Les réductions d’effectifs les plus drastiques ont été recensées dans le secteur industriel, puisque 44 % d’entre elles ont concerné plus de 75 % des effectifs. Photo P.H.B.
Bachir*, la trentaine à peine entamée, a appris la semaine dernière son licenciement pour raison économique. Il quittera à la fin du mois la start-up qu’il avait rejoint il y a plus de deux ans, persuadé qu’elle avait un avenir prometteur. « On a commencé par nous annoncer une réduction de 50 % de nos salaires pour les mois de novembre et décembre, avant de nous informer que nous serons quatre, sur une quinzaine d’employés, à être licenciés », confie ce jeune ingénieur à L’Orient-Le Jour. « La responsable des ressources humaines nous a dit que nous serions prioritaires dans le cas où la situation reviendrait à la normale et que la société aurait de nouveau besoin de recruter », ajoute-t-il, sans trop y croire.
Le cas de Bachir est loin d’être isolé. Le secteur privé, qui souffrait déjà depuis plusieurs années d’une importante récession économique, a été frappé de plein fouet par la crise de liquidités que connaît le Liban depuis le mois de septembre et par une baisse drastique de son activité depuis le début du mouvement de contestation, le 17 octobre. La situation déjà précaire des entreprises a été aggravée par les difficultés qu’elles rencontrent suite à l’instauration par les banques de mesures restrictives, la création d’un taux de change parallèle et la baisse du pouvoir d’achat des Libanais, poussant ainsi une partie d’entre elles à réduire notamment le coût de leur masse salariale, du moins momentanément.
« Sur les trois dernières années, nous sommes passés d’une équipe de 120 à 40 employés. Mais depuis le début des manifestations, notre situation a empiré. Nous avons perçu 70 % de nos salaires pour le mois de novembre, et nous n’en toucherons que 50 % pour décembre. Certains de nos employés ont été forcés de prendre des congés non payés, en attendant de voir comment la situation va évoluer. Mais pour l’instant, la liste des clients qui ne paient pas notre cabinet ne cesse de s’allonger », raconte par exemple Hiba*, une architecte qui travaille depuis cinq ans pour ce cabinet d’ingénierie. Ainsi, dans un sondage réalisé fin novembre par Infopro sur un échantillon de 300 sociétés, on apprend que 91 % des compagnies interrogées ont vu leur chiffre d’affaires baisser par rapport à la période d’avant le 17 octobre de 66,3 % en moyenne. Résultat, près de 10 % de ces compagnies interrogées ont cessé définitivement ou suspendu temporairement leurs activités depuis le début du mouvement de contestation et 22 % d’entre elles ont réduit leurs effectifs de 60 % en moyenne sur cette même période. Infopro estime à 160 000 le nombre de suppressions – temporaires ou définitives – de postes depuis le 17 octobre. Un employé d’un concessionnaire de voitures a ainsi indiqué à L’Orient-Le Jour que 50 de ses collègues ont été tout récemment licenciés, tandis que le reste du personnel a vu son salaire fixe divisé par deux et son salaire variable (commissions sur les ventes) tout bonnement supprimé.
Congés non payés
Et même lorsqu’elles ne réduisent pas leurs effectifs, plusieurs entreprises font le choix de réduire les rémunérations de leurs salariés. Près de 34 % des compagnies interrogées par Infopro ont réduit les salaires, principalement (61 % d’entre elles) en réduisant les heures de travail ou en imposant des congés non payés. Dans 49 % des cas, cette réduction prend la forme d’une baisse du salaire, de 39,7 % en moyenne. « Les chefs d’entreprise savent pertinemment qu’en licenciant certains de leurs employés, il sera très dur pour eux de retrouver du travail dans le contexte actuel. Ils essaient d’éviter cela en supprimant les bonus ou en réduisant momentanément les salaires. Certains répercutent des baisses plus importantes sur les salaires les plus élevés, pour préserver les plus bas salaires », indique l’industriel Chaker Saab, PDG de Tinol et président du Family Business Network Levant.
Sans surprise, le secteur commercial a été le plus impacté par la crise actuelle : 95 % des entreprises ont vu leur chiffre d’affaires baisser en moyenne de 67 % depuis le 17 octobre, et 31 % d’entre elles ont réduit leurs effectifs d’environ 50 % en moyenne, à l’instar d’une grande chaîne libanaise de magasins de luxe. Mais pour Nabil Fahd, vice-président de la Chambre de commerce de Beyrouth et du Mont-Liban, « il s’agit surtout de petites et moyennes entreprises qui ont énormément souffert de la suppression de leurs facilités bancaires. Elles ne peuvent plus importer autant de catégories de produits qu’auparavant et sont contraintes de réduire leurs charges fixes. Elles louent des dépôts de plus petite superficie par exemple, mais doivent souvent s’attaquer à leur masse salariale. Quant aux grands importateurs, ils ont des capitaux importants et donc plus de capacités pour tenir, du moins pour les trois mois à venir ». M. Fahd, qui est également président du syndicat des propriétaires de supermarchés, précise que les enseignes de grande distribution n’ont pour le moment pas procédé à des baisses de salaires ou à des licenciements : « Elles s’attendent à une grande affluence pendant la période des fêtes, mais je pense que certaines d’entre elles seront contraintes de prendre des mesures similaires plus tard. »
Les secteurs de l’industrie et des services n’ont pas été épargnés non plus, puisque 20 % des entreprises opérant dans ces secteurs ont procédé à des suppressions d’emplois. Les réductions d’effectifs les plus drastiques ont d’ailleurs été recensées dans le secteur industriel, puisque 44 % d’entre elles ont concerné plus de 75 % des effectifs. Panda Plast, une usine de production d’articles en plastique, a ainsi procédé au licenciement d’une centaine de ses employés pour n’en compter actuellement que 250, a indiqué au Commerce du Levant sa directrice marketing, Rindala Kassem.
« Le fait de devoir se procurer des dollars sur le marché parallèle pour pouvoir importer les matières premières a fait augmenter les coûts de production. Les fournisseurs accordent de moins en moins de facilités de paiement et exigent souvent d’être payés en liquide. Beaucoup d’industriels essuieront des pertes cette année, certains ont vu leurs ventes diminuer de 50 % », explique pour sa part Chaker Saab. Il est par ailleurs très difficile pour le moment d’évaluer l’ampleur de l’impact de la crise actuelle sur les employés du secteur informel, qui représente près de 30 % du PIB, selon l’Administration centrale de la statistique, et dont la situation est généralement plus précaire.
*Les prénoms ont été changés
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BRAVO AU MINISTRE DES FL MAIS NON MEMBRE DU PARTI ... vous êtes un exemple aux futures ministrable ... bravo pour avoir travailler pour le Liban et les libanais
17 h 40, le 06 décembre 2019