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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Internet : l’autre répression du régime iranien

Le développement d’un réseau national indépendant du reste du monde permet aux autorités d’empêcher tout contact avec l’extérieur.

Une femme marchant devant une peinture du drapeau iranien, hier, à Téhéran. Photo AFP

Il aura suffi de vingt-quatre heures pour couper totalement les Iraniens du reste du monde, ou presque. Face au mouvement de contestation qui a débuté il y a une semaine, la République islamique a pris une mesure drastique : bloquer l’accès à internet pour empêcher tout contact avec l’extérieur tout en conservant la possibilité de l’utiliser en interne pour atténuer quelque peu le coût du blocage.

L’annonce par le gouvernement de l’augmentation du prix de l’essence à la pompe et d’une réforme de son mode de subvention a mis le feu aux poudres vendredi dernier ; les Iraniens ont pris les rues d’assaut dans l’ensemble du pays pour manifester leur mécontentement, dans un pays déjà asphyxié économiquement et subissant de plein fouet les conséquences du rétablissement des sanctions américaines en août 2018. Depuis, le niveau de connectivité avec l’extérieur du pays oscille entre 4 et 7 %. Un taux qui a atteint les 8 % dans la journée d’hier, soit 113 heures après le début du black-out, a indiqué sur son site l’ONG NetBlocks, précisant qu’« il n’était pas clair si la restauration de la connexion sera maintenue ». Téhéran avait déjà recouru au blocage de l’accès à internet lors des manifestations de janvier 2018, mais le récent black-out se distingue par son ampleur, sa durée et sa constance. « Le gouvernement iranien est certainement conscient de ce qu’il se passe dans le monde, comme au Liban ou en Irak... Il veut étouffer le mouvement de contestation dans l’œuf », souligne à L’Orient-Le Jour Mahsa Alimardani, doctorante à l’Oxford Internet Institute et agent de programme à Article 19, une organisation britannique des droits de l’homme. Une méthode qui permet d’empêcher la diffusion d’informations, de photos et de vidéos sur les réseaux sociaux alors que les ONG accusent Téhéran d’avoir recours à une répression sanglante, faisant au moins 106 morts parmi les manifestants, selon Amnesty International.

« La rapidité avec laquelle le gouvernement a été en mesure de rendre presque tout le pays hors ligne témoigne d’une préparation effrayante pour étouffer et censurer toute forme de dissidence », note un communiqué publié par Article 19. « Article 19 s’inquiète du fait que le développement du réseau national d’information ait contribué à la capacité du gouvernement à procéder à une fermeture aussi longue (du réseau), dans le cadre des efforts actuellement déployés par les autorités pour renforcer leur appareil de censure en ligne », ajoute le document.


(Lire aussi : Sous pression en interne,Téhéran va-t-il resserrer l’étau autour du Liban et de l’Irak ?)


Sous un microscope

Une censure digitale cristallisée, entre autres, par la construction d’un réseau internet national. Évoqué dès 2005 pendant les derniers mois du mandat de l’ancien président iranien, Mohammad Khatami, il a été à nouveau mis sur la table avec son successeur, Mahmoud Ahmadinejad, sans pour autant être mis en œuvre, rappelle à L’OLJ Amir Rashidi, chercheur sur la sécurité internet et en droits numérique au Centre pour les droits de l’homme en Iran. Baptisés « Révolution de Twitter », les impressionnants soulèvements de 2009 contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, accusé de fraude, avaient changé la donne. « Le gouvernement a réalisé qu’il devait avoir un contrôle total sur internet », explique Amir Rashidi. « L’intérêt pour une politique sur internet s’est intensifié après 2009 », précise Mahsa Alimardani. « En 2010, nous avons remarqué l’une des première mises en œuvre de cette politique, lorsque le gouvernement a déclaré que toutes les organisations et institutions publiques devaient déménager leurs sites web vers un serveur local », souligne-t-elle.

En août 2016, Téhéran a annoncé avoir complété la première étape du projet, permettant d’offrir une connexion internet « de haute qualité, à grande vitesse et à bas coût », selon l’agence officielle IRNA. Répondant aux détracteurs du plan du gouvernement, l’ancien ministre iranien de la Communication, Mahmoud Vaezi, avait affirmé à cette occasion que « toutes les activités domestiques, services, applications et types de contenus variés sont inclus dans l’internet national ».

« L’Iran a créé son propre réseau. Il est différent de ceux dans le reste du monde car le gouvernement exerce un monopole total sur internet en Iran », note Amir Rashidi. Les opérateurs privés et publics obtiennent leur connexion internet depuis la Telecommunication Infrastructure Company, qui opère sous le contrôle du ministère iranien des Technologies de l’information et des Télécommunications. « C’est comme un bouton marche/arrêt : le gouvernement a le contrôle complet et, à tout moment, il peut perturber le système, bloquer des contenus ou le fermer », explique Amir Rashidi. « Les Iraniens sont sous un microscope, leur intimité est compromise quand ils n’ont pas accès au réseau internet global », indique Mahsa Alimardani.


(Lire aussi : Iran : la stratégie américaine est-elle en train de fonctionner ?)


Pire que le modèle chinois

Internet représente aussi bien un avantage qu’une menace pour le régime iranien : il permet de disséminer sa propagande, d’une part, mais aussi de voir émerger les discours de dissidents et de contre-propagande, d’autre part. Dans le but d’avoir le contrôle sur un internet « halal », plusieurs réseaux sociaux à l’instar de Facebook et Twitter et des milliers de sites sont interdits dans le pays, forçant les utilisateurs iraniens à recourir à des réseaux privés virtuels (VPN) pour y avoir accès. En avril 2018, le gouvernement iranien a annoncé bannir la populaire application Telegram, qui comptait alors près de 40 millions d’utilisateurs en Iran. Elle est accusée par le régime de permettre l’« espionnage » ou encore de « perturber l’ordre public ». Selon le dernier rapport de l’ONG Freedom House, les autorités iraniennes se sont notamment vantées de disposer d’une armée forte de 42 000 volontaires en charge de surveiller les propos publiés en ligne. « Le prochain plan est de donner des “VPN légaux” aux Iraniens et d’accorder à certains l’accès à internet selon la classe sociale et la profession », indique Amir Rashidi. « L’infrastructure est prête, il ne s’agit plus que d’une question de temps pour que le gouvernement décide de la mettre en place », poursuit-il.

Dans la foulée, le rétablissement des sanctions américaines progressif à partir d’août 2018 sous la présidence de Donald Trump fait le jeu de Téhéran en ligne. Contraintes de se plier aux règles américaines, les entreprises américaines à l’instar de Google, Amazon ou Apple ont cessé de fournir leurs services en Iran, forçant les Iraniens à se tourner vers des plateformes numériques alternatives mises en place par la République islamique. Les mesures américaines ont été décriées par de nombreux activistes et organisations, estimant qu’elles permettent au régime d’accroître la répression contre les Iraniens et empêchent ces derniers d’avoir accès à des outils technologiques qui leur permettraient de les contourner. Face à ces conséquences négatives, « s’ils (les États-Unis) se préoccupaient vraiment de la connexion internet en Iran, ils auraient travaillé à lever les sanctions », dénonce Mahsa Alimardani. Hier soir, Donald Trump a affirmé sur Twitter que « l’Iran est devenu si instable que le régime a coupé tout le système internet pour que le grand peuple iranien ne puisse pas parler de l’énorme violence qui se passe dans le pays ». « Ils veulent zéro transparence, en pensant que le monde ne se rendra pas compte de la mort et de la tragédie que provoque le régime iranien ! » a-t-il ajouté.

« Je ne pense pas que les jours sombres soient terminés... ils ne font que commencer », déplore pour sa par Amir Rashidi. « À l’avenir, le modèle iranien sera pire que le modèle chinois », prévoit-il.


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Il aura suffi de vingt-quatre heures pour couper totalement les Iraniens du reste du monde, ou presque. Face au mouvement de contestation qui a débuté il y a une semaine, la République islamique a pris une mesure drastique : bloquer l’accès à internet pour empêcher tout contact avec l’extérieur tout en conservant la possibilité de l’utiliser en interne pour atténuer quelque...

commentaires (3)

C'est bien d'avoir son propre intranet au lieu d'être dépendant de l'internet mondial. Au moins ils pourront animer l'esprit révolutionnaire de la population qui a soif d'écouter les dirigeants du pays. Peut-être ils pourront l'ouvrir à l'internet coréen du Nord et celui des chinois. J'ai appris ce matin que rester longtemps sur le net favorise l'hypertension. Peut-être le pouvoir suprême et absolu de ce pays est conscient de ce danger et il veut épargner cela à sa population. En tous cas je suis impressionné, ils bossent bien!

Shou fi

23 h 28, le 23 novembre 2019

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Commentaires (3)

  • C'est bien d'avoir son propre intranet au lieu d'être dépendant de l'internet mondial. Au moins ils pourront animer l'esprit révolutionnaire de la population qui a soif d'écouter les dirigeants du pays. Peut-être ils pourront l'ouvrir à l'internet coréen du Nord et celui des chinois. J'ai appris ce matin que rester longtemps sur le net favorise l'hypertension. Peut-être le pouvoir suprême et absolu de ce pays est conscient de ce danger et il veut épargner cela à sa population. En tous cas je suis impressionné, ils bossent bien!

    Shou fi

    23 h 28, le 23 novembre 2019

  • John Bolton, a accusé vendredi la Maison Blanche, dans une série de tweets, de l’avoir empêché l’accès à son compte sur ce même réseau social depuis son limogeage début septembre. Depuis sa démission en tant que conseiller à la sécurité nationale, la Maison Blanche a refusé de lui redonner accès à mon compte Twitter personnel. Par peur de ce qu'il pourrais dire? Ces accusations ont été balayées d’un revers de la main par la Maison Blanche. « Parfois, et je vais prendre mon père en exemple, quelqu’un d’un âge avancé ne va pas comprendre que tout ce qu’il faut faire c’est contacter Twitter et réinitialiser son mot de passe si on l’a oublié », a déclaré sa porte-parole, Stephanie Grisham, sur la chaîne Fox Business vendredi soir. Depuis qu’il a été démis de ses fonctions, John Bolton, 71 ans, a étalé ses désaccords avec la stratégie nord-coréenne du président américain. Sur ce sujet comme sur d’autres, les différends étaient connus, et ils avaient été soulignés par le clown républicain lorsqu’il s’était séparé du plus va-t-en-guerre de ses conseillers. Tôt vendredi matin, le diplomate avait annoncé son retour sur Twitter d’un message qui se voulait énigmatique:« Heureux d’être de retour sur Twitter après plus de deux mois. Pour connaître les dessous de l’histoire, restez connectés… » « Merci à Twitter d’être resté fidèle à ses principes et de m’avoir légitimement redonné le contrôle de mon compte », a ajouté M. Bolton.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 01, le 23 novembre 2019

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