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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sabine CHAMOUN

Le Liban ou l’illusion d’une démocratie

Le 17 octobre. Une date historique, qu’on le veuille ou pas. Que ça nous arrange ou pas. Que ce soit la majorité qui a manifesté ou une minorité. Que tous les manifestants soient indépendants, hors partis politiques ou pas. Qu’il y ait des politiciens qui en profitent et d’autres qui se sentent visés, peu importe. Le 17 octobre a dévoilé, pour le moins, une réalité qu’on a toujours fuie : le Liban n’est pas une démocratie.

Depuis le 17 octobre, le Liban ne se cache plus. Nos vieux politiciens ont été testés pour la première fois. Les rois de la guerre civile et de l’après-guerre ratée sont menacés. Et voilà que leur réaction vient nous confirmer que la démocratie dans laquelle on pensait vivre n’est qu’illusoire : notre démocratie consensuelle est une anésthésie. Depuis le 17 octobre, des dizaines de manifestants sont battus et arrêtés tous les jours. L’argent des Libanais est illégalement bloqué dans des banques vidées suite aux transferts par milliards de nos politiciens. Notre Parlement est blindé par une muraille. La chaîne de télévision nationale est interdite de suivre et de diffuser les nouvelles de la révolution. Une autre chaîne est interdite de diffusion dans la banlieue sud de Beyrouth. Un ancien ministre du gouvernement sortant voyage, au sein de ce chaos, à une conférence internationale dans un avion... privé... offert ! Les responsables se vantent de leur légitimité basée sur des élections faites avec une loi électorale absurde, des résultats manipulés et l’abstention de 50 % du peuple. La diffusion en direct est coupée pendant une séance parlementaire au moment où les votations et l’annonce des clauses du budget 2020 débutent. Un député est capable de faire appel à l’armée pour le protéger afin de finir son repas tranquillement dans un restaurant alors que des manifestants crient de tout cœur à l’extérieur pour qu’il quitte les lieux. Ce même député se moque de la révolution des gens affamés en publiant sa photo avec son yacht privé. La Constitution est discutée et discutable, comme s’il s’agissait d’un texte philosophique et non légal. Entre-temps... Un peuple en attente, anxieux, insulté, humilié aux portes des banques, privé du fruit de ses années de labeur, viré de son travail, victime d’une mafia corrompue et dépourvue de toute conscience et éthique, dépassant toutes les limites de l’acceptable...

De quelle démocratie s’agit-il ? Y-a-t-il de plus insultant ? De plus égorgeant ?

Cette démocratie « consensuelle » n’existe pas. Dans une démocratie, il y a des désaccords, des partis gagnants et d’autres perdants. Cependant, dans un pays comme le Liban, avoir des partis perdants équivaut à avoir des religions perdantes ou, plutôt, des chefs de tribus religieuses perdants. Et ça, surtout pas ! On a convaincu tout un peuple que sa représentation politique est purement religieuse. On est représenté quand sa religion – pire, sa communauté religieuse – l’est. Non pas ses idées, ses principes, ses causes ! Rien que sa religion. Et tout le monde doit gagner. Sinon, « le fantôme de la guerre civile » reviendra nous hanter. En réalité... Et si ce fantôme revenait ? N’est-ce pas une guerre froide que l’on vit au quotidien au Liban ? Qu’est-ce qu’on a peur de perdre précisément ? Qu’est-ce qu’on a pu construire avec ce genre de démocratie ? Ne serait-il pas temps de faire face à ce fantôme et d’en finir une fois pour toutes ? Et pourquoi cette phobie du fantôme alors que les vrais acteurs de la guerre civile sont encore en place et gouvernent ?

On s’est toujours vanté, avant le 17 octobre, que l’on vivait dans la seule vraie démocratie de la région. La liberté d’expression et des élections soit-disant démocratiques furent notre charme. La première est attaquée tous les jours depuis 3 ans maintenant. Crier son avis fort contre le président de la République et ses proches n’est pas sans prix. Et les élections... Notre fierté ! Des élections qui ont lieu parfois tous les 9 ans, parce que notre Parlement renouvelle son mandat automatiquement sans prendre notre avis, ne sont pas démocratiques. Des élections basées sur une loi électorale cousue minutieusement par les mêmes politiciens depuis 30 ans et sur laquelle on n’a pas un seul mot à dire n’est pas démocratique. Lorsque les résultats des élections sont manipulés parce que des nouvelles personnalités inconnues menacent de basculer un des vieux pions, ce n’est pas une démocratie. Lorsqu’un pourcentage non négligeable des électeurs ont reçu de l’argent électoral, ce n’est pas vraiment une démocratie. Comment peut-on prétendre vivre dans une démocratie lorsque les générations des années 90 ont connu un seul et même chef de Parlement ? Comment a-t-on fini par croire en notre démocratie lorsque les mêmes figures se retrouvent dans notre Parlement et notre gouvernement depuis des décennies ?

Une prise de conscience, même tardive, est essentielle. Cela fait du bien de faire face à la vérité, d’avouer sa défaite et de cerner le monstre à combattre. Le Liban est une dictature masquée ou une démocratie maquillée. C’est indéniable. Voilà notre défi, notre maladie. Seules des élections anticipées et contrôlées par un corps international pourront nous dire si nous sommes une minorité ou une majorité à avoir véritablement réalisé que l’on vit dans une dictature et que cela devient insupportable. Les élections se prononceront : soit une minorité partira et cédera sa place à une majorité qui croit encore en ses représentants religieux malgré sa qualité de vie minable, soit une majorité haussera le ton et mettra fin au péril qui menace notre pays et le conduira, coûte que coûte, vers la laïcité tant rêvée.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Le 17 octobre. Une date historique, qu’on le veuille ou pas. Que ça nous arrange ou pas. Que ce soit la majorité qui a manifesté ou une minorité. Que tous les manifestants soient indépendants, hors partis politiques ou pas. Qu’il y ait des politiciens qui en profitent et d’autres qui se sentent visés, peu importe. Le 17 octobre a dévoilé, pour le moins, une réalité...

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