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Contes et légendes de famille

À Beyrouth comme à Tripoli, Saïda, Tyr, Nabatiyeh, Zahlé et Baalbeck, elles sont invariablement de toutes les manifs. Elles y figurent même en première ligne, sans distinction d’âge ou d’origine. Élégantes style Gucci, ménagères en tenue de jogging ou égéries chaussées de rangers, elles savent fort bien se faire entendre. Mieux encore, on les a vu désarmer d’une harangue bien sentie les plus zélés des agents de l’ordre ou, le cas échéant, résister aux brutalités policières toutes griffes dehors, telles des tigresses en furie.


On n’exaltera jamais assez le rôle central que joue la Libanaise dans cette vaste contestation populaire vouée à modifier de fond en comble notre panorama sociopolitique. S’il est cependant un domaine où le sexe dit faible s’affirme indéniablement comme le plus fort, c’est bien celui de la sagesse dans la révolution. Mieux que leur viril entourage souvent prompt à s’enflammer, mères, épouses et sœurs sont capables de flairer les traquenards à distance. En premier lieu, celui de la violence, dressé par des milices sectaires précisément nées de la violence; ne vivant, ne perdurant que par la violence ; et qui, aujourd’hui, sont elles-mêmes prises au piège d’une répudiation populaire armée seulement de son caractère pacifique.


Comme pour en magnifier la charge symbolique, cet exploit de perspicacité et de vigilance avait pour théâtre, mardi, une rue de la capitale qui fut un des fronts les plus actifs, les plus obstinément embrasés de la guerre de quinze ans qui ravagea notre pays. C’est sur cette artère à deux voies séparant chrétiens de Aïn el-Remmaneh et musulmans majoritairement chiites de Chiyah qu’étaient échangés, la veille au soir, injures et projectiles, avant que l’armée y mît bon ordre. Au lever du jour cependant, et dans un même élan, ce sont les femmes des deux bords longtemps antagonistes qui défilaient bras dessus bras dessous, clamant un même plus jamais, opposant une même fin de non-recevoir aux marchands de tensions confessionnelles en quête de chair à canon.


À l’image d’une révolution qui a renversé toutes les barrières érigées entre Libanais, ces saintes femmes saluées par les cloches des églises et les sonos des mosquées illustraient spectaculairement une scandaleuse évidence : les seigneurs de la guerre s’étaient bornés à faire la paix entre eux, et seulement pour se partager le butin sur le dos de l’État. La paix véritable, la paix profonde, celle des cœurs et des esprits, il aura fallu attendre trois décennies durant pour que les citoyens, excédés par la mal-gouvernance et les rapines, se chargent de la réaliser tout seuls…


Et nous donc dans tous ces flots d’encens, protestera sans doute plus d’un représentant de la gent masculine. Patience, Messieurs : en raison du manque d’espace, seul le père sera encore évoqué dans cette petite chronique des familles dans la tourmente. Non pas le père lambda, mais celui qui se veut le père du peuple, de tout le peuple, et qui, dans le même temps (six semaines déjà !), demeure sourd aux aspirations de ce dernier. Qui, pour calmer la colère des manifestants et gagner leur confiance, n’a trouvé d’autre moyen que d’arguer de son propre passé, lequel prête, comme par hasard, à vive polémique. Qui, à l’heure où la galère nationale fait eau de toutes parts, ne se décide toujours pas à sonder le Parlement sur le choix d’un nouveau Premier ministre, comme l’y enjoint la Constitution. Qui, à défaut d’assumer la paternité du peuple, s’avère en fait le plus complaisant des beaux-pères, un véritable beau-papa gâteau. Qui, en effet, et sans crainte de braver le reste de sa propre maisonnée, passe toutes ses frasques et ses mesquines manœuvres dilatoires à son gendre et dauphin, pourtant cible de prédilection des manifestants…


Et si, pour l’amour du Ciel, on parlait d’autre chose ?


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

À Beyrouth comme à Tripoli, Saïda, Tyr, Nabatiyeh, Zahlé et Baalbeck, elles sont invariablement de toutes les manifs. Elles y figurent même en première ligne, sans distinction d’âge ou d’origine. Élégantes style Gucci, ménagères en tenue de jogging ou égéries chaussées de rangers, elles savent fort bien se faire entendre. Mieux encore, on les a vu désarmer d’une harangue bien...