Donald Trump a peut-être fait pire que Richard Nixon pour mériter une procédure de destitution au Congrès mais il est peu probable que les républicains lui tournent le dos, tant le pays est divisé entre opposants et supporteurs du président américain, estiment plusieurs experts.
"Ce que nous avons ici est bien plus grave qu'un cambriolage de troisième rang d'un QG de campagne démocrate", a lancé jeudi le chef de la commission d'enquête parlementaire, Adam Schiff, en closant une série d'auditions marathon au Congrès. Il faisait référence aux origines du scandale du Watergate, lors duquel Richard Nixon avait démissionné en 1974 afin d'éviter une destitution certaine. "C'est tout à fait vrai", affirme Alan Baron, un juriste ayant participé à quatre procédures de mise en accusation ("impeachment") contre des juges fédéraux à la Chambre des représentants.
Donald Trump risque un "impeachment" à la Chambre pour avoir demandé, lors d'un échange téléphonique, à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky d'enquêter sur un potentiel adversaire à la présidentielle de 2020, Joe Biden. "Il retient une aide militaire qu'attend désespérément un allié, pour aider sa réélection. Comparé à cela, le Watergate est une gaminerie", assure à l'AFP M. Baron.
Le cambriolage des locaux du Parti démocrate en juin 1972 "n'a pas eu d'importance au début", rappelle-t-il, et Richard Nixon est facilement réélu en novembre suivant. Le scandale a éclaté en 1973 "à cause de la dissimulation" de l'existence d'enregistrements clandestins dans le Bureau ovale et "des efforts pour les faire disparaître", explique-t-il.
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"En mieux"
Ken Hughes, chercheur en politique à l'Université de Virginie, souligne que les accusations d'abus de pouvoir contre Donald Trump semblent plus fortes que contre Richard Nixon, alors que ce dernier était en réalité plus "machiavélique". "Tout ce que fait Donald Trump, Nixon l'a fait, mais en mieux", résume le spécialiste de l'ancien président républicain.
En janvier 1973, Richard Nixon menace le Sud-Vietnam de suspendre l'aide militaire de Washington si Saïgon n'accepte pas son plan de "paix dans l'honneur" avec le Nord-Vietnam. L'accord sera finalement signé à Paris, marquant une victoire diplomatique pour le républicain. Mais, contrairement à Donald Trump qui a diffusé la transcription de la conversation avec M. Zelensky, Nixon "a fait ça en secret et n'a jamais été pris", affirme Ken Hughes. Ce chantage n'a été révélé qu'à la fin des années 1990, quand des enregistrements de la Maison Blanche ont été déclassifiés.
Après cinq journées de procédure et douze témoins entendus, les démocrates "pensent avoir assez de preuves et que leur dossier est solide" sur un abus de pouvoir du président, qui a empêché ses collaborateurs de témoigner, estime Louis Caldera, professeur de droit à l'American University de Washington.
Mais la procédure d'"impeachment" est "fondamentalement politique, c'est à qui aura assez de voix" au Sénat, contrôlé par les républicains, pour voter la destitution, rappelle le juriste Alan Baron. Et pour les experts, les lignes partisanes ne sont pas près de bouger avec la polarisation extrême de l'actuel Congrès américain.
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Soutien aveugle
Lors du Watergate, les républicains avaient remis en question leur soutien à Nixon, explique Kevin Mattson, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de l'Ohio.
Pour certains d'entre eux, "il y avait des efforts pour travailler (avec les démocrates) et reconnaître qu'il y avait plus important que la loyauté à Nixon", abonde Ken Hughes. En 1974, les membres républicains de la commission d'enquête avaient approuvé les demandes démocrates d'audition et de remise des documents par la Maison Blanche, "dont des preuves décisives comme les enregistrements clandestins", dit M. Hughes. Aujourd'hui, les républicains "apportent un soutien aveugle à M. Trump et il le sait".
Il souligne que les nombreux sénateurs qui brigueront un nouveau mandat en novembre 2020, en même temps que le scrutin présidentiel, "vivent dans la peur d'avoir des concurrents lors des primaires" du parti. Or, dans de nombreux Etats, une victoire lors de ces primaires garantit généralement un succès à l'élection générale. Mais, rappelle Louis Caldera, "nous prêtons serment, notre devoir n'est pas seulement de servir le parti, mais aussi le Congrès". "S'il y a un soutien populaire pour l'impeachment, alors cela offrira une couverture aux républicains pour être courageux", ajoute-t-il.
Ken Hughes souligne que Richard Nixon avait été lâché après les primaires car les élus "avaient beaucoup plus à craindre des électeurs modérés, puisque les indécis étaient très remontés contre le président".
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commentaires (3)
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17 h 33, le 23 novembre 2019