Depuis que le nouveau gouvernement a obtenu la confiance du Parlement malgré la contestation populaire, l’heure est à la réflexion autour des futures batailles à mener. La revendication des législatives anticipées a souvent été exprimée dans la rue, mais qu’en est-il de ses perspectives réelles ? On sait bien que les partis au pouvoir sont résolument hostiles à cette perspective, et le Hezbollah l’a clairement exprimé à plus d’une reprise. Du côté des forces de la société civile, dont celles nées du mouvement du 17 octobre, il est compréhensible qu’on veuille ouvrir une brèche dans ce mur virtuel du pouvoir en place. Mais par quels moyens obtenir des élections anticipées ? Faut-il lutter pour une nouvelle loi ou se résoudre à un scrutin suivant la loi actuelle ? Comment peut-on espérer un renouvellement de la classe politique dans un contexte de confiance inexistante dans les dirigeants ?
Ce qui a contribué à relancer le débat hier est un projet de loi présenté par le groupe parlementaire du « Centre indépendant », présidé par l’ancien Premier ministre Nagib Mikati. Celui-ci, accompagné de deux autres membres du bloc, les députés Nicolas Nahas et Ali Darwiche, a présenté son projet lors d’une conférence de presse mercredi au Parlement. En gros, le projet propose de raccourcir le mandat du Parlement actuel de manière à ce qu’il prenne fin en juin 2020, soit le fait de le limiter à deux ans plutôt que quatre, ce qui entraînera de facto des élections anticipées. Le projet du groupe Mikati prévoit également de s’appuyer sur la loi électorale actuelle (scrutin proportionnel), mais avec des différences notables : d’une part, le texte propose d’adopter comme circonscription les mohafazats dans leur ancienne forme (soit les cinq mohafazats d’origine) et, d’autre part, il prône l’abaissement de l’âge de vote.
Interrogé sur ce projet de loi et ses perspectives auprès des groupes parlementaires, M. Mikati reconnaît que son groupe « n’a pas encore fait de simulation à ce propos ». « Nous présentons ce texte pour le débat, en espérant qu’il contribuera à faire évoluer la situation », ajoute-t-il.
M. Mikati souligne que l’idée de considérer les cinq mohafazats essentiels (et non ceux qui ont été créées plus récemment) en tant que circonscriptions électorales est une idée énoncée dans l’accord de Taëf. « Ce découpage est plus équitable parce qu’il est fondé sur un critère unique, estime-t-il. De plus, il y a beaucoup de diversité confessionnelle dans les mohafazats, ce qui obligera l’électeur à sortir de son cercle étroit pour s’intéresser aux autres, et favorisera l’entente nationale. » Il pense également que ce projet de loi pourra améliorer la représentativité, notamment avec les deux votes préférentiels, l’un au niveau du caza, donc d’une petite circonscription, et l’autre au niveau de la circonscription complète.
M. Mikati se doute qu’il sera difficile de convaincre les groupes parlementaires de réduire le mandat de la Chambre, et reconnaît n’avoir encore sondé aucun d’entre eux. « Il existe une véritable crise de confiance entre le citoyen et l’État, qui ne peut être résolue que par de nouvelles élections, insiste-t-il. C’est ce qui se fait partout au monde. Au Liban, nous avons un précédent en 1992, quand le Parlement, dont le mandat avait été prorogé plusieurs fois, a été dissous en prévision de nouvelles élections. »
(Lire aussi : Confusion de confiance, le billet de Gaby NASR)
Un signal politique fort
Rappelons qu’un autre projet de loi pour la réduction du mandat parlementaire avait été présenté antérieurement par le parti Kataëb. Interrogé sur ce projet, Salim Sayegh, vice-président du parti, souligne que « la proposition est venue sous la forme d’un projet de loi revêtant le caractère de double urgence, le président du Parlement a donc l’obligation de la soumettre à l’Assemblée générale ». Cette proposition met en avant la nécessité de tenir des élections d’ici à juin 2020 également.
Toutefois, les similitudes entre les deux projets ne vont pas plus loin. M. Sayegh note qu’il faut « éviter à tout prix de tomber dans le piège d’une bataille pour une nouvelle loi électorale qui devienne un prétexte pour reporter l’échéance ». Il estime que même avec l’actuelle loi « taillée sur mesure pour favoriser les partis au pouvoir », il sera possible de faire la différence dans les circonstances actuelles. « Il est nécessaire de lancer un signal politique fort, et les élections anticipées en sont un », dit-il.
Quelles sont les chances d’un renouvellement de la classe politique dans ces conditions ? « N’oubliez pas que 50 % de la population n’a pas voté aux dernières élections et qu’une bonne moitié de ceux-là se trouvent à l’étranger, insiste-t-il. Si nous avons recours cette fois-ci à des techniques électorales différentes et, surtout, si nous faisons appel à un monitoring international qui empêche la circulation de l’argent politique et aide à endiguer la corruption, dans la ligne de ce qui se fait déjà actuellement, j’ai bon espoir que nous aurons au moins un tiers de sang neuf au Parlement, soit des députés libres et proches, sinon issus, de cette révolution. »
L’ancien ministre explique que « le problème au Liban n’est pas limité aux seules réformes économiques dont on parle si souvent ». « Il faut politiser le débat, les gouvernements amis du Liban doivent savoir qu’il est nécessaire de protéger la démocratie dans ce pays », ajoute-t-il.
Une organisation indépendante
Que dit-on du côté des forces vives de la société civile, notamment au vu de ces propositions de lois présentées au Parlement ? « Avant de parler de loi électorale, il faut s’assurer que ces élections seront organisées indépendamment des outils du pouvoir, affirme Amine Issa, coordinateur de la direction politique au Bloc national. Tant que ces forces politiques seront chargées d’organiser les élections, d’imprimer et de compter les bulletins de vote… même une loi que nous considérerons comme la meilleure ne pourra aboutir à un changement significatif. La solution passe par une commission indépendante, à laquelle on aura donné les moyens financiers et humains de gérer cette échéance. »
Le militant pense toutefois que raccourcir le mandat du Parlement actuel est une idée qu’il faut considérer avec prudence. « Il faut donner à l’opposition née de ce mouvement de contestation le temps de s’organiser et d’acquérir les moyens structurels et financiers de mener campagne, sous peine de favoriser les partis traditionnels, dit-il. Du moins, il faut compter un an avant d’organiser de nouvelles élections. »
Laurie Haytayan, militante indépendante de la société civile, pense que dans tous les cas « il faut maintenir la pression pour des élections anticipées ; cette bataille doit être menée même si l’on sait qu’elle n’est pas gagnée d’avance ». « Les partis au pouvoir soutiennent que le Parlement est toujours légitime puisqu’il a été élu, nous pensons qu’il a perdu sa légitimité, poursuit-elle. Je suis même inquiète du fait que le seuil de 2022 pourrait être dépassé sous divers prétextes. Voilà pourquoi il ne faut pas relâcher la pression. »
Autant Amine Issa que Laurie Haytayan affirment qu’en cas d’élections organisées suivant la loi actuelle, il est crucial d’obtenir l’abaissement du seuil d’éligibilité, puisqu’il s’agit de la clé d’une diversification au niveau de la représentativité au Parlement.
commentaires (6)
Que de bonnes intentions, cependant dans la pratique c'est une autre paire de manches. Des élections anticipées sont 100% justifiées car la composition actuelle du parlement n'est plus représentative du peuple. Ça s'est fait dans les plus vieilles démocraties : Royaume-Uni, Grèce, Pays-Bas, Espagne, Italie, Australie, pour ne citer que quelques exemples.
Tony BASSILA
15 h 48, le 15 février 2020