La tactique est claire et n’est pas nouvelle. Les scènes de guérilla urbaine dont le centre-ville de Beyrouth a été le théâtre le week-end dernier ont illustré un fait indéniable : l’existence d’une volonté tenace de la part de certaines parties, plus particulièrement le tandem Amal-Hezbollah, de saboter le mouvement de révolte populaire. Tous les moyens sont bons à cet effet. Ils ont été mis en relief aussi bien par les retransmissions en direct des dérapages de ces derniers jours que par les témoignages recueillis sur place. La manœuvre est visible à l’œil nu : l’infiltration de la masse de manifestants pacifiques par des casseurs – généralement vêtus de noir – qui s’emploient à provoquer des échauffourées avec les forces de l’ordre pour créer une situation de chaos, de batailles de rue et d’actes de déprédation de manière à dénaturer le soulèvement, à briser son image de mouvement non violent, bon enfant, inventif et entreprenant.
Un tel comportement ne justifie cependant en aucun cas, convient-il de relever, cet usage excessif de la force par les unités anti émeute des FSI dont la réaction démesurée durant ces deux jours de dérapage nocturne suscite plus d’un point d’interrogation, d’autant qu’elle a sans doute entraîné dans la spirale de la violence aveugle certains manifestants impliqués dans le mouvement de soulèvement.
Pour ceux qui restent branchés sur les développements locaux, il y a là comme une impression de déjà-vu. L’on se souvient en effet que lors des vastes manifestations organisées en 2015 pour dénoncer la crise des déchets, les partisans d’Amal avaient également infiltré les rassemblements citoyens, provoquant sciemment des incidents et se livrant aussi à des déprédations dans le but de désamorcer indirectement la vague de colère. Là aussi, la tactique consistait à dénaturer et discréditer par des actes miliciens la contestation en créant une atmosphère de désordre sur la place publique. Cette ligne de conduite anti-intifada apparaît ainsi comme une constante indépendante de la conjoncture du moment.
Au cours des dernières semaines, la politique de sabotage a pris une tournure encore plus violente avec les « raids » menés par les hordes de partisans d’Amal et du Hezbollah qui, sous le cri de guerre « chiites, chiites » (dénoncé par nombre de cadres de la communauté), ont entrepris de lancer des opérations « coups de poing », de véritables ratonnades, pour réprimer sauvagement les manifestants, incendiant leurs installations, non seulement au centre-ville, mais également dans certains fiefs de ce tandem, à Tyr, Nabatiyé et Baalbeck. Comble du paradoxe, Amal avait été présenté lors de sa fondation dans les années 70 par l’imam Moussa Sadr comme un « Mouvement des déshérités ». Et voilà qu’aujourd’hui ce « mouvement de déshérités » s’en prend sans état d’âme à… des déshérités, à des Libanais qui crient haut et fort leur misère et leur désarroi !
Autre déviation partisane : le Hezbollah se retrouve lui aussi sur une dangereuse pente glissante. Ce parti, tête de pont de l’Iran des mollahs sur les bords de la Méditerranée, passe du statut de « résistance » à celui d’une formation milicienne qui réprime les manifestants pacifiques dont le seul « tort » est de revendiquer leurs droits socio-économiques, leur droit à vivre une vie digne. Pire encore : du fait de sa posture actuelle, le parti de Dieu se pose pratiquement, qu’il le veuille ou non et malgré tous ses efforts pour nous convaincre du contraire, en farouche défenseur d’une certaine catégorie de dirigeants et de hauts responsables corrompus qui ont conduit le pays à la ruine.
Dans le contexte du présent soulèvement, le tandem Amal-Hezbollah porte la très lourde responsabilité historique de s’opposer de manière frontale et brutale à ce magnifique élan citoyen qui a l’immense mérite de redonner confiance aux générations montantes, et qui mobilise depuis deux mois de larges pans de la population libanaise sur l’ensemble du territoire national. En se livrant à des étalages de force – en tous points déplacés – sur les places publiques dans plus d’une région, les deux formations chiites créent un grave ressentiment à leur égard. Elles creusent un profond fossé entre elles et tous ceux, jeunes et moins jeunes, qui aspirent à l’édification d’un véritable État moderne capable de leur assurer une vie digne et sereine… Loin des postures guerrières et de l’implication stérile dans des conflits régionaux dont les Libanais, dans leur écrasante majorité, n’ont que faire.
Apres avoir etes marginalises pendant des annees les 2 formations Chiites considerent que comme maintenant ils font partie integrale de cet etat providence ils se sentent menaces par la revolutionb qui risque de leur arracher ces ACQUIS . Hezbollah mais surtout Amal ont peur de tout changement parce qu'ils pensent que ca va se passze a leurs depens.
10 h 50, le 17 décembre 2019