil parce que nous voulons un État différent, une société différente et un système économique et social complètement nouveau. » Et M. Abdo de trancher le débat : « Comment peut-on prétendre prendre la place d’un État qui n’existe même pas ? Un État libanais ? Il faut le construire. »


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commentaires (5)

LA JEUNESSE BOSSE. LES DEUX MILICES IRANIENNES FAUSSENT.

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 50, le 22 février 2020

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Commentaires (5)

  • LA JEUNESSE BOSSE. LES DEUX MILICES IRANIENNES FAUSSENT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 50, le 22 février 2020

  • Bonne initiative.

    Eddy

    12 h 17, le 22 février 2020

  • SUPER! la jeunesse !!!!! c'est vous qui allez changer le Liban;J.P

    Petmezakis Jacqueline

    12 h 03, le 22 février 2020

  • "...je souhaite que tous ceux qui se sentent lésés par l'Etat libanais...travaillent ensemble pour trouver des remèdes..." Magnifique, formidable, B R A V O les gars et merci !!! TRAVAILLER ENSEMBLE, et non seulement contester et manifester !!! Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 39, le 22 février 2020

  • bravo.

    LE FRANCOPHONE

    03 h 26, le 22 février 2020

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