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Société - Enquête

Comment font-ils pour vivre à mi-salaire ?

« On prie pour que rien de fâcheux n’arrive, car on ne peut même pas se permettre de changer le pneu d’une voiture. Un seul incident, et c’est toute la vie qui s’arrête ! »

Des femmes discutant dans un supermarché où les denrées sont touchées par la hausse des prix. REUTERS/Mohammad Azakir/Reuters

La crise économique et l’effondrement de la livre ont touché de plein fouet les Libanais. Un grand nombre d’entreprises ont opté pour une réduction des salaires de leurs employés, parfois de moitié, pour survivre en cette période de stagnation économique. Une nouvelle donne à laquelle doivent s’adapter de nombreux Libanais, qui ne le prennent pas tous de la même manière. Mais quels que soient leur métier, leur éducation ou le montant de leur compte d’épargne, ils sont conscients qu’aujourd’hui ils doivent impérativement se serrer la ceinture. Mirna, 33 ans, travaille dans le domaine de la production télé. Depuis trois mois déjà, elle s’est vue contrainte d’accepter que son salaire initial de 2 200 dollars passe à 1 400 dollars, la chaîne au sein de laquelle elle travaille ayant opté pour une réduction par tranches salariales, allant de 10 à 50 %.

« Je suis dépensière de nature, confie-t-elle, assise à ne rien faire derrière son bureau où les visiteurs se font rares ces temps-ci. Aujourd’hui, c’est terminé. Mon mari travaille toujours et n’a pas encore été affecté par la situation, mais j’ai un enfant de 5 ans, et c’est lui qui passe en priorité dorénavant. Alors, on change les petites habitudes. Plus de shopping, plus de repas livrés à la maison chaque soir. Place au strict nécessaire ! »

Mirna passe aujourd’hui plus de temps avec son enfant, mais c’est sur le plan professionnel qu’elle se sent le plus lésée. « Je retrouve mon salaire d’il y a dix ans ; c’est un retour à la case départ en quelque sorte, se plaint-elle. Où sont parties toutes ces années ? J’ai fait tellement de sacrifices pour arriver à un âge où je peux me permettre un voyage de temps en temps, une évasion, et je me retrouve ici à travailler pour des prunes ! » Employé depuis vingt ans dans une autre chaîne, Georges, un célibataire de 44 ans, se dit « dépressif » depuis que son salaire a été réduit de moitié, et sans aucune information concernant le temps que cette mesure devrait durer. « Franchement, dit-il, j’ai perdu goût à la vie. Moi qui aime voyager, faire des projets, je ne peux aujourd’hui plus faire aucun plan pour l’avenir. On perd le droit de rêver, ainsi que le plaisir de consommer, de sortir, de sentir qu’on est vivant. »

N’ayant plus à travailler toute la journée, un droit concédé par la direction de la chaîne, Georges déjeune désormais à la maison « pour faire des économies ». « Je peux encore survivre deux ou trois mois au maximum avec les économies que j’ai, mais ce qui m’effraie le plus, c’est ce sentiment d’insécurité constant, s’inquiète-t-il. Quand on est payé moitié salaire, on prie pour que rien de fâcheux n’arrive, car on ne peut même pas se permettre de changer le pneu d’une voiture. Un seul incident, et c’est toute la vie qui s’arrête ! »


(Lire aussi : Dans la banlieue sud, la crise économique pèse lourd)


Un salaire qui dure deux jours

Dans le vieux souk de Jounieh, vide ces derniers temps, Lichaa, un père de famille, se plaint de n’avoir pas reçu un seul client dans sa boutique de vêtements, voilà déjà plus de deux semaines. Instituteur à temps partiel au sein d’un établissement scolaire et père d’une fillette de 2 ans, il n’a pas touché son salaire au collège depuis déjà deux mois. « Ma femme est esthéticienne, raconte-t-il. Le mois dernier, elle a juste gagné 600 000 livres, ce qui n’est absolument pas suffisant et ne sert qu’à couvrir les frais de la garderie. Pour le reste, je dépense ce qui reste de mes maigres économies, mais il me faut une solution rapide. Le prix des couches pour bébé a doublé depuis le début de la révolution! Avec la crise du dollar, il me sera impossible d’acheter de nouveaux stocks de vêtements en Turquie, et je vais bientôt fermer boutique pour de bon », ajoute-t-il résigné.

Plus optimiste, Mohammad, la cinquantaine, employé et DJ à ses heures perdues, se félicite du fait que sa femme, une institutrice, gagne toujours plein salaire. « Comme tous mes collègues, je touche la moitié de mon salaire, soit 600 dollars, mais cela ne sert qu’à repayer le prêt bancaire et la scolarité de mes deux enfants, explique-t-il. Mon demi-salaire dure environ deux jours. Les dimanches, comme les samedis, on reste à la maison. J’essaie donc de faire des jobs à part, en tant que DJ, mais c’est difficile avec la situation du pays. Le week-end dernier, deux de mes soirées ont été annulées… »

Fady, qui travaille dans une ONG, affirme que son salaire amputé ne lui suffit plus. « On m’a promis de revenir à un salaire normal quand la situation politique s’améliorera, dit-il, mais j’ai honte de dire qu’à 29 ans, je dois demander à mon père de l’argent de poche pour boucler mon mois. » « Même s’il n’y a rien de positif dans ce qui s’est passé, j’ai appris à faire des économies, dit-il cependant. Je réalise que je suis capable de vivre avec le montant que je gagne, mais ce n’est pas vraiment une vie. »


(Lire aussi : Les Libanais n’ont jamais été aussi pauvres, ni non plus aussi solidaires)


Plus de projets de fiançailles ou de mariage

Si certaines entreprises ont choisi de réduire les salaires sans crainte de poursuites judiciaires de la part de leurs infortunés employés, d’autres ont contraint les leurs à signer une lettre de consentement pour éviter les contestations. C’est le cas de Nassim, un célibataire de 28 ans, qui travaille dans un hôtel et a consenti il y a 4 mois à être payé 500 dollars au lieu des 1 000 convenus.

Pour compenser cette réduction, son manager lui permet de ne venir au boulot que 2 à 3 jours par semaine, mais cela ne semble pas le réconforter pour autant. « Je paie juste l’essence, pour me déplacer, et le nécessaire en termes de nourriture en m’assurant que je choisis le produit le moins cher au rayon du supermarché, lâche-t-il, le regard triste. Quant au prêt bancaire que j’ai pris pour faire des travaux dans la maison, j’ai tout simplement arrêté de le rembourser. La banque m’assure qu’il n’y aura aucune pénalité, mais je ne sais toujours pas comment je vais faire pour payer tous ces montants qui s’accumulent. » À ses heures libres, le jeune homme, amoureux de la nature, se promène dans son village et prend soin des quelques animaux de ses parents, un chien et quelques poules. Des activités qui ne lui coûtent rien. « Grâce à Dieu, je n’ai pas perdu mon job. Et heureusement que je n’ai ni femme ni enfant! » se console-t-il encore, esquissant un pâle sourire. Joëlle, qui travaille en free-lance pour une compagnie médiatique, se réjouit elle aussi d’être célibataire. « Moi qui suis en relation sérieuse, je ne parle plus de fiançailles ou de mariage, assure-t-elle. Cela me semble appartenir à une vie passée qui ne correspond plus à ce que nous vivons aujourd’hui. » « Je peux à peine prendre soin de moi-même et je cache mes cheveux blancs tant bien que mal pour éviter d’aller chez le coiffeur », avoue-t-elle en relevant sa frange.

Si elle n’a jamais fait d’économies de sa vie, Joyce a été prise de court quand son employeur lui a annoncé que pour son projet, elle ne serait rémunérée que de moitié. « Je n’arrive tout simplement pas à joindre les deux bouts, dit-elle. Et pas le temps de trouver un autre projet. Je ne sors plus, je ne fais plus de shopping, je n’achète plus rien en fait ! Je suis perdue, psychologiquement. Je ne vois plus d’amis et j’ai des prêts à rembourser pour lesquels la banque a déjà appelé deux fois. Bon, quand je me suis expliquée, je n’ai plus reçu d’appels. Mais jusqu’à quand ? La solution serait peut-être, tout simplement, de quitter le pays. »

L’émigration semble en effet la solution pour beaucoup de jeunes. Ainsi Sandra, ex-éditrice dans un magazine, et son mari comptable ont tous deux perdu leur emploi il y a deux mois. Pour l’instant, ils profitent de la maigre indemnisation reçue par le mari, pour survivre et payer notamment les frais de scolarité du petit Chérif, qui fréquente un établissement scolaire de renom à Fanar. Pour eux, pas question qu’il change d’école. « Notre fils passe en priorité, mais il est vrai que nous ne voyons plus aucun horizon au Liban, raconte Sandra. J’ai toujours voulu émigrer pour rejoindre ma sœur au Canada, mais mon mari était toujours contre. Aujourd’hui, c’est lui qui m’encourage à trouver un plan B. Ce pays n’est plus pour nous. »



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commentaires (4)

Que c'est triste et l'OLJ a probablement contacté des personnes de la classe moyenne. Qu'en est-il des familles vraiment vulnérables qui habitent nos bidonvilles et nos villages éloignés? Une vraie hécatombe qu'on doit à nos politiciens corrompus.

Michael

14 h 39, le 28 janvier 2020

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Commentaires (4)

  • Que c'est triste et l'OLJ a probablement contacté des personnes de la classe moyenne. Qu'en est-il des familles vraiment vulnérables qui habitent nos bidonvilles et nos villages éloignés? Une vraie hécatombe qu'on doit à nos politiciens corrompus.

    Michael

    14 h 39, le 28 janvier 2020

  • Les banques prennent notre argent pour otage.

    Eddy

    10 h 04, le 28 janvier 2020

  • La crise actuelle est largement due aux restriction bancaires illégales... Il serait normal de stopper tout remboursement de prêts bancaires tant que celles-ci sont incapables de libérer les liquidités nécessaires à la reprise de l’économie. Il n’y a aucune raison valable que ce soit encore les banques qui profitent de la situation. Après tout, elles nous forcent à vendre nos dollars à un prix inférieur d’1/3 de sa valeur réelle en empochant la différence...

    Gros Gnon

    07 h 04, le 28 janvier 2020

  • AVANT VOUS LES GRECS ONT VECU ET VIVENT TOUJOURS AVEC MOITIE SALAIRE ET DES MESURES D,AUSTERITE DRASTIQUES. VOUS AVIEZ L,EXEMPLE DEVANT VOS YEUX ET VOUS VOUS ETES LAISSES FAIRE PAR VOS ABRUTIS CORROMPUS, VOLEURS ET INCOMPETENTS. VOUS PAYEZ LE PRIX. AUCUN DES GRANDS ET VRAIS CORROMPUS NE SERA GENE... CROYEZ-LE. TOUS ECHAPPERONT. D,AILLEURS ILS ONT UNE LOI D,AMNISTIE PRETE A ETRE ELUE PAR LA CAVERNE DE SIMSOM...

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    00 h 41, le 28 janvier 2020

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