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Experts ? Et comment !

Ce n’est pas sous les meilleurs auspices que l’Iran entame l’année nouvelle.

En Kassem Soleimani, éliminé par les Américains, la révolution vient de perdre en effet un précieux, un fort talentueux directeur à l’exportation. Si, par ailleurs, les foules immenses rameutées pour les imposantes funérailles du général ont paru sceller l’unité retrouvée des Iraniens, la fracassante riposte promise au Grand Satan a tourné plutôt au pétard mouillé. Repérés à temps, les missiles lancés sur des bases US en Irak n’ont fait aucune victime, contrairement au terrible bilan claironné par les auteurs du bombardement ; pire encore, on n’a pas manqué de voir, dans ce spectaculaire, mais pas trop méchant, feu d’artifice, un même souci des protagonistes d’éviter une guerre totale. Et comme un malheur survient rarement seul, ce n’est plus de forfanterie seulement, mais de fatale incompétence que se trouve accusée maintenant la machine militaire iranienne, avec cette tragique affaire d’avion de ligne ukrainien qui aurait été abattu par un intempestif tir de missiles.

L’embarras n’est pas moindre cependant chez les orphelins non iraniens de Soleimani, ces légions étrangères qui doivent au disparu leur armement, leur financement, leur parfaite organisation et beaucoup de leur mordant. Une fois encaissé le choc, observé le deuil et lancés les appels passionnés à la vengeance, c’est au plus pressé que s’efforcent de parer le Hezbollah et ses amis locaux. Dans la perspective d’un long bras de fer irano-américain susceptible d’affecter la scène libanaise, et sous couvert de devoir de consensus, s’impose ainsi, en tête de leurs priorités, la nécessité de préserver à tout prix les privilèges d’autonomie et d’invulnérabilité dont jouit une milice parvenue à se greffer sur l’État dans ses diverses institutions.

Les dirigeants ont passé des semaines entières à tenter d’assembler, au gré des suspects intérêts des uns et des autres, les pièces du puzzle gouvernemental, alors que le pays fait déjà naufrage, que le froid s’est ajouté à la faim avec un sévère rationnement du courant électrique, que la monnaie nationale fait plongeon sur plongeon sur le marché officieux. Ces dirigeants n’ont cessé de débattre du sexe des anges, de bavasser sur les subtiles nuances entre un cabinet techno-politique et celui de spécialistes encadrés de représentants des partis. Et voilà qu’après tout ce temps gaspillé, l’on veut repasser le même et exécrable plat à un peuple en révolte qui en a assez du faisandé, qui réclame du sain, du propre, et qui a entrepris, hier, de redescendre dans la rue. Ce que l’on propose maintenant à ce peuple, c’est un gouvernement fédérateur non pas de citoyens, mais de partis : un gouvernement où les départements sensibles seraient confiés à des gens du métier, des professionnels de la politique, seuls à même, nous dit-on, de se montrer à la hauteur des graves évènements qui secouent la région. Mais là n’est-il pas précisément le plus inquiétant ?

C’est vrai qu’il est hors de question (ce serait vraiment trop gros !) d’un retour en fonction des figures du passé, détestées des foules en insurrection. Mais bien davantage, en réalité, que le Premier ministre désigné Hassane Diab, ces mêmes personnages ont toujours la haute main sur la composition du prochain gouvernement. Laissés libres de choisir leurs suppléants, ils s’estiment à l’abri de toute investigation future visant leurs anciennes chasses gardées, ces cavernes d’Ali Baba regorgeant de scandales.

Il y a trois jours, le représentant de l’ONU au Liban s’indignait, dans un tweet, de l’irresponsabilité des dirigeants libanais. Que non, cher Monsieur Jan Kubis, mille fois responsables sont-ils au contraire : responsables de nos malheurs, de la déchéance d’un pays proprement assassiné par ceux qui en ont la charge. Le peuple réclame des experts? En attendant qu’aboutisse la révolution, il reste à la merci de nos distingués – mais non estimés – spécialistes de la mal-gouvernance. Des techniciens ô combien expérimentés de la magouille. De ces artistes archiconnus et reconnus de la corruption.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Ce n’est pas sous les meilleurs auspices que l’Iran entame l’année nouvelle.En Kassem Soleimani, éliminé par les Américains, la révolution vient de perdre en effet un précieux, un fort talentueux directeur à l’exportation. Si, par ailleurs, les foules immenses rameutées pour les imposantes funérailles du général ont paru sceller l’unité retrouvée des Iraniens, la...