Depuis la décision vendredi de la juge pour enfants à Baabda, Joëlle Abi Haïdar, enjoignant à l’association maronite Mission de vie (Antélias) de lui restituer deux enfants qu’elle lui avait confiés, la controverse se poursuit quant à la crédibilité de cette congrégation.
La commission épiscopale pour les médias, relevant de Bkerké, a condamné hier « les attaques systématiques contre les institutions ecclésiastiques et leur crédibilité », saluant « le rôle humanitaire de Mission de vie dans les domaines spirituel et social ». Le patriarcat maronite a toutefois nommé un comité pour enquêter sur les questions de harcèlement sexuel et de violence contre les mineurs évoquées dans le jugement.
Dans son jugement, Mme Abou Haïdar a notamment fait état de cas de maltraitance d’enfant, d’agression sexuelle sur mineur, de diffusion de films pornographiques, et du fait que de la nourriture avariée ait été donnée aux enfants, enjoignant à la congrégation de lui remettre deux bébés. La juge avait obtenu quelque temps auparavant la restitution de dix enfants plus âgés, qu’elle a placés dans d’autres associations ou rendus à leurs familles avec des aides pécuniaires. La congrégation a toutefois refusé de remettre deux petits enfants. Une source judiciaire affirme à L’Orient-Le Jour que la supérieure du couvent et une autre religieuse avaient présenté aux assistantes sociales déléguées par la magistrate un enfant de 4 mois comme étant un des bébés recherchés, tandis que l’enfant qui leur avait été remis est né en novembre 2018 et a donc 13 mois. C’est ainsi que la juge a décidé, en respect des règles légales, de recourir à l’avocate générale près la cour d’appel du Mont-Liban, Nazek Khatib, qui a fourni une escorte aux déléguées.
Campant sur leurs positions, les deux sœurs ont alors invoqué une décision du tribunal religieux maronite qui a confié la garde à l’association. Les déléguées sociales, accompagnées d’une patrouille des FSI, ont tenté plusieurs heures durant de les convaincre de se conformer au jugement. « Vous passerez sur mon corps pour les prendre », aurait alors lancé une des religieuses, indique la même source interrogée, affirmant que c’est seulement vers 21h que les deux sœurs ont été emmenées au poste de police d’Antélias. Interrogée sur la supériorité de la justice religieuse par rapport à la justice civile, la source judiciaire souligne qu’une jurisprudence établie consacre la suprématie de la décision judiciaire par rapport à celle des tribunaux religieux lorsqu’un magistrat estime qu’il y a danger pour un enfant, comme l’a jugé en l’espèce la magistrate Abou Haïdar.
Intérêt personnel
Concernant les accusations lancées samedi par l’avocat de Mission de vie, Michel Hannouche, contre la juge Abi Haïdar, selon lequel la magistrate aurait cherché, pour des questions d’intérêt personnel, à placer un des enfants dans une famille de son choix, la source répond que c’est plutôt l’association qui avait un intérêt à placer l’enfant au sein d’une autre famille. Elle raconte qu’un couple désireux d’adopter un bébé s’est présenté il y a quelques mois auprès de la juge qui en a informé la congrégation. Celle-ci avait étudié de son côté le dossier d’une autre famille au sein de laquelle elle envisageait de placer le bébé. Or selon les règles, Mission de vie aurait dû mettre la juge au fait de sa démarche. En dépit de cette infraction, Mme Abi Haïdar a demandé à la congrégation de comparer les situations des deux familles, en entrant en contact avec la famille qui l’avait sollicitée, afin de choisir la meilleure option pour l’enfant. Mais ladite famille n’a jamais été contactée par la congrégation.
Les deux religieuses n’ont pas comparu hier devant le procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui avait prévu une audience pour élargir l’enquête.
Entre-temps, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a apporté tout son appui hier à Joëlle Abi Haïdar, appelant à « ne pas s’attaquer aux juges qui assument leurs fonctions avec transparence et liberté », sous peine de poursuites judiciaires. « L’État de droit n’est renforcé qu’en présence d’un pouvoir judiciaire indépendant », martèle le communiqué publié par le CSM.
Le Club des juges avait également appelé dimanche soir à « respecter les décisions judiciaires et à ne pas diffamer des magistrats qui remplissent leur devoir afin de préserver le bon cours de la justice ».
Lire aussi
Les révélations du jugement de la magistrate Joëlle Abi Haïdar
commentaires (4)
Je présente tous mes respects au juge Ghassan Oueidate l'un des plus grands juges que le Liban ait connus depuis 1920. Concernant les religieuses, rien ne justifie que des spadassins menottent des religieuses en les emmenant manu militari en jeep à un poste de gendarmerie. Ces matamores croyaient-ils que les deux religieuses fuient à 21 heures à travers champs pour échapper à la Justice de leur pays ? Une réponse s'impose. Merci !
Un Libanais
14 h 21, le 10 décembre 2019